À la fin de l’année dernière, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada (Cour) a rendu une décision très attendue, affirmant qu’il est raisonnable d’interpréter l’obligation d’inspecter le lieu de travail prévue à la partie II du Code canadien du travail (Code) comme se limitant aux parties du lieu de travail placées sous l’entière autorité de l’employeur1. Ce faisant, la Cour a infirmé la décision2 rendue en 2017 par la Cour d’appel fédérale et a rétabli la décision3 rendue par l’agent d’appel en 2014.
Les faits
Cette cause émane d’une plainte auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (maintenant Emploi et Développement social Canada) dans laquelle il est allégué que le comité local mixte de santé et de sécurité au dépôt de Burlington de Postes Canada ne se conformait pas aux obligations impératives du Code en matière de santé et de sécurité en limitant ses activités d’inspection du lieu de travail au bâtiment du dépôt de Burlington. Il y était indiqué que les inspections de sécurité auraient dû s’appliquer également aux itinéraires des facteurs et aux endroits où le courrier est livré (points de remise).
Obligation d’inspection du lieu de travail en vertu de la partie II du Code
L’alinéa 125(1)z.12) de la partie II du Code oblige les employeurs à faire inspecter le lieu de travail au complet au moins une fois par année :
125 (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :
z.12) de veiller à ce que le comité local ou le représentant inspecte chaque mois tout ou partie du lieu de travail, de façon que celui-ci soit inspecté au complet au moins une fois par année
Décisions antérieures
Une agente de santé et de sécurité avait conclu que Postes Canada ne s’était pas conformée à son obligation d’inspection du lieu de travail en vertu de l’alinéa 125(1)z.12).
Lors de l’appel devant le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada, l’agent d’appel a annulé le constat de contravention et a conclu que l’obligation ne s’appliquait qu’aux parties du lieu de travail placées sous l’entière autorité de Postes Canada, ce qui ne comprenait pas les itinéraires des facteurs et les points de remise. La décision de l’agent d’appel était fondée sur sa reconnaissance du fait que l’obligation d’inspection du lieu de travail vise à recenser et à supprimer les dangers et qu’il faut avoir entière autorité sur le lieu de travail pour ce faire.
La Cour fédérale a maintenu la décision de l’agent d’appel4, mais la Cour d’appel fédérale a par la suite infirmé la décision de la Cour fédérale.
Décision de la Cour suprême du Canada
La majorité des juges de la Cour suprême du Canada, à raison de 7 contre 2, a infirmé la décision de la Cour d’appel fédérale et rétabli la décision de l’agent d’appel.
Suivant le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire récemment établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov5, la Cour a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable et que l’interprétation par l’agent d’appel de l’alinéa 125(1)z.12) était raisonnable.
La Cour a jugé que l’interprétation de l’agent d’appel était fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent. Plus particulièrement, la Cour a affirmé que la décision de l’agent d’appel n’était pas devenue déraisonnable du fait que d’une part elle reconnaît que Postes Canada, au moyen de ses politiques internes, s’efforce de recenser et de supprimer les dangers qui guettent les facteurs, tout en concluant, d’autre part, que cette dernière n’est pas en mesure d’assurer l’inspection annuelle de toutes les parties du lieu de travail situées en dehors de son immeuble. La Cour en est venue à la conclusion que le raisonnement de l’agent d’appel démontrait sa connaissance approfondie des moyens par lesquels Postes Canada assure la réalisation de l’objet du Code, compte tenu des limitations d’ordre pratique propres à un lieu de travail s’étendant sur 72 millions de kilomètres d’itinéraires postaux.
La Cour a également conclu que l’interprétation de l’agent d’appel pouvait se justifier au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Selon la Cour, le fait que l’agent s’intéresse plus particulièrement aux conséquences pratiques ne supplante pas la nécessité d’assurer la conformité avec le libellé, le contexte et l’objet de la disposition, mais se trouve plutôt à enrichir et à rehausser l’interprétation.
Points à retenir
La décision de la Cour suprême dans cette affaire est importante, puisqu’elle circonscrit l’étendue du lieu de travail aux fins de la partie II de manière pratique et raisonnable. Bien sûr, la décision ouvre la porte à la limitation de la portée des obligations des employeurs propres au lieu de travail en vertu de la partie II du Code aux parties du lieu de travail placées sous l’entière autorité des employeurs seulement. Plus précisément, pour les employeurs dont les employés travaillent à l’extérieur du lieu de travail traditionnel, cette décision rappelle que bien que les employeurs doivent se conformer aux obligations en matière de santé et de sécurité au travail exigeantes prévues par le Code, l’application de ces exigences prévues par la loi n’est pas illimitée et, par conséquent, ne s’étend pas à des circonstances déraisonnables et irréalistes.
Cependant, étant donné que chaque lieu de travail est différent, on peut s’attendre à ce que des efforts soient déployés pour distinguer cette affaire d’autres cas où des questions similaires seront soulevées et où les paramètres du lieu de travail se retrouveront au cœur du litige. Nous vous tiendrons au courant des nouveaux développements dans ce domaine de droit qui évolue rapidement.