Le 10 novembre 2021, la capitalisation boursière mondiale des cryptomonnaies a atteint 2,5 T$ US, pulvérisant ainsi le premier record historique de 835 G$ US établi le 7 janvier 2018 (voir https://coinmarketcap.com/fr/charts/). Depuis novembre dernier, elle oscille entre 1,5 T$ US et 2 T$ US. On peut en tirer les trois conclusions suivantes : le marché des cryptomonnaies a connu une croissance extraordinaire, il reste extrêmement volatile et les cryptomonnaies constituent désormais une catégorie d’actifs importante et permanente.

Les cryptomonnaies étant souvent détenues à titre d’actifs plutôt qu’utilisées comme un substitut à l’argent à titre de monnaie, il est opportun pour les prêteurs d’offrir la possibilité aux détenteurs de cryptomonnaies qui sont confrontés à des problèmes de trésorerie ou de liquidités d’emprunter de l’argent afin d’étendre et de développer leurs activités commerciales en utilisant ces cryptomonnaies comme garantie.

La présente actualité juridique porte sur les enjeux liés à l’utilisation de cryptomonnaies pour garantir des prêts en argent. Il est toutefois important de noter que les termes « cryptoprêt » et « prêt crypto » renvoient parfois au « prêt » de cryptomonnaies en échange d’une certaine forme de flux de revenu. Ce type de cryptoprêt n’est pas abordé dans cette actualité juridique. Néanmoins, il convient de garder à l’esprit que de tels arrangements peuvent être régis par la législation en matière de valeurs mobilières et que tout manquement à cette dernière pourrait entraîner d’importantes sanctions. Une entreprise de cryptoservices a par exemple récemment accepté de payer une pénalité de 100 M$ US et d’inscrire son produit de cryptoprêt auprès de la Securities Exchange Commission aux États-Unis.

Le cryptoprêt démystifié : garantir des prêts au moyen de cryptomonnaies

Dans une opération de prêt garanti, le prêteur fournit à l’emprunteur une certaine somme d’argent en vertu d’une convention de prêt et grève les biens de ce dernier d’une sûreté (garantie). La sûreté grevant les biens placés en garantie donne au prêteur le moyen d’obtenir le remboursement de la dette contractée en cas de défaut de l’emprunteur aux termes de la convention, puisque plusieurs recours lui permettent de saisir et de vendre les biens en garantie aux fins du règlement de la dette. Dans le cas du cryptoprêt, l’emprunteur utilise ses cryptomonnaies à titre de biens placés en garantie pour garantir un prêt d’argent.

La principale différence entre les actifs traditionnels (comme les biens meubles ou les actions) et les cryptoactifs est que ces derniers sont entièrement décentralisés et peuvent être gérés automatiquement. Dans le cas du cryptoprêt, les parties à une convention de prêt ont accès à des plateformes de prêt exploitées au moyen de contrats intelligents, soit des contrats qui s’exécutent automatiquement et dont les modalités sont programmées dans un code informatique. Ces contrats intelligents fixent les taux d’intérêt, bloquent et détiennent les cryptomonnaies, automatisent les versements, liquident les biens placés en garantie en cas de défaut et les libèrent une fois les obligations en vertu de la convention de crédit remplies. On dénombre plusieurs types de plateformes de cryptoprêt :

  • prêt pair-à-pair (P2P) : l’emprunteur est automatiquement jumelé avec un prêteur par l’intermédiaire de la plateforme;
  • prêt pair-à-contrat (P2C) : l’emprunteur est mis en relation avec un ensemble de prêteurs, tous participants à la plateforme;
  • prêt direct : la plateforme de services prête de l’argent directement à l’emprunteur.

Les plateformes de cryptoprêt permettent aux emprunteurs d’utiliser leurs cryptomonnaies pour obtenir de l’argent sans avoir à les vendre. Les prêteurs tirent parti d’un contrat décentralisé s’exécutant automatiquement qui présente l’avantage d’être simple et sécuritaire, en plus de minimiser plusieurs risques liés au prêt à des détenteurs de cryptomonnaies, notamment en cas de défaut. Les institutions traditionnelles, comme les banques et les fonds d’investissement, feront bientôt partie du marché du cryptoprêt alors qu’un nombre toujours grandissant de projets, d’entreprises en démarrage et de sociétés auxquels ils prêtent de l’argent ont des revenus, des investissements ou des monnaies en cryptoactifs.

Principales incidences juridiques pour les prêteurs potentiels

Préparation, vérification diligente et structures et caractéristiques des prêts 

Respect de la réglementation

Dans toutes les provinces canadiennes, à l’exception du Québec, un cadre législatif détaillé régit les sûretés grevant les biens meubles et établit les règles à suivre concernant leur création, leur opposabilité, leur priorité de rang et leur réalisation. L’Ontario, par exemple, s’est doté de la Loi sur les sûretés mobilières et de la Loi sur le transfert des valeurs mobilières. Au Québec, les sûretés sont régies par le Code civil du Québec. Bien que les cryptomonnaies ne soient pas explicitement mentionnées dans ces régimes réglementaires, les prêteurs doivent s’y conformer pour s’assurer que leurs sûretés sont valides et applicables.

De plus, les prêteurs doivent tenir compte des règlements fiscaux, des limites de transfert et des règlements visant les devises qui sont applicables à la fois aux cryptomonnaies et aux cryptoactifs, car ces facteurs peuvent avoir des incidences sur la structure du prêt, le transfert du produit ainsi que le remboursement du capital et des intérêts.

Protection des prêteurs contre la volatilité du marché

Les prêteurs doivent envisager et instaurer une protection efficace contre les éventuels risques découlant de la volatilité du marché, notamment dans les cas où les cryptoactifs représentent une grande partie des garanties. Lorsque la valeur de la cryptomonnaie diminue considérablement, celle de la garantie chute également, ce qui a pour effet de modifier le ratio prêt/valeur et d’exposer les prêteurs à un important risque de recouvrement insuffisant en cas de défaut.

C’est pourquoi les prêteurs doivent mettre en place des mécanismes et processus appropriés pour obtenir des garanties supplémentaires de la part des emprunteurs dans l’éventualité de fluctuations de valeur. Les plateformes de cryptoprêt peuvent demander aux emprunteurs de fournir des garanties supplémentaires ou d’effectuer des paiements aux termes du prêt pour restaurer le ratio original prévu dans la convention de prêt. Bien que le maintien du ratio prêt/valeur fait parfois recours à un certain calcul du taux d’emprunt mensuel fondé sur les formules du protocole, dans des contextes particulièrement instables, ceci pourrait nécessiter de couvrir immédiatement la proportion de la valeur de la garantie perdue en raison de la volatilité.

Les prêteurs peuvent aussi décider de poser d’emblée un surdimensionnement des actifs donnés en garantie comme condition à l’octroi d’un prêt. La voie choisie dépendra du type et de la structure du prêt; par exemple, selon s’il s’agit d’une facilité de crédit renouvelable ou d’un emprunt à terme.

Utilisation de cryptomonnaies par les emprunteurs et vérification diligente

Les prêteurs doivent clairement établir les droits des emprunteurs sur leurs cryptomonnaies qui servent de garantie pendant toute la durée du cryptoprêt. De nombreuses possibilités s’offrent aux parties, suivant que l’emprunteur accepte ou non de confier ses cryptomonnaies à un fiduciaire ou à un dépositaire en n’y ayant aucun accès ou un accès limité seulement, ou qu’il préfère continuer de les utiliser d’une manière ou d’une autre. La mise en place d’une structure offrant les services d’un fiduciaire ou d’un dépositaire peut s’avérer avantageuse pour les prêteurs, car elle leur confère la maîtrise des cryptomonnaies en garantie et la possibilité de générer des revenus de rendement sur les dépôts de cryptomonnaies dont ils ont la gestion, en plus de percevoir les habituels paiements d’intérêts et frais de crédit.

En outre, il est crucial de procéder à une vérification diligente minutieuse. Avant d’octroyer des facilités de crédit à un emprunteur, les prêteurs doivent prendre des mesures pour s’assurer que tous les portefeuilles de cryptomonnaies servant de garantie aux termes de la convention de prêt sont divulgués suffisamment en détail. Grâce à la vérification diligente, ils s’assurent également que l’utilisation prévue des cryptoactifs garantie par l’emprunteur est clairement établie et conforme aux modalités de la convention de prêt. Les questions de vérification diligente doivent porter sur la propriété des portefeuilles de cryptomonnaies ainsi que sur toutes les activités commerciales mettant en jeu des cryptomonnaies, entre autres.

Modalités de remboursement

Les prêteurs et les emprunteurs doivent convenir d’une méthode de remboursement du capital du prêt et des intérêts. Les conventions de cryptoprêt doivent au moins énoncer clairement et stipuler la nature, la fréquence, la valeur et le mode des paiements. Les paiements peuvent par exemple être fixes ou variables, effectués en espèces ou en cryptomonnaies, sur une base hebdomadaire ou annuelle, à des taux proportionnels ou absolus et reçus automatiquement ou versés manuellement par l’emprunteur. 

Sûretés, protection des garanties et réalisation

Constitution de sûretés grevant les cryptomonnaies

Comme pour tout type de prêt garanti, la meilleure façon pour les prêteurs de se protéger est de détenir une sûreté de premier rang sur les cryptomonnaies afin d’être en mesure de la réaliser en priorité par rapport aux tierces parties et de conserver leur priorité lors de la réception des paiements aux termes du prêt.

Lorsque des cryptomonnaies sont utilisées pour garantir un prêt, la sûreté doit d’abord grever le bien placé en garantie en vertu d’une convention, puis être rendue opposable par sa possession ou sa maîtrise, ou alors par son enregistrement. En règle générale, les cryptomonnaies sont maîtrisées par la partie qui en détient la clé privée.

La définition de « possession » ou de « maîtrise » est fournie par les modalités de la convention de prêt et peut comprendre i) la prise de contrôle physique des cryptomonnaies, conservées par exemple dans un portefeuille hors ligne sur une clé USB fournie au prêteur, ii) le dépôt des cryptomonnaies dans un portefeuille détenu par le prêteur, avec ou sans succès à la clé privée, ou iii) le transfert des cryptomonnaies à une tierce partie qui les conservera pendant toute la durée du prêt, à titre de fiduciaire ou de dépositaire.

Certains prêteurs disposés à tolérer des risques supplémentaires peuvent offrir des prêts sans avoir la possession ou la maîtrise des cryptoactifs placés en garantie, et rendre opposable leur sûreté en enregistrant publiquement un avis de sûreté sur ces biens en garantie.

Protection de la garantie contre les risques numériques

À l’instar d’autres actifs numériques, les cryptomonnaies sont exposées à des risques de cybervol, d’hameçonnage et de perte d’accès à certains renseignements, comme les clés ou les mots de passe. En outre, les protocoles de chaînes de blocs des cryptomonnaies subissent parfois des modifications qui peuvent toucher les biens placés en garantie, comme des bifurcations et des fourches, des échanges de jetons et des annulations. Les prêteurs et les emprunteurs doivent élaborer et mettre en place des mesures de protection pratiques et contractuelles pour protéger les cryptoactifs placés en garantie et l’accès à ceux-ci pendant toute la durée du prêt, et pour s’assurer que les cryptomonnaies garanties, quelles qu’elles soient, continuent d’être couvertes par la garantie en vertu du prêt.

Réalisation des sûretés

La réglementation actuelle relative à la réalisation des sûretés et au recouvrement des actifs au Canada ne tient pas compte de la rapidité à laquelle ont lieu les opérations sur les chaînes de blocs, de leur caractère irréversible et, dans certains cas, de leur traçage quasi impossible. Ainsi, un prêteur qui cherche à exercer ses droits en tant que créancier garanti sur des cryptomonnaies placées en garantie peut se trouver dans l’impossibilité de mettre la main sur les actifs s’ils ont été indûment transférés. À part les fiduciaires et les dépositaires ayant l’expertise nécessaire pour détenir les cryptoactifs, les prêteurs de ce marché devront, pour se protéger, prévoir des mécanismes et des recours contractuels dans la convention de prêt et les intégrer dans le contrat intelligent, s’assurant de pouvoir réaliser la sûreté en temps opportun si nécessaire. 

Bien que ceci sorte du cadre de la présente actualité juridique, il convient de noter que tous les cryptoactifs, notamment les jetons non fongibles (NFT) et les cyberjetons indexés, ou ce qui pourrait bientôt être connu sous le nom d’« enregistrements électroniques maîtrisables » aux fins du droit des sûretés impliquent des considérations similaires lorsqu’ils sont mis en garantie comme sûreté. Compte tenu des risques considérables liés à ces marchés en développement, si vous envisagez d’offrir ou d’avoir recours à des prêts garantis par des cryptomonnaies ou autres cryptoactifs, nous vous recommandons de communiquer avec un avocat ou une avocate qui possède de l’expérience avec les cryptoprêts.

L’auteur souhaite remercier David Brazeau, étudiant en droit, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique. 



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