Infrastructures et climat : Protéger les gens et les biens des phénomènes météorologiques catastrophiques

Canada Publication juin 2022

Doug Buchanan, chef mondial, Infrastructures et ressources de NRF et Nick Merritt, associé en droit des infrastructures à Singapour (et qui a occupé le poste de Doug pendant cinq ans), se sont récemment entretenus du rôle que pouvaient jouer les infrastructures face aux changements climatiques et de la conclusion largement partagée à l’issue de la COP 26 qui s’est tenue à Glasgow l’automne dernier, que l’on peut résumer par la citation suivante [TRADUCTION] :

« Le message de Glasgow est sans équivoque : les gouvernements qui représentent la majorité de la population mondiale ont averti les « leaders en matière de climat » occidentaux que le recours soutenu aux hydrocarbures, indispensable à la prospérité économique et à la stabilité politique, doit cesser. Il n’est désormais plus question de limiter les changements climatiques, mais de s’y adapter, et les économies en développement doivent montrer l’exemple1

Voici une transcription révisée de la discussion :

Doug : Nick, merci infiniment d’avoir pris le temps d’échanger aujourd’hui. En tant qu’ancien et actuel chefs mondiaux, Infrastructures et ressources de NRF, nous nous sommes tous deux penchés longuement sur la relation entre infrastructures et changements climatiques et, compte tenu des phénomènes météorologiques que nous observons actuellement, il s’agit d’un sujet vraiment à propos.

Nick : Tout à fait. Les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour nous deux, d’autant plus que nous vivons et travaillons dans deux villes (Singapour et New York) qui subiront de plein fouet les répercussions du dérèglement climatique, comme les tempêtes et l’élévation du niveau de la mer. De plus, nos collègues du monde entier, mais particulièrement dans l’Ouest canadien, en Californie, en Australie et dans la région méditerranéenne, font les frais d’un éventail ahurissant de catastrophes climatiques, comme des épisodes de sécheresse, des feux incontrôlés et des inondations, dont l’intensité et la fréquence ne cessent d’augmenter. Un rapport des Nations Unies sur l’action climatique2 a récemment conclu que les infrastructures étaient à l’origine de 79 % de toutes les émissions de GES et comptaient pour 88 % des coûts des mesures d’adaptation. Au vu de ces chiffres affolants, il est donc clair que si un secteur doit montrer le chemin vers la carboneutralité et protéger notre avenir, ce sont bien les infrastructures. 

Comme nous l’avons appris à Glasgow, il se peut que l’atteinte de la carboneutralité soit illusoire et que nous devions nous attacher à nous prémunir contre les conséquences des changements climatiques, contre lesquels les infrastructures peuvent jouer un rôle crucial.

Dis-moi, d’où te vient ton intérêt pour les infrastructures liées au climat?

Doug : J’en ai entendu parler pour la première fois lorsque je suis arrivé à New York en février 2013. L’ouragan Sandy avait ravagé la côte Est quelques mois auparavant, causant des dommages de près de 70 G$ US, dont d’importants dégâts sur la rive sud de Manhattan. À la suite de cette catastrophe, l’administration municipale chargée de Battery Park a entrepris de mettre au point une infrastructure permettant de protéger le littoral des éventuelles futures ondes de tempête et de l’élévation du niveau de la mer, qu’il était éventuellement question, à l’époque, de financer au moyen de capitaux privés. C’est ainsi que j’ai passé beaucoup de temps à étudier le sujet.

Et toi, à quelle occasion as-tu eu connaissance de cette nouvelle catégorie d’actifs?

Nick : Dans le cadre de notre campagne sur les villes durables, nous devions examiner les éléments de réponse que pouvait apporter le cadre bâti. Sandy a également constitué un tournant pour moi lorsque Henk W.J. Ovink, qui faisait partie du groupe de travail sur la reconstruction à la suite du passage de l’ouragan, a affirmé que « nous n’exploit[i]ons pas suffisamment les catastrophes naturelles ». Il faisait référence aux ravages observés dans des collectivités du New Jersey et se demandait s’il était sage de se contenter de reconstruire à l’identique ce qui avait été détruit, étant donné les dégâts causés. Je me suis alors posé la question suivante : si l’on a la certitude que ces violentes tempêtes ou phénomènes météorologiques majeurs sont inéluctables, comment s’y préparer, compte tenu de l’instabilité accrue de nos systèmes météorologiques? Il ne faut pas s’étonner que des inondations se produisent si l’on construit dans des plaines inondables…

De nos jours, le terme « résilience » est souvent utilisé pour décrire les infrastructures liées au climat. Je sais que tu as énormément réfléchi à la question – comment définirais-tu cette catégorie d’actifs émergente?

Doug : Le terme « résilience » n’est pas toujours parfaitement approprié pour définir les infrastructures liées au climat. Voici comment je vois les choses :

  • « Résilience » s’entend généralement de « la capacité à surmonter des difficultés ou à s’en remettre rapidement », mais je ne crois pas que ce terme couvre toute l’étendue des infrastructures liées au climat; 
  • Le concept de « résilience » peut s’appliquer aux infrastructures de diverses manières. Par exemple, la capacité d’un réseau à résister aux cyberattaques ou d’une centrale électrique à faire face à des actes terroristes est un type de résilience. Mais, en l’espèce, nous parlons d’infrastructures et des répercussions des changements climatiques et phénomènes météorologiques connexes.

Pour ce qui touche les infrastructures liées au climat, j’entrevois deux catégories :

  • une catégorie d’« infrastructures de protection contre les changements climatiques », c’est-à-dire les infrastructures conçues précisément pour protéger la population et les biens des répercussions du dérèglement climatique. Nous avons travaillé sur plusieurs projets de ce type, notamment un projet de 2,2 G$ US qui visait à protéger plus de 250 000 personnes d’inondations de plus en plus fréquentes en détournant la rivière Rouge sur 32 milles de façon à la faire contourner la région métropolitaine de Fargo-Moorhead-West Fargo, dans le Dakota du Nord et le Minnesota. Je pourrais citer également l’expansion, au coût de 1 G$ CA, de 350 000 acres de terres irriguées par le gouvernement de l’Alberta et la Banque de l’infrastructure du Canada afin de limiter les répercussions de la sécheresse liée aux changements climatiques. Nous mettons actuellement au point au Canada un projet d’« infrastructure de protection contre les changements climatiques » pour protéger la population et les biens des conséquences de feux incontrôlés qui, selon nous, offrira un vaste potentiel d’application à l’échelle mondiale;
  • une catégorie d’« infrastructures résistantes aux changements climatiques », soit des infrastructures courantes (routes, égouts, canalisations, etc.) construites ou modifiées selon des normes plus élevées de façon à mieux supporter les répercussions des futurs phénomènes météorologiques liés au dérèglement climatique. Tous les projets d’infrastructure civile auxquels nous participons visent à atteindre ces normes élevées.

Nick : C’est une façon intéressante d’envisager le sujet. L’un des exemples les plus anciens dont je me souvienne est le tunnel routier et de gestion des eaux pluviales (Stormwater Management and Road Tunnel – SMART), construit à Kuala Lumpur en 2007. Située au confluent de deux grands cours d’eau, la ville est sujette aux crues soudaines. À l’instar de la plupart des villes, elle souffre également de gros problèmes de congestion routière. Non seulement l’autoroute à 2 étages de 4 km de long fluidifie la circulation, mais elle permet aussi d’évacuer les eaux de crue; il est même possible de fermer ce tronçon de route pour détourner l’eau de la ville. Ici, à Singapour, État insulaire de faible altitude particulièrement exposé en cas d’élévation du niveau de la mer, le gouvernement a annoncé que la protection de la ville contre ce risque coûterait sûrement 100 G$ US au cours des 100 prochaines années; actuellement, d’importants projets d’infrastructure de protection du littoral et d’atténuation des crues sont en cours. Enfin, si tu te souviens bien, Jakarta se trouve aussi à basse altitude et est sujette aux crues. Elle est même en train de couler. C’est pourquoi, en 2019, le gouvernement a annoncé qu’il construirait une toute nouvelle capitale du nom de Nusantara dans le Kalimantan oriental. Peut-on imaginer un exemple plus criant du besoin de s’adapter aux changements climatiques que de devoir construire une capitale flambant neuve?

Pour en revenir aux catégories que tu as énoncées, il est évidemment plus aisé pour les autorités responsables de l’approvisionnement de privilégier les « infrastructures résistantes aux changements climatiques » en adaptant les codes du bâtiment et les devis descriptifs en matière de construction… Ce qui est bien plus ardu, c’est d’entreprendre un projet d’« infrastructure de protection contre les changements climatiques » de quelque 1 G$ comme celui du détournement de la rivière afin d’éviter les inondations dans la région de Fargo-Moorhead. Quels sont, selon toi, les obstacles à surmonter pour mener à bien un projet d’« infrastructure de protection contre les changements climatiques »?

Doug : Je ne vois aucune solution miracle, mais je pense qu’il faudrait suivre les étapes suivantes, pas nécessairement dans l’ordre d’ailleurs :

  • Il faut que le besoin se fasse généralement sentir, ce qui n’est pas difficile, compte tenu des répercussions catastrophiques du dérèglement climatique (tempêtes, inondations ou encore incendies) dont la population et les biens ont fait les frais ces dernières années;
  • Chaque projet doit s’accompagner d’une vision politique, une « volonté d’action ». La décision de répondre à un « besoin » et pas à un autre ne relève pas d’une analyse objective, mais d’un choix politique;
  • Les conclusions du dossier de décision ou de l’étude de faisabilité doivent être positives et ne pas reposer sur une analyse de la rentabilité, mais plutôt des pertes évitées. Autrement dit, le coût envisagé et modélisé d’un tel projet doit être inférieur aux pertes modélisées qui seront probablement entraînées si le projet ne voit pas le jour. Ces études nécessitent une expertise considérable, notamment des connaissances pointues en modélisation des pertes de biens/liées aux changements climatiques en fonction d’une norme utilisée dans la conception d’obligations-catastrophe et d’autres projets d’assurance;
  • Enfin, une stratégie de financement viable doit être mise en place.

Quand je dis que ces étapes ne suivent pas nécessairement un ordre particulier, je pense par exemple à ce cas où l’on se trouve au milieu d’un projet pour lequel le dossier de décision ou l’étude de faisabilité aux conclusions positives a lieu en dehors du processus politique mais servira, avec un peu de chance, à alimenter la vision politique.

Nick, tu t’es penché sur les diverses stratégies de financement d’« infrastructures de protection contre les changements climatiques ». Qu’en retiens-tu?

Nick : Encore une fois, il n’y a pas de solution miracle, mais voici quelques réflexions :

  • Les projets peuvent être financés entièrement par des fonds gouvernementaux en tant que travaux publics. D'après ce que tu nous as indiqué, cela semble être le cas du projet de protection du littoral de Manhattan entrepris par l’administration municipale chargée de Battery Park;
  • Les projets peuvent être financés en totalité ou en partie par les gouvernements au moyen de majorations fiscales ou de taxes semblables imposées aux personnes qui en tirent parti. Je crois que le projet de détournement de la rivière dans la région de Fargo-Moorhead dont tu parlais s’appuie sur cette stratégie, qui a été bien acceptée par les contribuables parce que leurs primes d’assurance ont été réduites en conséquence;
  • Les projets peuvent être financés par les « utilisateurs payeurs », comme dans le cas du projet d’expansion de l’irrigation que tu as mentionné et qui, si je ne m’abuse, a été financé par la Banque de l'infrastructure du Canada, le prêt ayant été payé par les taxes d’eau imposées aux agriculteurs et agricultrices utilisant les nouveaux services d’irrigation.

McKinsey évalue à 1 300 G$ US les fonds qui seront nécessaires à la construction d’infrastructures neuves et indispensables au cours des 5 prochaines années3. Il s’agit d’une somme faramineuse, mais qui correspond incidemment aux actifs sous gestion de la Glasgow Financial Alliance for Net-Zero, composée de plus de 450 banques, gestionnaires d’actifs, propriétaires d’actifs et assureurs qui se sont toutes et tous engagés à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, encourageront l’investissement pour y parvenir et appuieront le besoin d’infrastructures résilientes.

Mais dis-moi, selon toi, quel est le potentiel de cette nouvelle catégorie d’actifs dite « infrastructures de protection contre les changements climatiques »?

Doug : Ça me peine de le dire, mais je pense que le besoin d’« infrastructures de protection contre les changements climatiques » est incommensurable. Voici quelques statistiques sur lesquelles notre équipe mondiale a récemment mis la main dans le cadre de ses recherches sur le sujet :

  • En ce qui concerne les feux incontrôlés (que l’on appelle aussi « feux de brousse » en Australie) :
    • les trois saisons d’incendies les plus actifs qu’ait connues la Colombie-Britannique ont eu lieu au cours des 5 dernières années; l’été dernier, à Lytton, le mercure a atteint 49,6 °C — température la plus haute jamais enregistrée au Canada; le lendemain, le village a été entièrement détruit par un feu de forêt;
    • en 2021, les pertes assurables liées à des feux incontrôlés aux États-Unis seulement s’élevaient à 20,4 G$ US4;
    • o le récent rapport des Nations Unies sur les feux incontrôlés5 prévoit une augmentation des incendies dévastateurs pouvant atteindre 30 % d’ici la fin de l’année 2050.
  • Pour ce qui touche l’eau et la pauvreté (inondations et sécheresse) :
    • Avec le temps, le risque de fortes pluies et de crues subséquentes, comme les inondations catastrophiques qui ont frappé la Belgique et l’Allemagne en 2021, pourrait être multiplié par neuf en Europe de l’Ouest6;
    • En 2022, la ville de Brisbane et le sud-est du Queensland, en Australie, ont connu en 3 jours des inondations équivalentes à 60 % de la moyenne annuelle des précipitations dans la région7;
    • Si le réchauffement climatique dépasse 2 °C, 3 milliards de personnes devraient connaître une pénurie chronique d’eau en raison de la sécheresse, notamment celles qui dépendent de l’eau des glaciers, comme en Amérique du Sud, selon le récent rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
  • En ce qui a trait aux ouragans et aux tempêtes :
    • L’année dernière, aux États-Unis, de violentes tempêtes ont occasionné le plus grand nombre de catastrophes évaluées en milliards de dollars, totalisant 125,5 G$ de dommages, soit plus du double du coût des dégâts recensés pendant toute la décennie 19808;
    • Le nombre de cyclones tropicaux extrêmement puissants (catégories 4 et 5) devrait augmenter dans le monde entier (degré de confiance moyen à élevé) en raison du réchauffement anthropique enregistré au cours du XXIe siècle.

Nick : Nous devons agir de toute urgence. Les infrastructures liées au climat constituent pour NRF un domaine de pratique prioritaire et je sais que l’équipe examine cette catégorie d’actifs sous de nombreux angles. Je sais aussi que nous mettons au point, au Canada, un projet de résilience face aux feux incontrôlés axé sur le rendement, que nous étudions la modélisation climatique et différentes solutions de financement et que nous faisons des recherches à cet égard. Sais-tu où nous en sommes en termes de leadership éclairé à l’échelle mondiale?

Doug : Nous lisons avec soin la littérature; tout ce que je peux dire, c’est que je n’ai pas vu d’institution qui semble être plus avancée que nous sur la question. Bien honnêtement, si quelqu’un a de bonnes idées, je serais ravi de les entendre et heureux que des efforts soient entrepris. Je ne considère pas ce domaine comme concurrentiel : tout le monde gagnera à ce que davantage de gens contribuent au développement du capital intellectuel. Après tout, nous n’essayons rien de moins que de sauver la planète!

Nick : Il est des héros sans cape, Doug!

Douglas Buchanan, c.r. est chef mondial, Infrastructures et ressources de NRF. Fort de 34 ans d’expérience en développement de projets, en partenariats public-privé (PPP) et en financement de projets, il partage son temps entre nos bureaux de New York et de Vancouver.

Nick Merritt est associé à notre bureau de Singapour. Il axe sa pratique sur le financement de projets et les services bancaires, notamment la durabilité et le financement durable dans le secteur des infrastructures.

L’équipe mondiale de Norton Rose Fulbright connaît bien les domaines de l’approvisionnement des projets d’infrastructures, de l’autorisation de projets et du financement connexe, des infrastructures énergétiques, des infrastructures de transport, de l’électromobilité ainsi que des infrastructures sociales et des services publics. Notre équipe conseille de nombreux clients sur des questions de durabilité et de financement durable dans le secteur des infrastructures. En savoir plus.




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