La semaine dernière, la Cour suprême du Canada a clarifié l’interprétation des clauses d’exclusion dans l’arrêt Earthco Soil Mixtures Inc. c. Pine Valley Enterprises Inc1 . Si la décision visait les exclusions des conditions légales en vertu de la Loi sur la vente d’objets, LRO 1990, c S.1 (LVO), l’analyse qu’elle a fournie concerne l’interprétation des clauses d’exclusion dans leur ensemble.


En l’espèce, l’affaire portait sur un différend entre un acheteur et un vendeur d’une grande quantité de terre végétale d’une composition spécifique. Aux termes du contrat de vente, l’acheteur avait le droit de faire analyser la terre végétale et de l’approuver avant qu’elle ne soit livrée et le vendeur ne serait pas responsable de la qualité de celle-ci si l’acheteur renonçait à son droit d’inspection. En raison du retard qu’il avait accumulé dans son projet, l’acheteur a renoncé à exercer son droit d’inspection de la terre végétale avant sa livraison. Après l’avoir utilisée dans le cadre de son projet, ce dernier s’est rendu compte qu’elle contenait considérablement plus d’argile qu’il n’était indiqué. La terre végétale a dû être retirée, ce qui a augmenté les frais et le retard du projet de l’acheteur et a exposé ce dernier à des dommages-intérêts.

L’acheteur a alors poursuivi le vendeur en dommages‑intérêts, arguant que ce dernier avait enfreint une condition légale prévue à l’article 14 de la LVO selon lequel les objets vendus « sur description » doivent correspondre à la description qui en est faite. Dans sa défense, le vendeur s’est principalement appuyé sur une exclusion contractuelle.

Tribunaux d’instance inférieure

Le juge de première instance,2 a conclu que la vente était « sur description », mais que l’acheteur et le vendeur s’étaient soustraits à la condition légale compte tenu de leur clause d’exclusion expresse, au sens de l’article 53 de la LVO. La réclamation de l’acheteur a donc été rejetée.

La Cour d’appel de l’Ontario,3 a accueilli l’appel de l’acheteur et un jugement a été rendu à l’encontre du vendeur. Elle a estimé que le juge de première instance avait commis une erreur à l’égard de trois questions de droit. Tout d’abord, il aurait omis de tenir compte du fait que la condition implicite prévue à l’article 14 de la LVO portait sur l’identité du matériau en question plutôt que sur sa qualité. Ensuite, il aurait conclu à tort que les parties s’étaient soustraites à la condition légale de la LVO en l’absence de termes suffisamment explicites, clairs et nets. Enfin, il se serait mépris en interprétant trop largement l’exclusion contractuelle en s’appuyant sur le « fondement factuel » (c.-à-d. les circonstances entourant le contrat).

Décision de la Cour suprême

La Cour suprême du Canada a, à la majorité, accueilli l’appel du vendeur et rétabli la décision du juge de première instance. Elle a estimé que l’acheteur avait convenu d’accepter les risques de vice dans la composition de la terre végétale.

En formulant sa conclusion, la majorité a confirmé une décision antérieure4 selon laquelle elle avait conclu que l’interprétation contractuelle était une question mixte de fait et de droit. Les mots d’un contrat sont interprétés à juste titre à la lumière du fondement factuel. La priorité est de déterminer les intentions des parties, même pour les contrats visés par la LVO. Aucun « mot magique » ou « terme juridique spécifique » n’est tenu d’être utilisé dans un contrat de vente pour se soustraire à une condition légale découlant de la LVO. Les clauses d’exclusion ne devraient pas faire l’objet d’une interprétation excessivement technique et formaliste.

La majorité a estimé que la Cour d’appel de l’Ontario avait trop mis l’accent sur la formulation qui n’était pas employée dans le contrat de vente, plutôt que de déterminer les intentions des parties en s’appuyant sur les mots qu’elles avaient véritablement employés et le contexte commercial. Il n’existe aucune norme extraordinaire fondée sur une « formulation explicite, claire et nette » à satisfaire pour se soustraire à une condition légale découlant de l’article 53 de la LVO. Les parties avaient clairement l’intention de protéger le vendeur de toute responsabilité en cas de défaut de la terre végétale non inspectée, bien que l’article 14 de la LVO n’ait pas été expressément cité dans la clause d’exclusion. L’acheteur connaissait la répartition des risques et a pris sa propre décision stratégique de ne pas inspecter la terre végétale avant sa livraison. Aucune iniquité ne résulte de l’application de la clause d’exclusion dans ce contexte commercial.

Une seule juge de la Cour suprême a émis une opinion dissidente. Selon elle, la convention conclue entre les parties n’était pas suffisamment « expresse » pour écarter la condition légale prévue à l’article 14 de la LVO, comme l’exige l’article 53. Elle aurait rejeté l’appel du vendeur et confirmé la décision de la Cour d’appel de l’Ontario.

Principaux points à retenir

La décision majoritaire de la Cour suprême du Canada est importante dans le cadre de l’interprétation des contrats de vente, des clauses d’exclusion et, plus généralement, des contrats. Elle s’inscrit dans une tendance de la jurisprudence de la Cour suprême, qui n’est pas toujours suivie par les tribunaux d’instance inférieure, à savoir de privilégier une interprétation téléologique et pragmatique de toutes les modalités contractuelles, sans subtilité indue. Aucun « mot magique » n’est requis de la part des parties pour exclure l’application de conditions légales en vertu de la LVO ni pour écarter la responsabilité d’une partie en ce qui a trait à des risques précis (ou à tous les risques). Il convient de toujours s’attacher aux véritables intentions des parties, ce qui implique en règle générale de ne pas seulement se pencher sur la formulation stricte du contrat, mais également d’évaluer le fondement factuel qui l’entoure.

Les auteur·rices tiennent à remercier Patrick Smith, stagiaire, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.

 

Notes

1  

Earthco Soil Mixtures Inc. v Pine Valley Enterprises Inc., 2024 SCC 20.

2   Pine Valley Enterprises Inc v Earthco Soil Mixtures Inc, 2020 ONSC 601.

3   Pine Valley Enterprises Inc v Earthco Soil Mixtures Inc, 2022 ONCA 265.

4  

Sattva Capital Corp v Creston Moly Corp, 2014 SCC 53.



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