Dans un bulletin de novembre 2017, nous traitions d’une décision de la Cour supérieure reconnaissant qu’en sus des cinq critères du test classique énoncé dans l’arrêt Costco, un employeur devait remplir un sixième critère avant de procéder à un congédiement administratif fondé sur l’incompétence ou le rendement insuffisant d’un employé. L’affaire avait toutefois été portée en appel par l’employeur, laissant planer l’incertitude sur la question. Le 31 mai 2019, la Cour d’appel a finalement reconnu qu’il était raisonnable, dans les circonstances particulières de cette affaire, en plus d’exiger de l’employeur la preuve de l’incompétence de l’employé, d’exiger qu’il déploie des efforts raisonnables pour le réaffecter dans un autre poste compatible avec ses compétences avant de mettre fin à son emploi… tout en reconnaissant qu’un autre décideur aurait pu décider autrement.
Les faits
Au moment de son congédiement administratif, l’employé (plaignant) occupait un poste de technicien en administration à l’éducation des adultes depuis 10 ans et était à l’emploi de la même commission scolaire depuis 14 ans. Il était reconnu qu’il n’avait jamais accompli l’ensemble des tâches de son poste car il s’était vu confier des tâches allégées.
À la suite de changements à la direction, on a procédé à une révision de la description des tâches du plaignant et on a décidé d’y ajouter des tâches, l’objectif étant de rehausser ses tâches à un niveau plus compatible à son titre.
Peu après avoir confié ces nouvelles tâches au plaignant, l’employeur a constaté de sérieuses lacunes sur le plan de sa productivité. Un programme d’amélioration de la performance a donc été mis en place pour une période de trois mois, lequel s’est avéré infructueux.
On propose alors au plaignant de le muter à un poste de réceptionniste et on lui demande de donner une réponse dans un délai de trois jours. La plaignant refuse l’affectation proposée et quelques semaines après, il sera congédié.
L’arbitre chargé d’entendre le grief du plaignant a conclu que l’employeur avait agi abusivement en contrevenant à son obligation de trouver une solution alternative raisonnable au congédiement. Celui-ci a donc été annulé. La Cour supérieure a rejeté la demande de contrôle judiciaire introduite par l’employeur, ce qui l’a ensuite conduit à demander à la Cour d’appel d’intervenir.
La décision de la Cour d’appel
D’abord, il semble acquis pour la Cour d’appel qu’il est raisonnable pour un employeur, en règle générale, de se départir d’un employé incompétent lorsque les cinq critères de l’arrêt Costco sont remplis, et ce, sans tenter au préalable de le réaffecter dans un autre poste compatible avec ses compétences.
Rappelons que les cinq critères de l’arrêt Costco sont les suivants :
- L’employé doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
- ses lacunes lui ont été signalées;
- il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
- il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
- il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
Toutefois, il n’est pas nécessairement déraisonnable, selon la Cour d’appel, d’imposer une obligation de tenter de réaffecter l’employé dans un autre poste compatible avec ses compétences en présence de circonstances particulières.
À cet égard, la Cour d’appel rappelle avec vigueur que lorsque les tribunaux supérieurs sont appelés à contrôler le caractère raisonnable d’une décision d’un arbitre de grief, une grande déférence est de mise à l’égard du raisonnement de l’arbitre. De fait, une même situation factuelle peut donner lieu à plusieurs issues raisonnables et une controverse jurisprudentielle ne constitue pas en soi un motif d’intervention judiciaire.
En l’espèce, selon la Cour d’appel, vu les circonstances particulières de l’affaire, il n’était pas déraisonnable pour l’arbitre d’annuler le congédiement au motif que l’employeur n’a pas trouvé une solution alternative raisonnable au congédiement. La Cour d’appel caractérise cependant cette approche de l’arbitre de « particulière ». À ce chapitre, elle met en exergue le fait que l’employeur a toléré pendant neuf ans le plaignant dans son poste alors qu’il n’était pas qualifié pour celui-ci, lui confiant diverses tâches sans se soucier de son titre d’emploi, tâches dont l’intéressé s’acquittait apparemment de façon satisfaisante.
Quoi retenir
L’obligation de tenter de réaffecter un employé dans un poste correspondant à ses compétences ne s’inscrit pas comme un critère impératif s’appliquant automatiquement. Contrairement aux cinq critères reconnus dans l’arrêt Costco, qui doivent être entièrement remplis, et ce, peu importe les circonstances, ce sixième « critère » est selon nous d’application particulière et non générale.
Les employeurs québécois doivent retenir que l’arbitre de grief peut prendre en compte tout élément factuel pertinent afin de déterminer si le congédiement est justifié. Ainsi, le fait de ne pas avoir fait d’efforts raisonnables pour tenter de relocaliser l’employé dans un poste correspondant à ses compétences pourrait faire pencher la balance, selon les circonstances particulières à chaque cas, et selon le décideur saisi de l’affaire.
En définitive, les employeurs ont tout intérêt à agir de façon proactive devant l’incompétence ou le rendement insuffisant d’un employé en mettant en place un plan d’amélioration de la performance et en respectant les critères établis dans l’arrêt Costco.
Cela dit, afin d’éviter de se voir imposer l’obligation de tenter de réaffecter un employé dans un autre poste, nous sommes d’avis qu’un employeur devrait notamment éviter de « tolérer » pendant plusieurs années l’incompétence ou le rendement insatisfaisant d’un employé. Dans un tel cas, il semble clair que sa volonté soudaine de prendre en charge la situation pourrait se buter à sa « tolérance » passée et influencer un décideur à retenir qu’il était injustifié de procéder à un congédiement administratif sans avoir au préalable fait d’efforts raisonnables pour le replacer dans un autre poste correspondant à ses compétences.
L’auteure désire remercier Hugo Séguin, étudiant en droit, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.