Dans la décision récente Kitsilano Coalition v. British Columbia (Attorney General)1, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (Cour d’appel) a conclu que la législature de la Colombie-Britannique avait fait preuve d’ingérence indue dans le rôle juridictionnel du tribunal en vue d’accélérer la construction d’un projet de logements supervisés pour les personnes à faible revenu.

L’affaire Kitsilano fournit des indications utiles sur l’étendue des pouvoirs accordés au législateur de prendre des mesures visant à éviter ou à freiner les recours en justice découlant de l’approbation d’un projet de développement. Bien que le législateur soit autorisé à modifier avec effet rétroactif les règles juridiques de fond qui s’appliquent à un différend, il ne peut s’ingérer dans la fonction juridictionnelle du tribunal2. Dans l’affaire Kitsilano, le législateur de la Colombie-Britannique est allé trop loin.

Les entreprises qui font appel aux instances gouvernementales pour accélérer les projets d’infrastructure et de ressources ou le développement de projets immobiliers se doivent de prendre acte des limites du pouvoir législatif mises en lumière dans l’affaire Kitsilano. Demander au gouvernement d’intervenir d’une manière qui outrepasse son rôle risque de se solder par des retards supplémentaires.

Comprendre l’affaire Kitsilano

Comment une modification de zonage contestée a mené à des mesures législatives visant à empêcher la révision judiciaire

Les faits dans l’affaire Kitsilano concernent une demande de modification de zonage contestée dans la ville de Vancouver3. En 2021, la Ville de Vancouver a amorcé la planification d’un projet de logements supervisés pour les personnes à faible revenu qui exigeait une modification de zonage des terrains en cause. La Ville a voulu modifier son règlement de zonage, enclenchant un processus de consultation publique conformément à la charte de Vancouver4.

Après la consultation publique, la majorité du conseil municipal a approuvé en principe la modification de zonage5. Par la suite, la Kitsilano Coalition for Children & Family Safety Society (la Coalition) a exprimé des préoccupations quant au caractère équitable de la consultation publique et a ultérieurement déposé, en octobre 2022, une requête en révision judiciaire.

En avril 2023, avant que la requête puisse être entendue, le ministre du Logement (Minister of Housing) a déposé le projet de loi 26, Municipalities Enabling and Validating Act (No 5) (la Loi)6. En vertu de cette Loi, le processus de consultation publique avait été considéré valide malgré les dispositions de la charte de Vancouver, le règlement de procédure de la Ville et toute décision judiciaire contraire. La Loi avait eu pour effet d’entraîner l’adoption de la modification du règlement de zonage de sorte que la construction du projet de logements pouvait commencer en dépit du recours intenté par la Coalition7. Comme la Cour d’appel allait le confirmer, la Loi avait pour effet de rendre vaine la requête en révision judiciaire de la Coalition8.

La Cour d’appel fait respecter les rôles constitutionnels : le législateur légifère et les tribunaux statuent 

La Coalition demandait que la Loi soit déclarée contraire à l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 18679, puisqu’elle privait la Cour suprême de la Colombie-Britannique de son pouvoir de révision judiciaire et allait à l’encontre des principes constitutionnels fondamentaux, notamment l’indépendance judiciaire, la séparation des pouvoirs et l’accès à la justice10

La Cour d’appel a infirmé la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique11. Bien que la Loi n’ait pas semblé entraver à première vue le processus judiciaire, la Cour d’appel en a jugé autrement. Conséquemment, en adoptant la Loi, la législature britanno-colombienne a fait perdre sa raison d’être au tribunal et au rôle de surveillance constitutionnelle de celui ci, a approuvé une possible violation de l’équité procédurale de la part de l’administration municipale et a porté atteinte aux dispositions de la charte de Vancouver visant à assurer la participation du public aux décisions des élus12.

La Cour d’appel a jugé que la Loi était nulle et sans effet13.

Les points clés

Contrairement à ce qui s’est produit dans l’affaire Kitsilano, la législature de la Colombie-Britannique est demeurée à l’intérieur de son terrain de jeu constitutionnel dans l’affaire Barbour v. University of British Columbia14

Dans l’affaire Barbour, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré que le conseil des gouverneurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC Board of Governors) avait outrepassé ses pouvoirs en appliquant des règlements sur le stationnement et a ordonné que les membres d’une action collective soient dédommagés15. En réponse, la législature de la Colombie-Britannique a modifié la University Act, élargissant avec effet rétroactif les pouvoirs du conseil et rendant nulle l’ordonnance de dédommagement16. La Cour d’appel a maintenu l’adoption de la loi avec effet rétroactif inversant une décision judiciaire, jugeant que cela relevait du pouvoir constitutionnel du législateur. Dans l’affaire Barbour, contrairement aux tentatives de la législature britanno-colombienne d’empêcher la révision judiciaire dans l’affaire Kitsilano, la législature n’a pas fait preuve d’ingérence par rapport à la décision touchant l’action collective en soi. Elle a plutôt modifié la loi, ce qui s’est répercuté de façon importante et préjudiciable sur les droits des participants à l’action collective. Il s’agissait de l’exercice valide de son pouvoir législatif.

Contrairement à l’affaire Kitsilano, où le législateur a tenté de faire entièrement échec au recours, la Cour d’appel a jugé que les mesures législatives prises dans l’affaire Barbour étaient acceptables, car elles ne modifiaient que les règles juridiques de fond ayant une incidence sur le litige, pouvoir légitime dont le législateur dispose17. Dans l’affaire Kitsilano, le législateur a outrepassé son pouvoir en empêchant avec succès les tribunaux d’exercer leur rôle constitutionnel de surveillance.

Les entreprises traitant avec des fonctionnaires dans le cadre de projets immobiliers contestés devraient être conscientes des limites du pouvoir législatif afin d’éviter le recours à une intervention législative illégale qui ne ferait que retarder encore plus leurs projets. 

Bien que le législateur soit autorisé à modifier les règles juridiques de fond, il ne peut s’ingérer dans le processus judiciaire en soi. 

L’auteur tient à remercier Madeline Heinke, stagiaire, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique. 


Notes

1  

Kitsilano Coalition for Children & Family Safety Society v. British Columbia (Attorney General), 2024 BCCA 423 [Kitsilano].

2  

Kitsilano, par. 1, citant Barbour v. the University of British Columbia, 2010 BCCA 63, autorisation de pourvoi refusée, par. 32 [Barbour]

3  

Kitsilano, par. 6 et 8.

4  

Vancouver Charter, SBC 1953, c 55.

5  

Kitsilano, par. 11 et 12.

6  

Municipal Enabling and Validating Act (No 5), SBC 2023, c 3.

7   Kitsilano, par. 13 à 15.

8  

Kitsilano, par. 68 et 69.

9  

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria chap. 3.

10  

Kitsilano, par. 17.

11  

Kitsilano, par. 71.

12   Kitsilano, par. 68 et 69.

13  

Kitsilano, par. 72.

14   Barbour v. the University of British Columbia, 2010 BCCA 63, autorisation de pourvoi refusée [Barbour]. 

15  

Barbour, par. 6.

16  

Barbour, par. 25.

17  

Barbour, par. 30 à 32.



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