Alors que de nombreux employeurs au Québec ont rouvert leurs portes et accueilli de nouveau leurs employés sur les lieux physiques de leur établissement, un certain nombre d’employés continueront assurément à effectuer leur travail à distance. Bien que cela puisse être avantageux à plusieurs égards, les employeurs ont intérêt à tenir compte de certaines questions afin d’assurer un contrôle efficace d’une telle mesure. Ce bulletin vise à effectuer un rappel des enjeux à considérer et fournir des outils pratiques pour les employeurs. 

La définition du télétravail

Le terme télétravail n’est pas expressément défini dans les lois québécoises. Toutefois, le ministère du Travail du Québec propose la définition suivante : 

Le télétravail permet à un employé d’accomplir une partie ou la totalité de son travail à l’extérieur de l’établissement appartenant à l’employeur. L’employé exécute normalement ses tâches à partir de son domicile et transmet les résultats de ses activités lors de son passage au bureau ou en utilisant les moyens de télécommunication disponibles (télécopieur, téléphone, courrier électronique, etc.).

Le ministère offre aussi certaines précisions concernant ce concept desquelles nous pouvons nous inspirer :

  • Cette modalité de travail n’est pas une mesure de conciliation de travail-famille comme telle mais elle permet à l’employé de gérer son temps en lui donnant la possibilité de répondre à ses besoins de conciliation de travail-famille.
  • Cette mesure peut être permanente ou temporaire (…).
  • Pour l’employé, le télétravail signifie un environnement de travail de son choix et une réduction de temps en déplacements.
  • Pour l’employeur, le télétravail s’avère être une excellente mesure de recrutement et de rétention de personnel, un moyen d’augmenter la productivité des employés et de réduire le taux d’absentéisme.

En bref, bien que les lois applicables ne s’intéressent pas spécifiquement au télétravail, nous estimons que celui-ci peut généralement être interprété comme étant une condition d’exécution du travail, soit à temps plein ou à temps partiel selon les modalités définies par les politiques de l’employeur, dans un emplacement à l’extérieur du lieu de travail physique au moyen d’outils virtuels ou technologiques.

Évidemment et comme il s’agit d’une condition d’emploi, le télétravail devrait normalement être encadré par le contrat d’emploi ou des politiques mises en place par l’employeur, connues et acceptées de ses salariés et encadrant une telle pratique. À défaut, nous ne pouvons exclure qu’une telle mesure puisse être imposée unilatéralement par l’employeur, notamment en cours d’emploi, mais une analyse approfondie d’une telle avenue devrait être effectuée avant d’être implantée et des débats pourraient surgir quant à la légalité d’une telle mesure.  

Santé et sécurité

Le télétravail pose également plusieurs enjeux d’un point de vue de santé et de sécurité du travail. Il importe de rappeler qu’au Québec, les employeurs sont assujettis à d’importantes obligations en cette matière, lesquelles sont notamment prévues à l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. À cette fin, il est important de souligner que la législation québécoise en matière de santé et de sécurité définit le lieu de travail comme étant « un endroit où, par le fait ou à l’occasion de son travail, une personne doit être présente (…) ».

Or, dans la « nouvelle normalité » qui découle des changements entraînés par la COVID-19, le contexte du télétravail soulève inévitablement la question suivante : dans quelle mesure le domicile d’un employé est-il considéré comme étant un « lieu de travail »?

Les tribunaux québécois considèrent, selon le cas, que la résidence privée d’un employé peut effectivement être considérée comme un lieu du travail. À preuve, certains précédents rendus dans un contexte d’accident de travail ont confirmé ce principe. Par exemple, dans Club des petits déjeuners du Québec c Frappier1, une employée avait subi une entorse lombaire en soulevant une boîte de dossiers et en travaillant de la maison. Dans sa décision, la Commission des lésions professionnelles du Québec (désormais, le Tribunal administratif du travail) a déclaré que l’employée avait subi une lésion professionnelle et écrit :

« Soulignons qu’il est faux d’affirmer […] que la présomption de l’article 28 de la loi ne s’applique pas parce que la travailleuse est à son domicile lors de la survenance de l’événement et donc, qu’elle n’est pas à son travail. Puisque la travailleuse fait du télétravail, son domicile doit être considéré comme étant les lieux du travail. » [nous soulignons]

Dans une autre cause, cette fois-ci dans le secteur public, Desrochers et Agence du revenu du Canada2, une travailleuse a subi une lésion professionnelle en tentant de soulever et de prendre une valise remplie de documents liés au travail dans sa voiture pour l’apporter dans sa maison où elle effectuait du travail à distance.  Selon le juge administratif saisi de l’affaire, étant donné ses modalités d’emploi, son employeur aurait dû raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ait à transporter ses documents liés au travail de son bureau à sa voiture, puis de sa voiture à sa maison afin de pouvoir télétravailler. Par conséquent, il a considéré que cette activité était en lien avec le travail et que l’accident était survenu sur lieu sur les lieux du travail.

En résumé, la jurisprudence québécoise, bien que peu développée sur cette question, élargie la notion de « lieu de travail » à l’extérieur de l’établissement classique de l’employeur et, lorsque les circonstances s’y prêtent, à l’espace de télétravail. Ce faisant, il est primordial pour un employeur d’encadrer les lieux du télétravail, de fournir des directives claires sur l’exécution du travail et d’en assurer le contrôle, comme s’il s’agissait de l’extension de son établissement, entre autres afin de limiter les risques liées à une éventuelle réclamation de cette nature. 

Moyens de contrôle et visite des lieux

Au-delà des aspects liés à la santé et la sécurité des salariés, les employeurs québécois doivent aussi s’assurer de mettre en place des mesures de contrôle pour valider le respect des directives, que ce soit dans le cadre de la réalisation du travail à proprement parler ou de l’aménagement des lieux du télétravail. Pour ce faire, l’utilisation des moyens technologiques peut s’avérer utile, mais certains employeurs se questionnent à savoir s’il est possible de mener des inspections à l’intérieur de la résidence de ses employés. 

À notre connaissance, aucun précédent n’a abordé de façon spécifique cette question. Toutefois, considérant les droits fondamentaux reconnus par la Charte québécoise des droits et libertés, notamment à l’égard de la protection de la vie privée, le fait de pénétrer chez un employé pourrait soulever divers enjeux sur le plan juridique. 

Les employeurs devraient donc, à titre de mesure préventive, envisager l’inclusion de dispositions à même les contrats d’emploi ou l’adoption de politiques ou de mesures aux termes desquelles l’employé en télétravail consent à ce que l’employeur puisse accéder à son domicile à des fins légitimes liées à l’emploi et au respect des consignes mises en place. En l’absence d’une politique claire et d’un consentement à cette fin, certains employés pourraient tenter de soutenir que l’employeur ne peut y accéder pour des motifs raisonnables, même liés au travail. 
 
Ceci étant dit, nous estimons qu’il existe plusieurs motifs légitimes pour lesquels un employeur pourrait soutenir avoir besoin d’accéder à un espace de télétravail, notamment aux fins d’évaluer la mise en place d’accommodements raisonnables ou encore pour assurer la sécurité des lieux et du matériel utilisé. En de telles circonstances, nous croyons que les employeurs auraient des arguments sérieux pour soutenir la légitimité d’une visite physique du domicile de ses employés affectés en télétravail. Dans tous les cas, il sera nécessaire de baliser une telle visite, notamment en avisant l'employé à l’avance et préférablement par écrit.

Conclusion

Depuis le premier cas de la COVID-19 confirmé au Québec en février 2020, il ne fait aucun doute que les employeurs ont eu à s’adapter rapidement et dans l’empressement afin de trouver des moyens novateurs et créatifs de rester en affaires. 

Bien que le télétravail figure assurément parmi ces moyens, les employeurs doivent être conscients des risques juridiques qui se rattachent au télétravail et connaître les stratégies d’atténuation qui peuvent être adéquatement mises en œuvre pour les réduire. Des dispositions claires incluses dans le contrat d’emploi ou une politique pertinente et efficace s’appliquant à tous les employés en télétravail et délimitant les droits et obligations des employés lorsqu’ils travaillent à distance constituent sans doute l’une de ces stratégies. Dans un tel cas, le contrat d’emploi ou la politique en vigueur devrait notamment référer aux éléments suivants : 

  • Des précisions sur le lieu de travail au domicile et l’aménagement des lieux;
  • L’horaire en vigueur, le cas échéant, et la nécessité ou non de se présenter à l’établissement de l’employeur;
  • La possibilité d’exiger la présence physique sur les lieux du travail ou le retour à temps complet à l’établissement de l’employeur;
  • La description des équipement fournis par le télétravailleur ou par l’employeur et les conditions d’utilisation;
  • Les règles relatives à la protection des renseignements confidentiels qui se trouvent au domicile ou qui sont accessibles par le biais des moyens technologiques mis à la disposition des salariés; 

Pour plusieurs employeurs, le télétravail restera sans doute une mesure nécessaire et qui revêtira désormais un caractère permanent, ce qui milite donc pour une gestion adéquate du télétravail et des questions connexes.


Notes

1   2009 QCCLP 7647.

2   2011 QCCLP 7562.



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