Au cours de la pandémie de COVID-19, les parties à des litiges et les tribunaux ont dû faire face à une nouvelle frontière du processus judiciaire. Cette difficulté a toutefois amené les tribunaux à prendre des mesures plus décisives pour moderniser et simplifier ce processus. Un certain nombre de décisions récentes indique que les tribunaux canadiens sont de plus en plus disposés à adopter des procédures plus contemporaines et plus efficaces. Nous croyons qu’au moins certaines de ces procédures survivront à la pandémie.
Les tribunaux se prononcent sur la manière de mener un procès
Le 21 mai 2020, dans l’affaire Rovi Guides, Inc. c Vidéotron Ltée, la Cour fédérale du Canada a franchi une étape importante dans son évolution numérique en fixant les paramètres d’un procès à distance devant être mené par vidéoconférence, à la suite d’une conférence de gestion de l’instruction.
La décision donne une indication sur la manière dont la Cour fédérale envisage le fonctionnement des procès dans le cadre de la pandémie mondiale de COVID-19. Cependant, aucune de ces considérations n’est propre à la Cour fédérale. Les parties à des litiges auront intérêt à connaître l’incidence que pourrait avoir cette décision sur leurs propres procédures, ainsi que les mesures que les tribunaux sont disposés à prendre pour s’assurer que les causes sont toujours entendues malgré la pandémie.
Dans sa décision, le tribunal a reconnu qu’il fallait établir un équilibre entre la protection de la santé et de la sécurité des participants à l’audience et la nécessité de maintenir le fonctionnement de la justice. Compte tenu des restrictions locales en matière de santé publique, l’affaire a été entendue à distance au moyen de la plateforme Zoom, devenue populaire. Cependant, le tribunal a donné des directives concernant l’utilisation de cette plateforme, notamment ce qui suit :
- L’agent du greffe doit agir à titre d’« hôte » des séances Zoom et le juge du procès, à titre d’« hôte conjoint ».
- Les participants à l’instruction ne peuvent pas utiliser la fonction de clavardage de Zoom pour tenir des conversations privées, mais le juge du procès et l’agent du greffe pourraient utiliser cette fonction.
- Le tribunal peut utiliser la fonction des salles de petits groupes de Zoom lorsqu’un témoin doit être isolé.
- Les microphones doivent être mis en sourdine et les caméras doivent être désactivées à divers moments au cours de l’audience.
- Les membres du public et les médias peuvent avoir accès aux portions publiques d’une audience à distance en demandant au tribunal un lien permettant d’accéder à la séance Zoom.
Le tribunal a tenté de répondre aux préoccupations pratiques qui peuvent être soulevées concernant les problèmes techniques éventuels qui pourraient entraver l’audience, en prévoyant ce qui suit :
- Les avocats doivent prendre des mesures raisonnables pour s’assurer qu’ils disposent de moyens technologiques convenables, y compris les connexions Internet et audiovisuelles nécessaires.
- Le matériel et les logiciels doivent être mis à l’essai avant le procès.
- Le procès sera ajourné si une « personne essentielle » perd sa connexion Internet. La personne considérée comme une « personne essentielle » peut varier à divers moments au cours de l’audience.
- Une objection peut être soulevée après qu’un témoin a répondu à une question si des problèmes de connexion Internet ont empêché l’avocat d’exprimer son opposition en temps opportun.
- Les avocats doivent dresser conjointement une liste des autres numéros de téléphone à utiliser en cas d’interruption des communications.
La décision établit également des règles de convocation des témoins et comprend un document sur les pratiques exemplaires à l’intention des témoins, qui réitère leurs obligations.
La simplification va au-delà de la comparution par vidéo
L’approche du tribunal en matière de modernisation dans l’affaire Rovi Guides s’est répercutée, le 24 juin 2020, sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Teksavvy Solutions Inc. v Bell Media Inc. Dans cette autre décision, le tribunal a reconnu que la pandémie avait accéléré le rythme de l’élaboration de nouvelles procédures par les tribunaux. Afin de déterminer si six parties intervenantes représentées séparément remplissaient les conditions d’intervention, le tribunal a tenu compte de la nécessité d’un changement de culture pour créer un système judiciaire plus efficace, plus rapide et moins coûteux.
Ainsi, bien que le tribunal ait conclu que chaque partie remplissait les conditions d’intervention prévues à l’article 109 des Règles des Cours fédérales, il a pris la décision inhabituelle de séparer les six intervenants en trois groupes distincts. Le tribunal a estimé qu’autoriser l’intervention distincte des six intervenants ne mènerait qu’à une absence d’économie et à la duplication. Au lieu de cela, pour simplifier la procédure, le tribunal a autorisé un seul mémoire pour chacun des trois groupes.
Le tribunal a dit espérer que cette collaboration créerait des synergies utiles et mènerait à des représentations plus succinctes et plus convaincantes. Dans sa décision, le tribunal souligne l’importance de parvenir à consolider et à simplifier les procédures judiciaires lorsque cela est possible, tout en reconnaissant que toutes les améliorations ne seront pas d’ordre technologique.
Le changement culturel emboîte le pas
Une autre décision récente de la Cour suprême de la Colombie-Britannique confirme que le changement culturel peut remodeler des présomptions historiques de manière importante. Dans l’affaire Winchester Investments Ltd. v Polygon Restoration Inc./Polygon Apres Sinistre Inc. 2020 BCSC 999, la Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est penchée sur la façon de procéder lorsqu’un représentant devant participer à l’interrogatoire préalable se trouvait à Montréal, alors que les deux avocats étaient à Vancouver. La partie interrogatrice a voulu obtenir une ordonnance autorisant que l’interrogatoire préalable soit tenu en personne à Montréal, tandis que la partie défenderesse a voulu obtenir une ordonnance imposant aux deux avocats de procéder depuis Vancouver.
Le tribunal a conclu qu’autoriser l’avocat procédant à l’interrogatoire à se rendre à Montréal pour mener l’interrogatoire en personne constituait l’imposition d’une charge inutile et injustifiée aux participants à l’interrogatoire préalable. Le tribunal s’est appuyé sur la reconnaissance maintenant répandue du fait que les services de sténographes judiciaires disposent de la technologie nécessaire à Vancouver pour procéder à distance à l’interrogatoire préalable d’une personne se trouvant à Montréal. Au final, le tribunal a conclu que l’interrogatoire préalable par vidéo était plus efficace et devait être préconisé.
Conclusion
Malheureusement, on ne sait toujours pas quand la vie et les tribunaux reprendront leur cours « normal », tel que nous le connaissons (ou l’avons connu). En attendant, les tribunaux recourent à la technologie pour s’assurer que le processus judiciaire poursuive son cours et que le système judiciaire bénéficie de gains d’efficacité.
On peut s’attendre à ce que les poursuites judiciaires soient menées de manière très différente à l’avenir. En effet, nous espérons qu’elles soient irrévocablement transformées – pour le mieux. Les parties et les avocats surveilleront les prochaines décisions qui indiqueront jusqu’où les tribunaux sont prêts à aller pour moderniser le système judiciaire canadien.