Le 6 février dernier, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-68 modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence.
Ce projet de loi fait suite à une promesse réitérée à plusieurs reprises par le gouvernement libéral du premier ministre Justin Trudeau à l’effet de redonner aux Canadiennes et Canadiens les protections enlevées par le gouvernement conservateur précédent en ce qui concerne le poisson et l’habitat du poisson. On se souviendra que le gouvernement précédent avait apporté des modifications en 2012 afin de remplacer la protection du poisson et de son habitat par une vision plus utilitaire des ressources piscicoles en limitant certaines protections de la Loi sur les pêches aux pêches dites « commerciales, récréatives ou autochtones » ou à tout poisson dont dépendent de telles pêches.
La restauration des protections antérieures de la Loi sur les pêches
En fait, dans les modifications législatives de 2012, le gouvernement de l’époque avait introduit un concept de « dommages sérieux à tout poisson visé par une pêche commerciale, récréative ou autochtone » tout en donnant un sens restreint au concept de « dommages sérieux », puisque ceux-ci ne visaient que la mort d’un poisson, la modification permanente de son habitat ou la destruction de son habitat. Le législateur avait placé le concept de « dommages sérieux » dans six articles de la Loi sur les pêches, dont un article qui en faisait un concept à inclure dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires dont jouit le ministre dans l’application d’une dizaine d’articles de la Loi sur les pêches.
Ces modifications avaient pour effet de réduire la portée de la Loi sur les pêches, notamment pour les projets industriels ou commerciaux susceptibles d’affecter le milieu aquatique.
Le projet de loi C-68 propose de remplacer ce concept en ressuscitant le concept de « détérioration, destruction ou perturbation de l’habitat du poisson ». Le concept d’« habitat » sera élargi pour comprendre clairement toutes les eaux où vit le poisson. Avec ces modifications, et d’autres, la Loi sur les pêches retrouvera les protections du poisson et de l’habitat du poisson qui existaient avant les modifications apportées par les Conservateurs.
Cependant, le projet de loi C-68 n’en reste pas là. Il est beaucoup plus ambitieux que cela. Il introduit de nouveaux concepts juridiques qui en élargissent la portée et qui font une grande place aux peuples autochtones du Canada.
L’implication des peuples autochtones
Le projet de loi C-68 traduit l’engagement du gouvernement à l’égard des peuples autochtones du Canada. En insérant dans la Loi sur les pêches une obligation faite au ministre de prendre en compte les droits des peuples autochtones avant de prendre une décision, le gouvernement pose un geste qui a des répercussions politiques et juridiques évidentes, puisque cette loi vise la pêche, une activité traditionnelle qui revêt une grande importance historique, culturelle et économique pour les autochtones.
Le projet de loi effectue cette reconnaissance autochtone notamment en :
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permettant la conclusion d’ententes d’équivalence avec les corps dirigeants autochtones qui pourront permettre l’application exclusive de règlements pris par les instances autochtones pour protéger les ressources piscicoles;
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prévoyant la prise en considération du savoir traditionnel autochtone dans le cadre des décisions relatives à l’habitat du poisson;
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obligeant le ministre à prendre en considération les effets préjudiciables sur les droits des peuples autochtones de toute décision prise en vertu de la Loi sur les pêches;
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prévoyant des occasions de partenariat avec les communautés autochtones en ce qui concerne la protection du poisson et de l’habitat du poisson.
Prise en considération d’éléments nouveaux dans le cadre de l’administration de la Loi sur les pêches
Le projet de loi C-68 prévoit la prise en considération de toute une série de facteurs ou de critères dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre par la Loi sur les pêches. Parmi ces facteurs, dont plusieurs sont tout à fait inédits, mentionnons :
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L’application d’approches axées sur la précaution et les écosystèmes
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La durabilité
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La science
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Le savoir traditionnel des peuples autochtones
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Le savoir des collectivités locales
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La collaboration avec les gouvernements et les corps dirigeants autochtones
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Les facteurs sociaux, économiques et culturels
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L’indépendance des détenteurs de permis pour les pêches côtières commerciales
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L’« interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires »
Tout en maintenant le caractère discrétionnaire des décisions qui seront prises en vertu de la Loi sur les pêches, cette liste de facteurs comprend des considérations qui ne sont pas toujours évidentes dans le cadre d’une législation visant à protéger le poisson et l’environnement des poissons, même si ces facteurs demeurent facultatifs (« le ministre peut prendre en considération »). Mentionnons à cet égard « l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires », un facteur qui est totalement nouveau dans le cadre d’une législation de protection de l’environnement.
La réglementation de projets industriels et autres
Le projet de loi C-68 permet de définir ce que seront les « projets désignés » qui devront faire l’objet d’une autorisation ministérielle, puisque ces « projets désignés » seront des projets réputés susceptibles d’affecter le poisson ou l’habitat des poissons.
Cette innovation offre, d’une certaine manière, plus de certitude puisque les initiateurs de tels projets sauront à l’avance qu’ils devront obtenir un permis. Cela permettra au gouvernement fédéral de réglementer davantage les projets de toute nature, y compris des projets industriels, municipaux ou même gouvernementaux susceptibles d’affecter le poisson. Cette nouvelle implication fédérale à l’égard d’activités traditionnellement réglementées par des permis délivrés en vertu de lois provinciales risque d’alourdir les systèmes de réglementation environnementale auxquels les entreprises et les corps publics sont soumis.
Il sera intéressant de suivre les travaux du comité parlementaire de la Chambre des communes auquel il sera référé, notamment si celui-ci tient des audiences publiques à son sujet.