Le projet de loi 68, la Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins, a été sanctionné le 9 octobre dernier par l’Assemblée nationale du Québec. Selon le ministre du Travail, l’adoption de ce projet de loi pourrait permettre de dégager de nombreuses plages de rendez-vous auprès des médecins de la province. Bien que cet objectif soit fort louable pour améliorer l’accès aux services de santé, les changements législatifs apportés risquent de causer bien des maux de tête aux employeurs de la province. En effet, les incidences de cette loi se feront sentir à deux niveaux :

  • la possibilité pour l’employeur de demander à un employé de justifier une absence en transmettant un certificat médical;
  • la gestion des régimes d’avantages sociaux non assurés.

Le présent billet fait état de ces incidences. 


Le droit de l’employeur de demander un certificat médical pour justifier une absence

Le projet de loi 68 apporte des changements à la Loi sur les normes du travail (LNT) afin de prévoir qu’un employeur ne pourra demander à un employé de fournir un document attestant des motifs de son absence (p. ex. un certificat médical) pour les « trois premières périodes d’absence d’une durée de trois jours consécutifs ou moins prises par période de douze mois ». Cela s’appliquera aux absences pour les causes prévues à l’article 79.1 de la LNT, soit la maladie, le don d’organes ou de tissus à des fins de greffe, l’accident, la violence conjugale ou la violence à caractère sexuel. En ce qui a trait aux absences pour « obligations familiales »1, l’employeur ne pourra demander à l’employé de justifier ces absences par un certificat médical. 

Ces modifications législatives entreront en vigueur le 1er janvier 2025.

Il importe, dans un premier temps, de relativiser quelque peu l’incidence de ces changements. Tout d’abord, à l’heure actuelle, la LNT ne permet pas à l’employeur d’exiger un certificat médical pour justifier la moindre absence de maladie de courte durée, par exemple, lorsqu’un employé s’absente en raison d’un rhume ou d’une gastro-entérite. En effet, l’employeur peut l’exiger uniquement si « les circonstances le justifient eu égard notamment à la durée de l’absence ou au caractère répétitif de celle-ci»2

La jurisprudence a reconnu qu’un employeur pouvait être justifié d’exiger un certificat médical notamment dans les cas suivants :

  • les absences prolongées;
  • les abus; ou 
  • les absences douteuses. 

C’est donc principalement dans les deux dernières circonstances que les incidences du projet de loi risquent de se faire sentir. 

De fait, dans le cas d’une maladie, pour les trois premières absences de trois jours consécutifs ou moins par période de douze mois, l’employeur ne pourra exiger la production d’un document attestant du motif de l’absence. La loi ne crée pas d’exceptions pour les cas d’abus ou d’absences douteuses, mais il pourrait y avoir des circonstances où l’exigence d’un document pourrait tout de même être justifiée. Par ailleurs, l’emploi du terme « document » est plutôt large et il inclut le certificat médical, mais également d’autres documents, comme un rapport de police, considérant la nature des absences auxquelles l’article 79.1 de la LNT réfère.

Dans les cas d’absence pour obligations familiales, l’employeur ne pourra exiger un certificat médical pour chacune des dix journées d’absences prévues à la LNT. Toutefois, il pourrait, dans ces cas, exiger de recevoir un document autre qu’un certificat médical afin d’attester des motifs de l’absence. 

Il est également important de rappeler que les employés demeureront tenus d’aviser « le plus tôt possible » leur employeur et de lui fournir un motif d’ordre général pour justifier leur absence (p. ex. maladie, s’occuper d’un enfant ou d’un proche, etc.)3. Dans le cas des absences pour obligations familiales, l’employé devra également avoir pris les moyens raisonnables pour éviter de s’absenter ou pour limiter la durée d’une telle absence. Le seul changement est que l’employeur ne pourra demander à l’employé de fournir un document tel qu’un certificat médical pour appuyer ce motif dans les circonstances précises exposées précédemment. 

Finalement, un employeur ne sera pas privé de demander un document attestant de toute absence autre que celles prévues à l’article 79.1 de la LNT ou pour obligations familiales dans les cas d’abus, dans la mesure où cela est justifié. En effet, dans les cas d’abus, l’employé invoque souvent une panoplie de motifs d’absence qui ne sont pas toujours reliés à sa santé ou à ses obligations familiales. Ainsi, les employeurs pourront continuer de suivre les dossiers d’absentéisme problématiques à l’intérieur des nouveaux paramètres introduits par ces modifications législatives.

Il demeure toutefois nécessaire de revoir vos pratiques, vos politiques ou votre convention collective en cette matière afin de vous assurer de vous conformer aux changements législatifs. 

Les régimes d’avantages sociaux non assurés

Cette section du projet de loi 68 s’applique à : 

  • un assureur au sens de la Loi sur les assureurs4;
  • « un régime d’avantages sociaux non assurés, doté ou non d’un fonds, et qui accorde à l’égard d’un risque une protection qui pourrait être autrement obtenue en souscrivant une assurance de personnes ».

Ainsi, les employeurs qui administrent un régime d’avantages sociaux non assurés peuvent être visés par ces nouvelles dispositions.

Un assureur ou un administrateur de régime d’avantages sociaux non assurés (l’Administrateur) ne pourra, directement ou indirectement, exiger que l’assuré, l’adhérent ou le bénéficiaire reçoive un service médical pour obtenir le remboursement des services d’un intervenant du domaine de la santé ou du coût d’une aide technique. De plus, il ne sera pas possible d’exiger un service médical à une fréquence prédéterminée différente de celle déterminée par le médecin traitant pour maintenir le versement d’une prestation d’invalidité. Des exceptions pourront être prévues dans un règlement à être adopté par le gouvernement. 

L’assureur ou l’Administrateur sera réputé avoir contrevenu à ces nouvelles interdictions lorsque le contrat d’assurance ou le régime d’avantages sociaux contient une clause lui permettant d’exiger un tel service médical5

En cas de contravention, la loi prévoit notamment les mesures administratives et pénales suivantes :

  • le recouvrement par Santé Québec auprès de l’assureur ou de l’Administrateur du coût assumé par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) pour un service médical;
  • l’émission, par Santé Québec, d’une sanction administrative pécuniaire de 5 000 $; ou
  • l’imposition d’une amende de 1 000 $ à 1 000 000 $.

La plupart de ces nouvelles dispositions législatives entrent en vigueur à des dates à être fixées par le gouvernement. Entre-temps, les employeurs administrant un régime d’avantages sociaux non assurés ont tout intérêt à se préparer dès à présent à l’entrée en vigueur de cette section du projet de loi 68.


Notes

1  

Il s’agit des absences pour « remplir des obligations reliées à la garde, à la santé ou à l’éducation de son enfant ou de l’enfant de son conjoint, ou en raison de l’état de santé d’un membre de la famille ou d’une personne pour laquelle la personne salariée agit comme proche aidant » au sens des articles 79.6.1 et 79.7 de la LNT.

2  

Article 79.2 de la LNT.

3   Article 79.2 de la LNT.

4   RLRQ, c. A-32.1.

5  

Cette disposition n’entrera en vigueur que le 9 octobre 2027.



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