De nombreux conseils d’administration étudient leurs approches à l’égard des sujets en matière d’environnement, de société et de gouvernance (ESG) et, plus particulièrement, la manière dont les questions d’ESG peuvent contribuer au succès à long terme de leurs activités. Cette introspection est en partie en réaction aux demandes des actionnaires et d’autres parties prenantes. L’année dernière a été marquée par une hausse importante des mouvements sociaux, y compris une multitude de manifestations puissantes attirant des participants de différents groupes, des employés d’entrepôts aux militants contre les changements climatiques, s’alliant de plus en plus souvent pour exiger du changement.
Les conseils d’administration ont souvent de bonnes intentions pour intégrer les pratiques en matière d’ESG dans les modèles d’affaires et consolider et divulguer leur mise en œuvre. Ils devraient procéder après avoir examiné leurs obligations générales, leur responsabilité potentielle et les attentes du marché. En ce qui concerne les attentes du marché, nous comparons ci-dessous les lignes directrices sur le vote des principaux investisseurs institutionnels et des agences de conseil en vote nord-américains aux pratiques et à l’information ESG de tous les émetteurs inscrits à l’indice TSX 60. Nous formulons des recommandations pour aider les administrateurs à s’acquitter de leurs fonctions tout en conciliant les écarts entre les attentes et la divulgation actuelle.
Comme nous l’expliquerons plus loin, les conseils d’administration devraient envisager d’assumer la responsabilité des questions d’ESG, mettre en place un protocole de surveillance et en faire le suivi, influencer les comportements au moyen de la rémunération et divulguer l’information avec prudence.
Surveillance des questions d’ESG : la prise de responsabilité
Devoirs des administrateurs
Les devoirs de loyauté et de diligence sont codifiés dans diverses lois sur les sociétés. Le devoir de loyauté oblige les administrateurs à agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société. Le devoir de diligence les oblige à agir avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente1.
Lorsqu’ils s’acquittent de leur devoir de loyauté, les administrateurs doivent déterminer ce qui est au mieux des intérêts de la société. Pour ce faire, ils peuvent (et devraient) tenir compte des intérêts de diverses parties prenantes. La Loi canadienne sur les sociétés par actions a été modifiée en 2019 afin d’inclure une liste non limitative de facteurs dont on peut tenir compte : les intérêts des actionnaires, des employés, des retraités et des pensionnés, des créanciers, des consommateurs et des gouvernements, l’environnement et les intérêts à long terme de la société. Cette modification faisait suite à deux décisions de la Cour suprême du Canada qui soulignaient que les administrateurs et les dirigeants devaient s’efforcer de faire de la société une « meilleure société » et qu’au moment de déterminer ce qui était dans l’intérêt de la société, les administrateurs pouvaient tenir compte « “notamment, des intérêts des actionnaires, des employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement” pour prendre leurs décisions »2.
En l’absence de conflit d’intérêts et sous réserve d’un processus raisonnable, les administrateurs seront généralement protégés par la règle de l’appréciation commerciale lorsqu’ils déterminent quels seraient les facteurs à considérer en priorité pour favoriser l’intérêt de la société.
Le respect d’un processus raisonnable protégera également les administrateurs contre la responsabilité lorsqu’ils s’acquittent de leur devoir de diligence. Les tribunaux canadiens n’ont pas encore entendu l’équivalent de l’arrêt Caremark, une décision rendue en 1996 par la Cour de la chancellerie du Delaware qui a établi certaines obligations qui incombent aux conseils d’administration de sociétés de s’assurer que des systèmes et des contrôles internes de communication de l’information existent pour repérer les problèmes qui se posent au sein des sociétés qu’ils dirigent, d’empêcher qu’ils surviennent et de les régler3. Depuis l’arrêt Caremark, les tribunaux du Delaware ont confirmé à plusieurs reprises ses principes, précisant que, bien que « [traduction] comme pour toute autre appréciation commerciale désintéressée, les administrateurs disposent d’une grande latitude pour concevoir des approches selon le contexte et le secteur », les administrateurs peuvent être tenus responsables s’ils ne parviennent pas « [traduction] à faire des efforts de bonne foi pour mettre en œuvre un système de surveillance, puis le superviser »4.
Les rôles de surveillance des administrateurs canadiens peuvent être éclairés par ces principes. Bien que nos tribunaux n’aient pas encore spécifiquement imposé de principes juridiques de type Caremark, la décision a été citée dans l’application de la règle de l’appréciation commerciale5. De plus, comme pratique exemplaire, il est recommandé dans l’Instruction générale 58-201 relative à la gouvernance que le conseil d’administration d’une société ouverte adopte un mandat écrit dans lequel il reconnaît explicitement sa responsabilité de gérance de l’émetteur, notamment la responsabilité du conseil d’administration de définir les principaux risques de l’activité de l’émetteur et de veiller à la mise en œuvre de systèmes appropriés de gestion de ces risques6.
Établissement de la bonne structure de surveillance
Les administrateurs devraient envisager de mettre en œuvre une structure de surveillance des questions d’ESG qui assure que leur processus décisionnel est adéquat et qu’il remplira les critères liés à la règle de l’appréciation commerciale. Ainsi, certains conseils d’administration peuvent envisager de former un comité spécifique auquel ils délèguent des responsabilités précises afin de tirer avantage de recommandations centralisées et intégrées concernant les questions d’ESG. D’autres conseils peuvent choisir de traiter ces questions à l’échelle du conseil et demander que de nouvelles matrices soient incluses dans les tableaux de bord de gestion des risques qui leur sont présentés.
De nombreux investisseurs font comprendre clairement que la création de valeur durable et le rendement total pour les actionnaires qu’ils recherchent nécessitent une surveillance des questions d’ESG rigoureuse de la part des conseils d’administration. Pourtant, même si les investisseurs souhaitent que le conseil d’administration tienne le gouvernail, beaucoup ont été vagues lorsqu’il s’agissait d’exprimer leurs attentes concernant la meilleure structure de surveillance des questions d’ESG. Institutional Shareholder Services (ISS) est un cas d’exception : il a spécifiquement suggéré que la surveillance des questions d’ESG devrait être affectée à un comité distinct7.
Une analyse des sociétés composant l’indice TSX 60 montre que 52 des 60 sociétés (86,7 %) prévoient que leur conseil et/ou au moins un de ses comités est chargé de superviser les questions d’ESG. Lorsqu’il est question de surveillance par les comités, la préférence semble aller soit à des comités de gouvernance (ou leur équivalent), soit à des comités « spécialisés », tels un comité ESG, un comité sur l’environnement, la santé, la sécurité et le développement durable ou un comité sur la sécurité, le milieu de travail et les risques de projet. Parmi les 48 émetteurs qui ont divulgué que les questions d’ESG avaient été supervisées par un comité, que ce soit en plus ou à la place de leur conseil, 11 confient la supervision des questions d’ESG à plusieurs comités.
Surveillance des questions d’ESG |
Nombre d’émetteurs |
Conseil seulement |
4 |
Comité (seul ou en plus du conseil) |
Comité « spécialisé » (comité ESG, comité sur l’environnement, la santé, la sécurité et le développement durable) |
19 |
Comité de gouvernance (ou l’équivalent) |
16 |
Comité d’audit |
2 |
Comités multiples |
11 |
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De nombreux investisseurs et conseillers en vote adoptent une position ferme pour obliger les conseils d’administration à rendre des comptes. Certains ont des pratiques et des politiques de vote qui favorisent le vote contre le président ou les membres du conseil ou de ses comités qui échouent à cet égard8. Glass Lewis a annoncé qu’à partir de 2022, il pourrait voter contre tout président de comité de gouvernance qui ne divulgue pas le rôle du conseil d’administration dans la surveillance des questions d’ESG. D’autres ont adopté une approche plus nuancée et voteront contre un président de comité des risques qui n’a pas fourni de divulgation adéquate sur les risques liés au changement climatique ou sur la diversité raciale et ethnique, des sujets qui ont attiré une attention accrue au cours des dernières années9.
Prise en compte de la composition du conseil et des comités
La surveillance des questions d’ESG devrait idéalement être effectuée par des administrateurs d’horizons divers, dotés de compétences adéquates. Jusqu’à présent, la plupart des investisseurs institutionnels et des agences de conseil en vote ne sont pas prescriptifs à cet égard; ils reconnaissent que les compétences appropriées peuvent changer selon le secteur et l’importance. Cependant, certains s’attendent à ce que les conseils d’administration fournissent au moins de l’information claire sur les compétences en matière d’ESG reflétées dans leurs rangs10. Pour sa part, Glass Lewis inclut explicitement les compétences environnementales et sociales ainsi que la santé et la sécurité dans son évaluation des conseils d’administration. Parmi d’autres critères importants pour l’entreprise, il examine la connaissance avérée de la gestion environnementale mondiale, l’expérience de leadership avec l’engagement auprès du personnel et les diplômes pertinents dans un domaine lié à l’environnement ou à la responsabilité sociale11.
Une analyse des sociétés composant l’indice TSX 60 montre que, bien que de nombreux investisseurs n’exigent pas encore de critères ESG spécifiques dans la matrice des compétences du conseil, 88 % des émetteurs fondent la nomination des administrateurs ou divulguent la composition du conseil en tenant compte d’une matrice de compétences qui inclut une combinaison de critères ESG. Une majorité, soit 37 sur 60 (61,7 %), comprend des compétences ESG générales ou désigne spécifiquement des compétences qui s’inscrivent dans les catégories environnementales, sociales et de gouvernance. En outre, 26,7 % ne précisent que des aspects particuliers des critères ESG, qu’il s’agisse de G et E ( (3,3 %), de G et S (15 %) ou de G uniquement (8,3 %).
Matrice de compétences des administrateurs |
Nombre d’émetteurs |
Critères ESG |
37 |
Critères ESG particuliers seulement |
Gouvernance |
5 |
Gouvernance et environnement |
2 |
Gouvernance et responsabilité sociale |
9 |
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De plus, les investisseurs exigent de plus en plus de diversité au sein des conseils d’administration, notamment en ce qui concerne le genre, l’origine ethnique, la race et l’âge. Les règlements de l’ACVM et de la LCSA exigent également que les émetteurs divulguent la composition diversifiée de leurs conseils12. En réponse, une analyse des sociétés de l’indice TSX 60 montre que 98 % des émetteurs ont adopté une politique de diversité ou incluent explicitement des critères de diversité dans la nomination des administrateurs et la composition du conseil. De plus, en tant que membres du 30% Club (un groupe de militants cherchant à accroître la diversité des genres au sein des conseils d’administration et de la haute direction), de nombreux investisseurs institutionnels canadiens peuvent voter contre le président du comité de mise en candidature ou de gouvernance lorsque le conseil n’atteint pas au moins 30 % de représentation féminine13.
Lorsque les administrateurs de sociétés estiment qu’ils n’ont pas suffisamment d’expertise ou d’expérience pour saisir les critères ESG pertinents pour leur entreprise, ils peuvent envisager de suivre une formation continue et/ou de retenir les services de conseillers pour les informer à cet égard.
Utilisation d’un protocole de surveillance des questions d’ESG
Lorsqu’ils sont satisfaits qu’ils disposent de la structure et de la composition de surveillance appropriées, les conseils devraient envisager de mettre en place un protocole pour aider les administrateurs à s’acquitter correctement de leurs devoirs de loyauté et de diligence, en tenant compte des critères ESG. Tel qu’il est mentionné ci-dessus, la mise en place d’un tel protocole peut s’avérer utile car les administrateurs seront jugés en fonction du processus qu’ils suivront. Un tel protocole pourrait comprendre les étapes suivantes14 :
- Cartographie. Le repérage et le classement des critères ESG sont une première étape clé pour aider les administrateurs dans l’exercice de leurs fonctions, cela leur permet de cartographier les domaines qui nécessitent une attention particulière et les décisions qui pourraient nécessiter une réflexion plus approfondie. Bon nombre de ces critères auront été signalés par les systèmes de conformité juridique ou de gestion des risques des émetteurs.
- Évaluation. Une fois les divers critères cartographiés, les administrateurs devraient faire de leur mieux pour les évaluer attentivement et déterminer leur incidence sur la société dans une situation donnée, en tenant compte des divers intervenants15. Dans certains cas, la motivation visant à mettre la priorité sur certains critères sera influencée par des exigences légales ou la gestion de risques spécifiques. Il faut s’attendre à des conflits dans le cadre de l’évaluation de tels critères.
- Décision. Après avoir évalué divers critères ESG et leur incidence attendue sur la société, les administrateurs devraient déterminer la ligne de conduite à adopter dans l’intérêt de la société.
- Documentation. Étant donné que les administrateurs restent responsables de leurs décisions et que différentes parties prenantes peuvent avoir des points de vue divergents sur ce qui est dans l’intérêt de la société dans une situation donnée, les administrateurs doivent conserver des dossiers précis et adéquats de leur processus décisionnel.
Déclaration des objectifs d’entreprise et sociétés d’intérêt social
Au cours des dernières années, de nombreux universitaires, groupes de travail et organisations ont discuté de l’importance d’élaborer une déclaration des objectifs d’entreprise. Certains collaborent à une campagne visant, d’ici 2025, à ce que le conseil d’administration de chaque société inscrite en bourse en publie une16. Une déclaration des objectifs d’entreprise peut aider à se concentrer sur les questions d’ESG. Toutefois, la pratique consistant à adopter une telle déclaration n’est pas encore dominante. Dans une analyse des sociétés composant l’indice TSX 60, nous avons trouvé que seulement 18 émetteurs mentionnaient leur objectif d’entreprise sur leur site Web ou dans leur circulaire de sollicitation de procurations.
Un autre fait nouveau intéressant motivé par des critères ESG est la création de sociétés d’intérêt social. Certaines assemblées législatives, y compris celles de la Colombie-Britannique, de la Nouvelle-Écosse et de plus de 35 États américains, ont modifié leurs lois sur les sociétés afin d’inclure les sociétés d’intérêt social (ou un équivalent), qui prévoient spécifiquement dans leurs statuts une affirmation et un engagement à fonctionner de manière responsable, durable et de manière à promouvoir un intérêt social ou un intérêt public17. La désignation de société d’intérêt social comprend souvent l’imposition d’obligations spécifiques aux membres du conseil d’administration, telles que la présentation de rapports d’intérêt public à chaque assemblée annuelle. En mai 2021, l’Assemblée nationale du Québec a déposé un projet de loi proposant d’intégrer les entreprises à mission au Québec18. Pourtant, le modèle de société d’intérêt social n’a pas encore été largement adopté en Amérique du Nord.
Recommandation : Les conseils d’administration devraient réfléchir à la manière dont ils entendent superviser les questions d’ESG et s’ils ont la bonne composition pour le faire. Les administrateurs devraient également envisager d’adopter un protocole pour déterminer quels critères sont les plus pertinents pour leur entreprise et comment prendre en considération ces critères dans leurs processus décisionnels.
Rémunération relative aux questions d’ESG : influencer les comportements
Une fois que les conseils ont décidé d’assumer la responsabilité de superviser les critères ESG, ils devraient chercher à promouvoir et à encourager les comportements souhaités. À cette fin, l’intégration d’objectifs en matière d’ESG dans la rémunération des membres de la haute direction peut s’avérer être un moyen utile et en est certainement un qui gagne du terrain. En effet, les investisseurs et les autres parties prenantes font de plus en plus pression pour que les réalisations en matière d’ESG soient prises en compte en parallèle avec les indicateurs de rendement clés (IRC) traditionnels dans le calcul de la rémunération des membres de la haute direction. Les principes de rémunération étant de plus en plus soumis à des votes sur la rémunération, les investisseurs peuvent avoir une grande influence sur cette question19.
Pour de nombreux investisseurs, lier les paramètres ESG à la rémunération des membres de la haute direction représente une occasion pour démontrer un engagement envers les priorités ESG20. Cependant, les conseillers en vote adoptent une approche nuancée à cet égard :
- ISS recommande de voter au cas par cas sur les propositions liant la rémunération des membres de la haute direction aux critères en matière de développement durable et de prendre en considération entre autres si l’entreprise a mis en place des systèmes de gestion et des mécanismes de surveillance concernant le rendement dans les domaines de l’environnement et de la responsabilité sociale, ainsi que le degré d’intégration par des sociétés comparables du secteur de critères non financiers similaires dans leurs pratiques de rémunération des membres de la haute direction21.
- Glass Lewis s’attend normalement à ce que les mesures de rendement des régimes incitatifs à court terme soient fondées non seulement sur des mesures financières à l’échelle de l’entreprise ou d’une division, mais également sur des critères non financiers tels que ceux qui sont liés au roulement du personnel, à la sécurité et à l’environnement. Cependant, il note que les paramètres ESG vraiment utilisés par une entreprise donnée pour stimuler la reddition de compte varieront nécessairement selon les secteurs et devraient être liés de manière appropriée aux moteurs commerciaux d’une entreprise22.
D’après notre récent examen des circulaires de sollicitation de procurations des sociétés composant l’indice TSX 60, 41 des 60 émetteurs (68,3 %) prennent en considération jusqu’à un certain point les mesures ESG dans le calcul de la rémunération des membres de la haute direction. La grande majorité de ces émetteurs définissent les IRC propres aux ESG spécifiques dont ils tiennent compte. La nature et la pondération respective accordée à ces IRC varient considérablement, car les entreprises ayant des activités dans différents secteurs ou marchés mettent l’accent sur différents assortiments de paramètres; dans les secteurs axés sur le contact direct avec les clients, tels que les services financiers, les entreprises accordent souvent la priorité à la satisfaction des clients et à l’engagement des employés, tandis que dans les secteurs des mines et des transports, la santé et la sécurité sont plus souvent privilégiés. Dans l’ensemble, les IRC propres aux ESG les plus courants semblent être liés à l’environnement, à la santé et à la sécurité23 et au capital humain, tel qu’il est démontré dans le tableau suivant :
IRC |
Nombre d’émetteurs |
Mesures et incidences environnementales |
29 |
Santé et sécurité |
25 |
Capital humain / personnes / engagement des employés / culture / bien-être des employés |
21 |
Diversité, inclusion et appartenance |
19 |
Engagement communautaire et incidences |
12 |
Satisfaction des clients et expérience client |
11 |
Conformité et gouvernance |
6 |
Engagement des parties prenantes |
3 |
Développement social et économique |
2 |
Droits de la personne |
1 |
Éthique des affaires |
1 |
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Ces IRC peuvent être intégrés dans la conception de la rémunération de diverses manières. Ils peuvent être pris en compte dans des régimes à court terme (prime) ou des régimes incitatifs à long terme et peuvent être pris en considération de manière « autonome », dans le cadre d’un tableau de bord, comme modificateur de rendement ou comme condition préalable au paiement de certains montants24.
À l’avenir, nous nous attendons à ce que cette approche du rendement des ESG se reflète de plus en plus dans la rémunération des membres de la haute direction. Nous prévoyons également que la pondération moyenne accordée aux IRC propres aux ESG continue d’augmenter au fil du temps25.
Recommandation : Une fois qu’un conseil d’administration a sélectionné les critères ESG pertinents, selon un protocole, les IRC doivent être repérés et intégrés dans les régimes de rémunération pour encourager les comportements souhaités.
Divulgation en matière d’ESG : avancer avec prudence
Pression pour une divulgation accrue
En matière d’ESG, un fil conducteur se profile, soit d’amener les sociétés ouvertes à divulguer davantage de renseignements liés aux ESG, de façon améliorée et plus efficace qui permet de faire des comparaisons. La divulgation joue un rôle clé puisqu’elle permet aux investisseurs, et au public en général, de comprendre et d’évaluer les risques et les rendements des critères ESG et leur incidence potentielle sur la valeur à long terme.
La nature pressante de cette question devient évidente lorsqu’on examine les dernières versions des lignes directrices et des principes de vote par procuration des agences de conseil en vote et des investisseurs institutionnels en Amérique du Nord. Beaucoup exhortent explicitement les sociétés « à intégrer dans leurs documents financiers et leurs rapports annuels l’information sur leurs indicateurs de rendement dans les domaines de l’environnement et de la responsabilité sociale et à utiliser des normes de présentation reconnues »26 ou « à se rapporter aux actionnaires sur une base annuelle quant à [la mise en application des politiques et des mesures liées aux questions d’ESG] »27. Certains ont également fait part de leur intention de voter en faveur de certaines propositions liées au renforcement de la divulgation en matière d’ESG28.
Pour ce qui est du choix des sujets, divers investisseurs institutionnels continuent à viser principalement les divulgations liées aux changements climatiques. Beaucoup soutiendront donc les propositions visant la communication d’information importante concernant l’environnement, telle que les émissions de carbone, l’utilisation de l’énergie et des ressources naturelles ainsi que la gestion des déchets et de la pollution29.
Compte tenu de la pression et des avantages de la comparabilité, de nombreuses autorités de réglementation ont décidé de suggérer ou d’imposer une certaine forme d’exigences universelles de communication de l’information en matière d’ESG. Par exemple, les institutions financières supervisées par la Prudential Regulation Authority du Royaume-Uni ont jusqu’au 31 décembre 2021 pour fournir de l’information conformément au cadre du GIFCC entièrement intégrée. Des exigences similaires s’étendront à d’autres sociétés inscrites en bourse en 2022 et pourraient éventuellement s’appliquer aux grandes sociétés privées30.
Plus près de nous, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis envisage d’exiger une certaine divulgation en matière d’ESG. La présidente par intérim de la SEC a récemment demandé au personnel de la SEC « [traduction] d’évaluer les règles de divulgation [de la SEC] en vue de faciliter la divulgation d’information cohérente, comparable et fiable sur le changement climatique »31. Bien que l’enjeu soit de taille et que les obstacles soient considérables – certains pensent que cette mesure sortirait du cadre du mandat actuel de la SEC si elle imposait la divulgation d’information liée aux ESG qui n’est pas autrement importante32 –, les motivations politiques derrière cette initiative parlent d’elles-mêmes : un changement est en cours.
Principales normes de divulgation de l’information désormais bien intégrées parmi les grands émetteurs canadiens
Les exigences des investisseurs en matière de divulgation sont parallèles à une tendance croissante à l’adoption de certains cadres standard, tel qu’il a été déclaré précédemment dans notre actualité juridique sur la normalisation de la divulgation en matière d’ESG. Les principaux investisseurs institutionnels américains font pression pour l’harmonisation de la divulgation sur le développement durable au moyen de deux cadres standard bien établis, à savoir les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC) et les normes du Sustainability Accounting Standards Board (SASB). Une tendance similaire peut être observée au nord de la frontière, où les principaux investisseurs institutionnels appuient les mêmes normes, y compris huit grandes caisses de retraite canadiennes exhortant explicitement les sociétés de leur portefeuille à les utiliser33.
Parmi les émetteurs composant l’indice TSX 60, nos statistiques montrent un taux d’adoption relativement élevé en faveur des recommandations du GIFCC et des normes du SASB, à raison de 66,7 % et de 68,3 % respectivement. Les dernières données sur l’adoption du principal cadre standard de divulgation de l’information parmi les émetteurs composant l’indice TSX 60 sont résumées dans le tableau ci-dessous.
Cadre standard |
Proportion d’émetteurs utilisant le cadre standard |
Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC) |
66,7%(i) |
Normes du Sustainability Accounting Standards Board (SASB) |
68,3% |
Global Reporting Initiative (GRI) |
75,0% |
Carbon Disclosure Project (CDP) |
75,0% |
Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD de l’ONU) |
58,3% |
Principles for Responsible Investment (PRI) |
15,0% |
i) Y compris 6,7 % d’émetteurs ayant entamé le processus d’adoption du cadre. |
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Soyez conscient de la responsabilité potentielle
Lorsqu’ils supervisent la divulgation en matière d’ESG, les conseils d’administration devraient être conscients de la responsabilité potentielle des émetteurs, des dirigeants et des administrateurs. Dans leurs documents d’information périodiques, les émetteurs canadiens publient désormais couramment des déclarations sur les stratégies, les objectifs et le rendement en matière d’ESG. Une illustration populaire et explicite de ce qui précède est l’émetteur déclarant qu’il vise à réduire certaines émissions de « x » pour cent avant l’année « y ». Une fois fixé par une société ouverte, un tel objectif est généralement claironné sur de nombreuses plateformes.
Ce type de déclaration, ainsi qu’une myriade d’autres plus subtiles, n’est pas différent des déclarations relatives aux opérations ou aux questions financières, dans la mesure où la divulgation en matière d’ESG peut parfois être considérée comme constituant des énoncés prospectifs aux fins de la législation en valeurs mobilières. Ainsi, sans la bonne dose de prudence et de divulgation sur les hypothèses et les facteurs de risque pris en considération, la divulgation en matière d’ESG pourrait dans certains cas déclencher une responsabilité sur le marché secondaire.
Par l’entremise des comités de divulgation de la direction, qui relèvent des conseils d’administration ou de leurs comités responsables des questions d’ESG, les émetteurs doivent s’assurer que les affirmations en matière d’ESG sont exactes et qu’ils utilisent le langage de mise en garde approprié.
Recommandation : Les émetteurs de tous les secteurs devraient être proactifs dans l’évaluation de leurs pratiques de divulgation en matière d’ESG et, si ce n’est déjà fait, envisager de mettre en œuvre des cadres standard bien reconnus. Soyez conscient de la responsabilité potentielle. Assurez-vous que les affirmations en matière d’ESG sont exactes et intégrez un langage de mise en garde prospectif dans la divulgation en matière d’ESG, s’il y a lieu.
Conclusion
En bref, les conseils d’administration devraient envisager d’assumer la responsabilité des questions d’ESG et de s’assurer qu’ils disposent des bonnes personnes pour le faire. Ils devraient envisager d’élaborer des protocoles pour repérer les critères importants et les intégrer dans leur processus décisionnel et leurs régimes de rémunération. Ils devraient également s’assurer que la communication de l’information est adéquate et être conscients des responsabilités potentielles.
Les auteurs désirent remercier Emily Poirier, étudiante, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.