La Cour d’appel reconnaît que le courriel professionnel d’un salarié peut servir à diffuser un message de nature syndicale dans le cadre de négociations

Publication juillet 2019

Dans une décision récente, la Cour d’appel1 confirme le caractère raisonnable d’une décision de la Commission des relations du travail (CRT) qui a ordonné au gouvernement du Québec de permettre à certains de ses salariés d’inclure, dans la signature de leurs courriels professionnels, un message de nature syndicale dans le cadre de leurs négociations. Toutefois, la Cour d’appel précise que cette décision de la CRT n’en est pas une de principe et qu’une analyse des faits est requise dans chaque situation.

Contexte

À l’automne 2014, l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (l’APIGQ) entreprend des négociations afin de renouveler la convention collective de ses membres. Dans le cadre de ces négociations, plusieurs membres incluent un message à teneur syndicale dans la signature de leurs courriels professionnels, et ce, à la suggestion de l’APIGQ.

Estimant que ses salariés ne pouvaient agir de la sorte sur le fondement que de tels agissements violaient notamment leur obligation de loyauté et leur devoir de réserve, et constituaient une utilisation non autorisée de ses biens, le gouvernement du Québec fait alors parvenir aux salariés des avertissements écrits leur demandant de retirer ce message, à défaut de quoi, ils pourraient faire l’objet de mesures plus sévères.

Face à cette situation, l’APIGQ dépose une plainte auprès de la CRT, au motif que l’interdiction du gouvernement du Québec correspond à de l’ingérence au sein de ses activités syndicales.

Décisions des instances inférieures

S’inspirant de la notion de piquetage, la CRT en vient à la conclusion que les membres, en ajoutant le message susmentionné à la signature de leurs courriels professionnels, ne font qu’exercer leur droit à la liberté d’expression en matière de relations de travail. En l’occurrence, la CRT estime que l’interdiction du gouvernement du Québec porte atteinte à ce droit protégé par les Chartes et que cette atteinte n’est pas justifiée dans ce contexte. En fait, dans la mesure où le message en cause n’entraîne aucun effet néfaste, la CRT considère que le droit de propriété du gouvernement du Québec sur la messagerie électronique ne saurait constituer une justification suffisante pour limiter le droit à la liberté d’expression des membres. La CRT ordonne donc au gouvernement du Québec de lever son interdiction.

Cette décision de la CRT fut ensuite portée en révision judiciaire en Cour supérieure. À la suite de son analyse, la Cour supérieure casse la décision de la CRT et rejette la plainte de l’APIGQ.

Décision de la Cour d’appel

Plutôt que de s’en tenir à vérifier si la solution retenue par la CRT fait partie des issues possibles et acceptables, la Cour d’appel estime que la Cour supérieure a favorisé son propre raisonnement et qu’elle a imposé la décision qu’elle aurait rendue si elle avait été saisie de la plainte à l’origine. La Cour d’appel considère qu’il s’agit d’une erreur, car, dans le présent cas, la décision de la CRT et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.

La Cour d’appel conclut que le raisonnement de la CRT est étayé et suit une démarche rationnelle. De fait, avant de conclure au bien-fondé de la plainte de l’APIGQ, la CRT a procédé à l’évaluation des intérêts respectifs des parties et a circonscrit les limites raisonnables des droits invoqués par celles-ci. De plus, la CRT a fait les distinctions qui s’imposaient, en tenant compte du contexte des négociations en cours ainsi que de l’absence de preuve de préjudice résultant de la diffusion du message en cause. Bref, la Cour d’appel est d’avis que la conclusion de la CRT fait partie des issues possibles et acceptables.

Ce qu’il faut retenir

En somme, en confirmant le caractère raisonnable de la décision de la CRT, la Cour d’appel vient donc ouvrir la porte à l’utilisation de la messagerie électronique de l’employeur afin de diffuser un message de nature syndicale dans le cadre de négociations. 

Néanmoins, comme le précise la Cour d’appel, il est important de noter que la décision de la CRT ne vient pas statuer que, dans toutes circonstances, la messagerie électronique de l’employeur peut être utilisée à cette fin par les salariés.

Dans chaque situation, une analyse des faits demeure nécessaire pour déterminer si le droit à la liberté d’expression des salariés prévaut ou non. Reste que cette affaire constitue un premier précédent notable en la matière à considérer pour les employeurs québécois.

L’auteur désire remercier Cédrick Bérard pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.


Notes

1   Association professionnelle des ingénieurs du Gouvernement du Québec c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 1171.



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