En matière d’emploi au Québec, une obligation de non-concurrence imposée à un employé se doit d’être limitée temporellement et géographiquement et de préciser le genre de travail prohibé, et ce, en fonction des intérêts légitimes de l’employeur. À ce jour, les tribunaux québécois ont appliqué ces limites de manière assez stricte. L’essor récent de la mondialisation, des technologies et de la mobilité internationale justifie de plus en plus, dans certaines circonstances, la légitimité de clauses de non-concurrence ayant une portée territoriale plus vaste que ce qui a été historiquement considéré comme raisonnable au Québec. Cela semble d’autant plus d’actualité maintenant que le télétravail fait partie du quotidien et qu’ainsi, l’angle d’analyse semble nécessiter de plus en plus que l’on prenne en compte la localisation de l’employé pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur.
Décisions d’intérêt des tribunaux
Pour définir l’étendue territoriale légitime d’une clause de non-concurrence en matière d’emploi, les tribunaux du Québec ont souvent fait appel à la nature des services offerts par l’employeur et se sont prêtés à une analyse du territoire correspondant à celui qui était exploité par ce dernier. Le Québec recense quelques décisions venues reconnaître la légitimité de limites territoriales très larges dans ce cadre d’analyse.
À titre d’exemple, en 2006, dans la décision Ubisoft Divertissements inc. c Tremblay, la Cour supérieure n’a pas invalidé une clause de non-concurrence qui visait un très grand territoire. Dans cette affaire, Ubisoft, entreprise de haute technologie dans le domaine des jeux vidéo, demande d’émettre une injonction interlocutoire provisoire à l’encontre de son ancien Président-Directeur général en vue de faire respecter une clause de non-concurrence. Le territoire visé par cette clause est composé du Canada, des États-Unis et du Mexique. La Cour estime que l’employeur s’est acquitté de son fardeau de prouver une apparence de droit puisque la clause de non-concurrence en l’espèce n’est pas rendue illégale par ce vaste territoire qui semble protéger les intérêts légitimes de l’employeur.
En 2015, dans l’affaire Cologix Canada inc. c Brulotte, la Cour supérieure a l’occasion d’étudier la validité d’une clause de non-concurrence qui vise l’Amérique du Nord et l’Europe. Cologix offre des services de colocation (hébergement de données) et d’interconnexion à une clientèle située en Amérique du Nord et en Amérique du Sud ainsi qu’en Asie. En l’espèce, la Cour expose que le marché dans lequel Cologix évolue, spécifique et hautement concurrentiel, fait en sorte que les clauses en l’espèce ne sont pas manifestement déraisonnables. La Cour supérieure s’est appuyée sur le même raisonnement dans la décision PCM, en 2017, en retenant que les activités d’une entreprise pouvaient justifier une clause de non-concurrence visant 11 États américains.
On constate ainsi que certains précédents au Québec permettent de justifier l’imposition d’une obligation de non concurrence sur un grand territoire à la lumière des activités de l’employeur. Qu’en est-il toutefois lorsque les activités d’un employeur se réalisent à l’échelle mondiale et qu’il doit protéger ses intérêts légitimes contre des employés œuvrant en télétravail, et ce, parfois à l’étranger, dans des régions où l’employeur n’a pas nécessairement de clients ou d’activités?
Un coup d’œil du côté des autres législations
Les tribunaux français et américains ont adopté des approches plus permissives quant aux clauses de non concurrence. En France, une clause de non-concurrence qui vise un territoire très vaste n’est pas illégale tant que l’employé a la possibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle. Dans certains États des États-Unis, comme au Rhode Island, une clause de non-concurrence qui ne prévoit pas de limite géographique n’est pas automatiquement invalide tant que l’employeur peut faire la démonstration qu’elle est nécessaire pour protéger ses intérêts légitimes. Ce dernier courant ne semble toutefois pas transposable au Québec à la lumière de l’article 2089 du Code civil du Québec, qui exige minimalement la présence d’une limitation territoriale à une clause de non concurrence. En effet, une clause de non-concurrence qui ne comporte aucune limite territoriale sera illégale au Québec, et ce, même si l’employeur œuvre dans le secteur des hautes technologies, où les frontières physiques sont pratiquement inexistantes. Dans un même ordre d’idées, une limite territoriale qui viserait le monde entier serait fatale à la validité de la clause.
Que retenir?
Depuis quelques années, une approche plus permissive quant aux clauses de non-concurrence en matière d’emploi semble se dessiner au Québec. En effet, les tribunaux estiment parfois que la spécialisation grandissante de certains domaines d’activité peut justifier des clauses de non-concurrence plus larges, notamment en ce qui concerne l’étendue du territoire visé par la clause. En cette ère du télétravail, il sera intéressant toutefois d’observer si les tribunaux tendront de plus en plus à considérer non pas uniquement le territoire d’exploitation de l’employeur, mais également le lieu de travail de l’employé afin de protéger les intérêts légitimes de l’employeur – il est plus que jamais possible pour pratiquement tout employé de travailler de n’importe où et pour n’importe qui. À ce titre, l’approche observée des tribunaux français semble faire partie des solutions à cette nouvelle réalité que constitue le télétravail pour notre société. Il demeure que pour ceux qui doivent s’atteler à la rédaction de clauses de non-concurrence, nous recommandons la prudence et une analyse au cas par cas avec comme règle cardinale la modération.
L’auteur désire remercier Guillaume Roux-Spitz, étudiant en droit, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.