Il règne une confusion croissante quant à savoir si la nomination d’un séquestre aux termes de l’article 243 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) peut également être assujettie aux règles en matière de préavis prévues par le Code civil du Québec (CcQ). La juge Paquette a récemment conclu dans l’affaire de la Mise sous séquestre de DAC Aviation internationale ltée que la nomination d’un séquestre aux termes de l’article 243 n’est pas seulement assujettie au délai prévu au paragraphe 244(2) de la LFI, mais également aux délais et modalités en matière de préavis d’exercice de droits hypothécaires prescrits par le CcQ.
En pratique, cela signifie qu’en plus des exigences de la LFI en matière d’avis, la nomination d’un séquestre aux termes de l’article 243 de la LFI nécessitera la production d’un préavis au bureau de la publicité des droits et des délais de notification allant de 10 à 60 jours selon la nature du droit hypothécaire proposé et la nature sous-jacente du bien hypothéqué.
Faits
Une institution financière détenait des hypothèques mobilières sur l’universalité des biens de DAC Aviation Internationale Ltée (DAC) afin de garantir le remboursement des avances qu’elle avait consentie à cette dernière. L’institution financière et DAC s’étaient mises d’accord sur une entente d’atermoiement. Par la suite, l’institution financière a allégué que DAC avait manqué à son devoir de collaboration et, par conséquent, a demandé à la Cour supérieure du Québec de nommer Raymond Chabot inc. (RCGT) à titre de séquestre aux biens de DAC. L’institution financière a envoyé un préavis de 10 jours en vertu du paragraphe 244(2) de la LFI mais n’a pas envoyé de préavis aux termes du CcQ.
Décision
Selon la juge Paquette, des conditions objectives et subjectives doivent être remplies pour nommer un séquestre en vertu de l’article 243 de la LFI. Les conditions objectives exigent notamment un préavis de 10 jours au débiteur (paragraphe 244(2) de la LFI); les conditions subjectives exigent que la nomination soit « juste ou opportun[e] » (paragraphe 243(1) de la LFI). Selon la juge Paquette, les conditions objectives exigent également le respect des règles régissant l’exercice de droits hypothécaires aux termes du CcQ.
La juge Paquette a abordé le volet objectif de son analyse en soulignant la controverse jurisprudentielle à l’égard de la double application de la LFI et du CcQ. La juge Paquette a repris le raisonnement du juge Ouellet dans Mécanique NS et du juge Dumas dans Média5 en affirmant que la nomination d’un séquestre s’apparente à l’exercice d’un droit hypothécaire.
En d’autres termes, la nomination d’un séquestre aux termes de la LFI ou, par exemple, d’une personne désignée aux termes de l’article 2791 du CcQ n’élimine pas les exigences en matière de préavis prévues au CcQ. L’exercice de tels droits est clairement du ressort du CcQ et, en l’absence d’une incompatibilité explicite avec la LFI, les lois provinciales continuent à s’appliquer. Par conséquent, l’institution financière n’avait pas rempli les conditions objectives, puisqu’elle n’avait pas donné de préavis aux termes des délais et des modalités du CcQ.
Sur le plan des conditions subjectives, la juge Paquette n’était pas convaincue que la nomination d’un séquestre serait juste ou opportune dans les circonstances étant donné que 1) DAC n’était pas en défaut aux termes de son entente d’atermoiement avec l’institution financière et que 2) les opinions exprimées par RCGT ne tenaient pas compte de la valeur des actions que DAC détenait dans des sociétés étrangères.
À retenir
Selon la juge Paquette, un séquestre peut être nommé en vertu de l’article 243 de la LFI si les conditions suivantes sont remplies :
Conditions objectives
- La demande est formulée par un créancier garanti;
- Un préavis en vertu de l’article 244 de la LFI a été transmis;
- Les exigences de la loi provinciale, en l’occurrence les modalités d’exercice d’un recours hypothécaire prévues au CcQ, sont respectées :
- Le débiteur est en défaut;
- Un préavis a été signifié au débiteur et produit au bureau de la publicité des droits;
- Le débiteur n’a pas remédié à ce défaut alors que 20 jours (bien meuble), 60 jours (bien immeuble) ou 10 jours (reprise de possession du bien) se sont écoulés depuis la publication du préavis.
Condition subjective
- Une telle mesure est juste et opportune.
Autres considérations
- À la lumière de cette décision, il semble prudent de transmettre les préavis en vertu de la LFI et du CcQ simultanément pour remplir les conditions objectives (selon la terminologie employée par la juge Paquette).
- Il est important de souligner que les délais de préavis en vertu de la LFI et du CcQ peuvent être raccourcis. L’alinéa 243(1.1)b) de la LFI prévoit l’abrègement du délai de 10 jours si le tribunal juge indiqué de nommer un séquestre à une date plus rapprochée. De même, l’article 2767 du CcQ permet à un tribunal, à la demande du créancier, d’obliger le délaissement du bien hypothéqué avant l’expiration des préavis aux termes de l’article 2758 du CcQ parce qu’il est à craindre que le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril, ou lorsque le bien est susceptible de dépérir ou de se déprécier rapidement.
- Aux termes des conditions subjectives, vu le raisonnement de la juge Paquette selon lequel l’exercice de droits hypothécaires est de la nature de la nomination d’un séquestre en vertu de la LFI, il pourrait être prudent pour les créanciers de justifier leur choix de nommer un séquestre en vertu de la LFI plutôt que d’exercer des droits hypothécaires en vertu du CcQ.
La Cour d’appel du Québec aura l’occasion d’apporter des précisions à ce débat lors de l’audience prochaine portant sur l’appel de la décision Média5 le 16 juin 2020.