Le 9 novembre dernier, le ministre du Travail fédéral a présenté un projet de loi1 modifiant le Code canadien du travail (le « Code ») dans le but, notamment, d’interdire le recours à des travailleurs de remplacement (aussi appelés « briseurs de grève ») durant un conflit de travail. 

Voici un aperçu des changements proposés actuellement qui pourraient modifier les rapports collectifs de travail dans les entreprises de juridiction fédérale.

 

Qu’est-ce qu’un travailleur de remplacement?

Il s’agit d’un travailleur qui ne faisait pas partie de l’unité de négociation en grève ou en lock-out (l’« unité ») au début de la phase de négociation collective et dont les services sont requis par l’employeur pour effectuer le travail des employés en grève ou en lock-out. Cette expression inclut donc notamment :

  • les cadres de l’entreprise;
  • les autres employés qui ne font pas partie de l’unité;
  • les sous-traitants de l’employeur.

L’utilisation de ces travailleurs permet à l’employeur de maintenir ses activités lors d’une grève ou d’un lock-out.

Que prévoit le Code actuellement en ce qui a trait à l’utilisation de travailleurs de remplacement durant un conflit de travail?

De façon sommaire, le Code permet actuellement à un employeur d’utiliser des travailleurs de remplacement dans le cadre d’une grève légale ou d’un lock-out légal afin d’atteindre des « objectifs de négociation légitimes » en exerçant une pression économique sur le syndicat. Le Code prohibe toutefois leur utilisation lorsque, par celle-ci, l’intention de l’employeur est de miner la capacité du syndicat à représenter efficacement ses membres, par exemple en cherchant à se débarrasser du syndicat2

Le Code autorise également l’employeur à utiliser les services des employés de l’unité qui acceptent de continuer à travailler durant la grève.

Quelles sont les modifications proposées par le gouvernement fédéral?

Suivant le projet de loi, il sera interdit pour un employeur d’utiliser, dans le cadre d’une grève légale ou d’un lock-out légal, les services des travailleurs de remplacement suivants pour effectuer le travail des employés en grève ou en lock-out3:

  • tout employé faisant partie de l’unité lorsque l’arrêt de travail vise tous les employés de celle-ci;
  • tout employé embauché après la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné;
  • toute personne occupant un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail (« poste de confiance ») embauchée après la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné;
  • un entrepreneur autre qu’un entrepreneur dépendant ou l’employé d’un autre employeur.

Ces interdictions s’appliquent indépendamment du lieu où ces services sont utilisés, soit dans l’établissement physique de l’employeur, à l’extérieur de celui-ci ou en télétravail. 

Des exceptions sont-elles prévues?

Dans sa forme actuelle, le projet de loi prévoit les exceptions suivantes4:

  • Lorsque cela est nécessaire, soit notamment lorsqu’il n’est pas possible d’utiliser les services d’une autre personne pour ce faire, l’employeur pourra utiliser les services des travailleurs de remplacement mentionnés précédemment pour prévenir une menace :
    • à la vie, à la santé ou à la sécurité; 
    • de destruction ou de détérioration grave des biens ou locaux de l’employeur; 
    • de graves dommages environnementaux touchant ces biens ou locaux.
  • L’employeur pourra continuer de faire effectuer le travail des employés en grève par d’autres employés exclus de l’unité ou par des titulaires de poste de direction ou de confiance si ceux-ci étaient déjà à l’emploi avant la date de l’avis de négociation collective.
  • L’employeur pourra continuer d’utiliser les services d’un entrepreneur autre qu’un entrepreneur dépendant ou de l’employé d’un autre employeur si celui-ci effectuait déjà le travail des employés en grève ou un travail essentiellement similaire avant la date de l’avis de négociation collective5.
  • Les services des employés de l’unité pourront être utilisés dans le cadre du maintien de certaines activités, conformément aux articles 87.4 et 87.7 du Code.

Quelles sont les conséquences en cas de contravention?

Le projet de loi prévoit qu’une violation de la prohibition relative aux travailleurs de remplacement constituerait une pratique déloyale. Un syndicat qui prétendrait à une violation par l’employeur de ces nouvelles dispositions pourrait porter plainte au Conseil canadien des relations industrielles (« CCRI ») qui pourrait, après enquête, ordonner de cesser de recourir à des travailleurs de remplacement pendant la durée du conflit de travail6.

L’utilisation illégale de travailleurs de remplacement constituerait également une infraction qui pourrait donner lieu à une amende maximale de 100 000 $ par jour si l’employeur devait être reconnu coupable7.

Quels autres changements seraient apportés par ce projet de loi?

Des modifications aux règles entourant le maintien des activités en cas de grève ou de lock-out sont également prévues8. Suivant ces modifications, l’employeur et le syndicat devront conclure une entente relativement au maintien des activités dans les 15 jours suivant la date de l’avis de négociation. À défaut d’entente, le CCRI pourra trancher toute question. Aucun avis de grève ou de lock-out ne pourra être donné tant que les parties ne se seront pas entendues ou que le CCRI n’aura pas rendu de décision.

Quand entreraient en vigueur ces modifications?

Le projet de loi entrerait en vigueur 18 mois suivant la date de la sanction royale9 et s’appliquerait aux grèves et lock out en cours à ce moment10.

Quoi retenir?

Le projet de loi en est à la première lecture à la Chambre des communes; il lui reste donc plusieurs étapes à franchir avant son adoption. Les changements proposés réduiraient la possibilité des entreprises de juridiction fédérale de remplacer les travailleurs en grève par d’autres employés ou cadres et les empêcheraient de recourir à certains entrepreneurs ou sous-traitants afin de poursuivre leurs activités en cas de conflit de travail. Dans un contexte où la cessation des activités de certaines entreprises de juridiction fédérale peut avoir des répercussions importantes sur l’économie canadienne, ces changements sont majeurs. Si le projet de loi devait être adopté, la juridiction fédérale se joindrait ainsi à d’autres juridictions interdisant le recours aux briseurs de grève, à savoir la Colombie-Britannique et le Québec. 

Il est donc dans l’intérêt des entreprises de juridiction fédérale de se préparer aux modifications annoncées par ce projet de loi.

Nous suivrons pour vous le cheminement de ce projet de loi et vous tiendrons informés de tout fait nouveau.


Notes

2  

Paragraphe 94(2.1) du Code.

3  

Projet de loi C-58, paragraphe 9(2). 

4   Ibid.

5  

Ces services devront cependant être utilisés de la même manière, dans la même mesure et dans les mêmes circonstances que celles prévalant avant la date de l’avis de négociation. 

6   Ibid., article 10. 

7  

Ibid., article 12.

8  

Ibid., articles 5 à 8.

9  

Projet de loi C-58, article 18.

10    Ibid., paragraphe 17(3).



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