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France | Publication | février 2024
Très protecteur mais peu usité, l’article 1799-1 du Code civil mériterait une lecture plus souple.
Par Arnaud Bélisaire. Avocat associé, Norton Rose Fulbright, et Raphaël Fabris-Davet, élève-avocat
Alors que les défaillances dans le secteur du BTP sont en nette augmentation, I’article 1799-1 du Code civil instaurant une garantie de paiement au profit des constructeurs fêtera son trentième anniversaire en juin.
Pour rappel, cet article avait été introduit précisément pour protéger les entrepreneurs du secteur de la construction du risque de faillite. Toutefois, son application reste encore parcellaire. Pourtant, bien que ce texte ne s'applique qu'à certains marchés privés (1) au-delà d'un seuil de 12 000 euros hors taxes, il présenté un caractère d'ordre public de direction dont il résulte qu'aucune convention particulière ne saurait faire échec au droit pour le bénéficiaire d'exiger une garantie de paiement (Cass. 3eCiv„ 16 février 2005, n° 03-19585).
L'article 1799-1 est en revanche plus souple s’agissant de la forme que peut prendre la garantie.
Paiement direct. En premier lieu, lorsque le maître d'ouvrage finance les travaux grâce à un crédit spécifique, c'est-à-dire exclusivement dédié au paiement des travaux, elle prend la forme d'un paiement direct par l'établissement de crédit.
A l'inverse, la souscription par le maître d’ouvrage d'un crédit global qui couvrirait, en sus, le financement d’études préalables ou I’acquisition du foncier ne permettrait pas de pouvoir compter sur un versement direct (CA Douai, 1CT février 2018, n°17/00870). On peut toutefois penser qu’une portion d'un crédit global mais dans lequel il serait possible de distinguer la destination des tranches pourrait être considérée comme constituant un crédit spécifique (CA Paris, 8 novembre 2006, n° 06/02131).
« Stipulation particulière ». En deuxième lieu, la garantie de paiement peut être formée par le truchement d'une « stipulation particulière » (article 1799-1, al. 3). L'interprétation de cette notion doit être assez large et la garantie en résultant peut, en théorie, trouver à s’exprimer dans toute sûreté (2).
Certaines limites ont toutefois été esquissées. Ainsi, la garantie proposée devrait être « aussi sécurisante qu'un cautionnement solidaire » (3) ; elle ne doit donc pas être affectée par une éventuelle défaillance du maître d'ouvrage ni être concurrencée par les droits d’autres créanciers (4). Il a pu être jugé que n'étaient pas des garanties suffisantes une clause de renonciation à l'accession foncière par le maître d'ouvrage (Cass, com., 2 mars 1999, n° 95-18643, publié au Bulletin) ou un mécanisme de compensation du prix des travaux avec une créance du maître d'ouvrage sur l'entrepreneur (CA Pau, 17 janvier 2012, n°10/04491 et CA Toulouse, 5 mars 2012, n°11/01108). A l'inverse, constituent une garantie satisfaisante le principe d’une délégation de paiement émanant d'une banque, la consignation des sommes nécessaires au paiement des travaux, une hypothèque ou une garantie à première demande. Le nantissement de parts sociales ou du fonds de commerce du maître d'ouvrage, ou la souscription d’une assurance contre l'insolvabilité, pourraient aussi être certainement des garanties acceptables (5).
La capacité d'autres mécanismes à satisfaire aux exigences de I’article 1799-1 reste débattue. En particulier, certains estimaient que tel pourrait être le cas d'un échelonnement des paiements, à condition que les échéances précèdent la réalisation des travaux (5). Cependant, le gouvernement avait fait amender la formulation initiale de I’article en soustrayant la mention des « modalités » de paiement car il craignait que le maître d'ouvrage puisse se contenter de jouer sur les délais de paiement (6). Or, il existe un risque considérable qu'un échelonnement soft assimilé a une modalité de paiement.
De la nature compréhensive de l'expression « stipulation particulière », et de la jurisprudence encore lacunaire sur ce point, résultent un certain nombre d’incertitudes quant à ce qui pourrait constituer une garantie satisfaisante. On peut regretter que n'aient été admis par la jurisprudence que des mécanismes excessivement coûteux pour le maître d'ouvrage ou grevant significativement les capacités d’emprunt et la trésorerie de ce dernier.
Cautionnement solidaire. En dernier lieu, à défaut d’un crédit spécifique ou d’une stipulation particulière, le maître d'ouvrage doit fournir un cautionnement solidaire à l'entrepreneur, ne pouvant venir que d'un nombre limitativement énuméré d’organismes (article 1799-1, al. 3). Il s'agit du mécanisme le plus usité, en raison de sa facilité de constitution (7).
Si le cautionnement a le mérite d’être sécurisant pour l’entrepreneur, il n'en reste pas moins une solution onéreuse pour le maître d'ouvrage, en particulier lorsqu'il mène plusieurs projets. En tout état de cause, la fourniture d'un cautionnement par une autre entité, notamment par la société mère du maître d'ouvrage, nous semble valablement constituer une garantie résultant d'une stipulation particulière (5), d'autant plus si cette société présente une importante surface financière.
Lorsque la garantie n'est pas constituée, I'article 1799-1 ouvre à l’entrepreneur lésé une forme d'exception d'inexécution, qui est d'ordre public. La faculté de suspendre ses obligations est parfois dévoyée par ce dernier, qui peut y voir un levier dans ses négociations avec le maître d'ouvrage (5). L'entrepreneur n'est donc pas toujours prompt à solliciter l'intervention des juridictions. En tout état de cause, si la paralysie perdure, il pourra obtenir la résolution du contrat aux torts exclusifs du maître d'ouvrage (Cass. 3e civ., 30 novembre 2010, n°09-70325). En dépit de la menace d'une telle sanction, ce texte est pourtant peu respecté (8).
Divers freins. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Tout d'abord, l'importance des coûts induits par la mise en place d'un cautionnement ou d'une garantie est de nature à dissuader le maître d'ouvrage de le faire spontanément. Ensuite, s'il présente une solidité financière suffisante, l’entrepreneur peut ne pas juger nécessaire la constitution d'une garantie. Enfin, de manière pragmatique, le maître d'ouvrage ne risque pas grand-chose à ne la délivrer qu'une fois sommé de le faire.
Différentes propositions de réformes ont pu être formulées pour inciter les maîtres d'ouvrage à remplir leur obligation, allant jusqu'à l'introduction de sanctions pénales (5). Il pourrait être plus opportun d'adopter une lecture plus souple des dispositions actuelles, allant dans le sens d'un élargissement de ce qui pourrait constituer une garantie satisfaisante résultant d'une stipulation particulière (ex : un échelonnement avec versements anticipés). Cela nous semblerait particulièrement adapté dans le contexte de grands projets de construction, lesquels reposent souvent sur les contrats Fidic. Dans ces derniers, une grande souplesse est offerte aux parties quant à la sécurisation financière du projet, puisqu'il appartient à l'entrepreneur d'indiquer s’il trouve les arrangements financiers mis en place par le maître d'ouvrage satisfaisants ou non (9). Naturellement, quand le droit français est retenu, l'obligation de transparence organisée par le contrat Fidic ne suffit pas et il convient alors de s’assurer du respect des dispositions de I’article 1799-1.
Ce qu’il faut retenir
> La garantie de paiement des marches privés de travaux a été introduite en 1994 pour protéger les entrepreneurs du risque de faillite. Mais trente ans après, son application reste parcellaire.
> La loi permet diverses formes de garantie : versement direct par la banque en cas de souscription d’un crédit spécifique, cautionnement solidaire, ou encore « stipulation particulière - cette dernière possibilité ayant un contour encore flou, au gré des interprétations jurisprudentielles.
> En dépit des sanctions fortes attachées à son non-respect, cette obligation est peu respectée. Il pourrait être opportun d'adopter une lecture plus souple des dispositions actuelles afin d’élargir ce qui pourrait constituer une garantie satisfaisant aux critères légaux.
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