Le 15 décembre, entraient en vigueur les modifications apportées à la Loi sur la concurrence (Canada) (Loi) devant cibler, du moins en partie, les contrôles de propriété visant des concurrents qui restreignent l’utilisation de biens immobiliers commerciaux – plus particulièrement au moyen de clauses d’exclusivité et de clauses restrictives. Le Bureau de la concurrence (Bureau) juge généralement que ces contrôles de propriété sont anticoncurrentiels tout en admettant qu’ils puissent, « dans certains cas », être justifiés s’ils améliorent la concurrence (p. ex. en encourageant les investissements) et que leur durée et leur portée sont limitées. 

En réaction à ces modifications, Loblaws a demandé l’élimination des contrôles de propriété dans l’ensemble de son secteur, indiquant qu’elle était disposée à les éliminer si ses concurrents en faisaient de même, tandis que Walmart Canada a décidé d’éliminer les clauses restrictives unilatéralement à l’échelle nationale.

Bien que les grands supermarchés aient davantage fait l’objet de surveillance jusqu’à présent, les entreprises de tous les secteurs devraient faire preuve de prudence face aux contrôles de propriété visant des concurrents dans les contrats de biens immobiliers commerciaux.


Qu’est-ce qu’un contrôle de propriété visant des concurrents?

Le Bureau s’intéresse à deux principaux types de contrôles de propriété :

  • Les clauses d’exclusivité. Elles se retrouvent habituellement dans les baux commerciaux. Elles limitent la façon dont un bien peut être utilisé par les concurrents d’un locataire, soit en empêchant le propriétaire de louer un local avoisinant à un concurrent du locataire (ou en l’incitant à ne pas le faire), soit en limitant par ailleurs la vente de produits. Une clause d’exclusivité peut empêcher un propriétaire de louer un espace se trouvant relativement près d’un espace de vente au détail d’un locataire existant à un concurrent de ce dernier.
  • Les clauses restrictives. Elles limitent la façon dont les propriétaires peuvent utiliser un bien. Par exemple, une convention d’achat de terrain peut prévoir que l’acquéreur ou le nouveau propriétaire ne peut utiliser cet emplacement pour exploiter certains types d’entreprises entrant en concurrence avec les activités du vendeur ou du précédent propriétaire. Le Bureau estime que les clauses restrictives ne sont presque jamais justifiées.

Quelles modifications a-t-on apportées à la Loi afin de cibler les contrôles de propriété?

La Loi comporte deux dispositions principales pouvant servir, entre autres, à réglementer les contrôles de propriété visant des concurrents1 :

  • Collaborations entre concurrents : L’article 90.1 s’applique à tous les types d’accords ou d’arrangements susceptibles d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence au sein d’un marché donné. Auparavant, cet article ne s’appliquait qu’aux accords entre concurrents. Comme les clauses d’exclusivité et les clauses restrictives interviennent généralement entre entreprises non concurrentes (p. ex. entre propriétaires et locataires), le Bureau ne s’est pas appuyé, par le passé, sur l’article 90.1 pour s’attaquer aux contrôles de propriété visant des concurrents. Toutefois, le 15 décembre 2024, la portée de l’article 90.1 a été élargie à tous les types d’accords ne concernant pas des concurrents si un des objets importants de l’accord, ou d’une partie de l’accord, est d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché. Le Bureau a souligné qu’il évaluera les contrôles de propriété visant des concurrents au regard de l’article 90.1 lorsqu’il pourra être démontré que l’accord a pour effet de nuire à la concurrence2 .
  • Abus de position dominante : D’autres changements récents à la Loi ont accru la portée des dispositions relatives à l’abus de position dominante afin de rendre plus facile la contestation de certains comportements, notamment en permettant de démontrer uniquement l’intention anticoncurrentielle ou l’effet anticoncurrentiel (même si le Bureau devra tout de même établir l’existence des autres éléments constituant un abus de position dominante, c’est à dire que l’entreprise en question domine dans un marché donné).

Les sanctions pouvant être imposées en cas de comportement anticoncurrentiel en vertu de la Loi ont considérablement augmenté récemment et comprennent maintenant des sanctions administratives pécuniaires élevées3 de même que la possibilité de demandes en dommages-intérêts de la part de parties privées4, rendant le respect de la Loi d’autant plus important.

Est-ce que le Bureau estime que tous les contrôles de propriété sont anticoncurrentiels?

Selon les lignes directrices sur les contrôles de propriété visant des concurrents du Bureau, le contrôle de propriété qui accroît la concurrence et dont la durée et la portée sont limitées pourrait être justifié. Par exemple, une clause d’exclusivité peut encourager un détaillant à faire des investissements ou à entrer sur un marché lorsqu’aucun autre détaillant ne ferait autrement les investissements nécessaires pour devenir un locataire clé dans un nouveau centre commercial sans l’assurance qu’un contrôle de propriété peut procurer. D’autre part, le Bureau juge que les clauses restrictives ne seront pas justifiées sauf « circonstances exceptionnelles »5. Ces déclarations minimisent sans doute le fait que le Bureau doive établir l’existence des autres éléments de la clause en question, y compris en ce qui a trait à l’article 90.1, c’est à dire que l’accord empêche ou diminue sensiblement la concurrence.

Tant la durée du contrôle de propriété visant des concurrents que la portée de la restriction qu’il impose à la concurrence sont des facteurs importants qui seront pris en compte. Selon le Bureau, les contrôles de propriété dont la durée est plus courte et dont la portée géographique est plus circonscrite sont davantage susceptibles d’être justifiés. 

Est-ce que le Bureau a déjà fait enquête sur l’utilisation des contrôles de propriété visant des concurrents?

Plus tôt cette année, le Bureau a annoncé qu’il avait obtenu des ordonnances judiciaires à l’encontre des sociétés mères de deux chaînes de supermarchés. Ces ordonnances exigent que ces sociétés produisent des documents et des renseignements que le Bureau utilisera pour déterminer si ces sociétés « imposent des restrictions anticoncurrentielles » sur l’utilisation des biens immobiliers ayant une incidence sur la concurrence dans le secteur de la vente au détail de produits alimentaires. Le Bureau, qui n’a tiré aucune conclusion quant à l’existence d’un acte répréhensible pour le moment, affirme vouloir déterminer « la nature et l’étendue des contrôles de propriété au Canada ».

De quelle façon les détaillants ont-ils réagi?

Loblaws a déclaré être en faveur de l’élimination des contrôles de propriété commerciale dans le secteur des supermarchés et être disposée à ne plus utiliser ces clauses, si et uniquement si les autres supermarchés en faisaient de même. La société a indiqué que même si les contrôles de propriété visaient initialement à encourager le développement, ils pouvaient néanmoins réduire les choix offerts aux consommateurs dans certains cas. D’autres ont par ailleurs demandé au gouvernement d’éliminer les clauses d’exclusivité, plutôt que de laisser la décision aux entreprises individuellement. Walmart Canada a également annoncé le mois dernier qu’elle éliminera les contrôles de propriété qui entraveraient la concurrence partout au pays, déclarant que sa décision avait été influencée par des « changements récents au Canada », faisant manifestement allusion à la Loi modifiée et/ou à l’enquête du Bureau.

De quelles façons ces changements se répercuteront-ils sur les baux existants?

Les modifications permettront au Bureau de prendre des mesures d’application de la Loi à l’égard des contrôles de propriété visant des concurrents dans les accords existants. Cependant, aucune mesure ne peut être prise relativement aux accords qui ont été résiliés il y a plus de trois ans.

Tant les locataires que les propriétaires devraient examiner attentivement les baux existants pour voir si certains contrôles de propriété pourraient soulever des enjeux de non conformité, en se posant les questions énumérées ci après. Les clauses posant problème pourraient devoir être supprimées ou revues. Certaines entreprises de secteurs plus à risque pourraient choisir d’adopter la même position que Walmart, qui est d’aviser les parties contractantes qu’elle élimine unilatéralement les restrictions.

À quoi les entreprises devraient-elles être attentives dans les baux et les accords à l’avenir?

Dorénavant, les locataires, les propriétaires et les entreprises qui achètent ou vendent des biens immobiliers commerciaux devraient examiner attentivement les clauses de contrôle de propriété pour s’assurer qu’ils respectent les nouvelles dispositions de la Loi. Les entreprises devraient notamment se poser les questions suivantes et consulter leur conseiller juridique :

  • Le contrôle de la propriété est-il raisonnablement nécessaire pour favoriser la concurrence (p. ex. permettre à une nouvelle entreprise d’entrer sur le marché ou encourager un nouveau développement ou un nouvel investissement) ou vise-t-il réellement à restreindre la concurrence?
  • L’entreprise est-elle dominante dans le marché?
  • Le contrôle de propriété a-t-il entravé ou est-il susceptible d’entraver la concurrence dans une région ou un marché donné?
  • Ce contrôle de propriété pourrait-il durer moins longtemps tout en continuant de favoriser la concurrence?
  • Ce contrôle de propriété pourrait-il couvrir moins de produits ou de services ou être davantage circonscrit géographiquement tout en continuant de favoriser la concurrence?

Les entreprises qui concluent fréquemment des baux ou des contrats d’achat ou de vente de biens immobiliers sont invitées à revoir les clauses de leurs contrats types afin d’éviter tout problème.


Notes

1  

D’autres dispositions pourraient être pertinentes, notamment l’article 45 dans le cas d’accord entre concurrents.

3  

Les sanctions pécuniaires administratives peuvent aller jusqu’à 3 % des recettes globales brutes annuelles d’une partie.

4   Avec prise d’effet le 20 juin 2025, les parties privées pourront demander au Tribunal la permission de présenter une réclamation pour obtenir un dédommagement pour abus de position dominante et collaborations entre concurrents (bien que les réclamations de parties privées pour abus de position dominante ne soient pas une nouveauté, le fait que les parties privées puissent obtenir un dédommagement le sera). Les parties privées pourront réclamer un dédommagement jusqu’à concurrence du « bénéfice » tiré du comportement répréhensible, cette somme devant être répartie entre le demandeur et toute autre personne touchée par le comportement à la discrétion du Tribunal. 



Personnes-ressources

Associée
Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence
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