Depuis 2022, le gouvernement du Canada a instauré trois vagues de modifications de la Loi sur la concurrence (Loi), apportant ainsi d’importants changements aux lois sur la concurrence canadiennes. Les modifications les plus récentes ont reçu la sanction royale le 20 juin 2024. Notre publication sur l’ensemble des modifications se trouve ici. Le présent bulletin fait partie d’une série visant à aider les entreprises à comprendre et à respecter leurs nouvelles obligations en vertu de la Loi.

Avec l’adoption du projet de loi C-59, les fusions touchant des sociétés canadiennes devront composer avec de nouveaux enjeux en raison des importantes modifications apportées aux dispositions de la Loi en matière d’examen des fusions. Les entreprises qui prévoient conclure des transactions constituant des fusions en vertu de la Loi devront comprendre comment leurs affaires seront touchées et envisager de retenir les services de conseillers juridiques en droit de la concurrence dès les débuts du processus pour s’assurer d’évaluer les risques éventuels liés aux lois sur la concurrence à l’égard de leurs transactions afin d’élaborer une stratégie d’examen de la fusion efficace.


De nouvelles présomptions structurales concernant les fusions anti-concurrentielles et un fardeau de la preuve inversé pour les parties fusionnantes

Auparavant, une fusion était légale en vertu de la Loi, à moins que le commissaire de la concurrence (commissaire) ne prouve qu’elle était susceptible d’avoir pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. La Loi interdisait également au Tribunal de la concurrence (Tribunal) de conclure qu’une fusion aurait pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence en se fondant uniquement sur une augmentation de la concentration ou de la part du marché.

Parmi les changements les plus significatifs apportés par le projet de loi C-59 figure l’instauration de présomptions structurales selon lesquelles les fusions dépassant les seuils prescrits de parts de marché et de concentration sont anti-concurrentielles1. Lorsque les présomptions s’appliquent, le fardeau de la preuve est inversé, et c’est aux parties fusionnantes qu’il incombe de réfuter la présomption en établissant, selon la prépondérance des probabilités, que leur transaction n’aura pas pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

Il faudra tenir compte de facteurs tels que les effets concurrentiels vraisemblables de la transaction liés aux prix et non liés aux prix, l’étendue et l’efficacité de la concurrence restante, la disponibilité de substituts, les barrières à l’entrée et d’autres facteurs du genre. Même si plusieurs considérations de ce type constituaient des caractéristiques de l’examen des fusions au Canada avant l’adoption du projet de loi C-59, le fait que les parties fusionnantes sont dorénavant tenues de prouver un fait négatif signifie qu’elles devront s’attendre à fournir davantage de preuves pour remplir ce critère par rapport à ce qui était demandé auparavant. Il reste à voir quel degré de preuve sera requis pour s’acquitter de ce fardeau.

Les seuils prescrits déclenchent les présomptions structurales si, dans un marché pertinent, i) il y aura une augmentation de l’indice de concentration2 de plus de 100 et que ii) l’indice de concentration sera vraisemblablement supérieur à 1 800 ou les parties auront une part du marché combinée vraisemblablement supérieure à 30 %.

Vu les présomptions structurales et les seuils prescrits, il sera plus important que jamais de veiller à ce que les marchés pertinents soient définis de manière appropriée et que les indices de concentration et les parts de marché soient déterminés adéquatement, particulièrement dans les situations complexes, d’autant que, par le passé, le Bureau de la concurrence (Bureau) a adopté des positions incisives quant à la définition des marchés qui ne se sont pas toujours imposées.

En outre, l’inclusion d’une part du marché combinée de 30 % dans les seuils prescrits par la Loi remet en question le seuil d’examen des fusions figurant dans les lignes directrices Fusions – Lignes directrices pour l’application de la loi actuelles publiées par le Bureau, qui prévoit que le commissaire ne contestera généralement pas une fusion lorsque la part du marché détenue par l’entreprise fusionnée après la fusion serait inférieure à 35 %3 et s’en écarte.

En conséquence, lorsqu’il est évident ou qu’il est permis de croire que les transactions dépassent l’un ou l’autre des seuils prescrits, les examens des fusions seront vraisemblablement plus longs, plus complexes et assujettis à des exigences élevées en matière de documents et de données. De plus, comme l’approche générale du Bureau en matière d’examen des fusions à la lumière des présomptions structurales reste à voir, les parties fusionnantes devront probablement se demander si elles sont prêtes à conclure leurs transactions sans l’accord présumé du Bureau plus souvent qu’auparavant et dans quelles circonstances elles seraient disposées à le faire.

Les mesures correctives à l’égard des fusions anti-concurrentielles doivent préserver la concurrence ou la rétablir au niveau qui aurait existé sans la fusion

Un critère plus strict pour les mesures correctives a également été instauré. En conséquence de ce changement, si le Tribunal a des préoccupations au sujet d’une transaction, les mesures correctives qu’il ordonne doivent rétablir la concurrence au niveau qui aurait existé s’il n’y avait pas eu de fusion. Le Tribunal peut également interdire à une personne d’accomplir tout acte s’il estime que cette interdiction est nécessaire pour veiller à ce que la fusion n’empêche pas ni ne diminue la concurrence – les modifications ont éliminé l’exigence antérieure selon laquelle ces mesures doivent assurer que la fusion n’empêche pas ni ne diminue sensiblement la concurrence. Le Tribunal peut ainsi examiner les effets anti-concurrentiels d’une fusion, qu’ils soient importants ou non.

Il s’agit d’un changement fondamental dans la législation canadienne en matière de concurrence qui, avant les modifications, se contentait d’exiger que les mesures correctives en matière de fusion  rétablissent la concurrence au point où elle ne pourrait plus être considérée comme étant sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant la fusion.

À la lumière de ces changements, les parties fusionnantes dans le cadre de transactions qui pourraient soulever des préoccupations en matière de concurrence doivent examiner minutieusement quels types de risques et de mesures correctives se rapportant aux transactions, dont des dessaisissements, elles seraient prêtes à accepter, que ce soit par voie de négociation ou selon ce que le Tribunal pourrait ordonner. Ces considérations pourraient influer sur le raisonnement commercial derrière les transactions et sur les dispositions en matière de répartition des risques dans les conventions relatives aux transactions.

Étant donné que la plupart des parties fusionnantes cherchent à résoudre les préoccupations soulevées par le Bureau sans en venir à un litige, elles pourraient dorénavant devoir être plus disposées à accepter des mesures correctives plus substantielles pour obtenir l’autorisation de fusionner par voie de négociation.

Autres mesures

Certaines autres incidences clés des modifications aux dispositions de la Loi en matière d’examen des fusions comprennent ce qui suit :

  • L’instauration de nouveaux facteurs que le Tribunal prendra en compte dans le cadre de l’évaluation des fusions, y compris tout effet découlant de la variation de la concentration ou des parts de marché entraînée ou vraisemblablement entraînée par une fusion, la possibilité que la fusion puisse entraîner une coordination expresse ou tacite entre les concurrents dans le marché et la question de savoir si la fusion est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur le marché du travail.
  • Les révisions des seuils qui déclenchent les exigences d’avis obligatoires en vertu de la Loi, augmentant potentiellement de ce fait la portée des transactions assujetties à un avis au Canada, particulièrement celles qui ont lieu à l’extérieur du Canada et qui ont un lien avec le Canada.
  • L’augmentation de la période pendant laquelle le commissaire peut contester des fusions qui n’ont pas fait l’objet d’un avis (passant de un an après la clôture de la transaction à trois ans après la clôture de la transaction).
  • La précision du fait qu’il y a des obligations de nouvelle production d’avis pour les parties fusionnantes qui ont reçu une renonciation de la part du commissaire à l’obligation de produire des préavis de fusion à l’égard de leur transaction4 si cette dernière n’est pas menée à bien dans un délai de un an. Cette modification fait concorder la période de validité pour différents types de documents à produire qui peuvent être déposés en vertu de la Loi à l’égard des transactions devant faire l’objet d’un avis.

Prochaine étape?

Nous prévoyons que le Bureau publiera des lignes directrices mises à jour en matière d’application de la loi pour les fusions qui, espérons-le, devraient donner une orientation quant à son approche en matière d’examens des fusions dans l’avenir. Il est à espérer que cette mise à jour offrira de la clarté et de la transparence aux parties fusionnantes et à leurs conseillers. Vu les modifications considérables, il sera également plus important que jamais pour les parties fusionnantes d’entreprendre une analyse des incidences de leurs transactions sur la concurrence et d’élaborer une stratégie appropriée d’examen de la fusion à un stade précoce du processus de la transaction. Étant donné le régime d’examen des fusions révisé, les parties devraient également se préparer à la possibilité que les examens des fusions soient plus importants et compliqués sur le plan de la procédure, de l’échéancier et des coûts.


Notes

1   Les transactions ayant fait l’objet d’un avis au commissaire avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-59 ne sont pas assujetties aux présomptions structurales. 

2  

Calculé en additionnant le carré des parts de marché de toutes les entreprises en concurrence, aussi connu sous le nom d’« indice de Herfindahl-Hirschman » ou « IHH ».

3  

À l’heure actuelle, il n’y a aucune indication quant au moment où le Bureau mettra à jour les lignes directrices Fusions – Lignes directrices pour l’application de la loi afin de prendre en compte les diverses modifications de la Loi apportées par le projet de loi C-59 et les modifications antérieures de 2022 et de 2023.

4  

Au Canada, les parties fusionnantes peuvent demander un certificat de décision préalable auprès du commissaire ainsi qu’une renonciation à l’obligation de produire des préavis de fusion à l’égard de leur transaction. 



Personnes-ressources

Associée
Associé principal, chef canadien, Gouvernance
Associé principal
Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence

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