Le 27 octobre dernier, le projet de loi no 59, soit la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (projet de loi), a été déposé à l’Assemblée nationale du Québec.
Le projet de loi prévoit des modifications réellement majeures au régime actuel de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) ainsi qu’à celui de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST). Cela étant dit, les employeurs se demanderont sans doute, en lisant le projet de loi, ce qu’ils pourront bien y gagner...
En effet, non seulement le projet de loi est quasi à sens unique (en ne prévoyant des droits qu’aux travailleurs et à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et la sécurité du travail (CNESST)), mais il porte aussi atteinte à plusieurs égards à des droits fondamentaux de l’employeur, notamment à ses droits de gestion et droits en matière de financement.
Droits de gestion de l’employeur
En ce qui concerne les atteintes aux droits de gestion de l’employeur, soulignons entres autres choses la définition de l’emploi prélésionnel (notion de « son emploi » prévue à l’article 2 du projet de loi). Le projet de loi réfère à cet égard à l’emploi occupé par le travailleur au moment de la lésion professionnelle. Il s’agit là d’un choix très curieux, étant donné qu’un travailleur peut, au moment de la lésion professionnelle, occuper une fonction temporaire (à titre d’exemple, il peut remplacer un travailleur en vacances ou en invalidité). Par conséquent, le travailleur victime d’une lésion professionnelle pourrait avoir le droit de réintégrer un poste dont il n’était nullement titulaire, ce qui est bien entendu problématique sur le plan de la gestion de l’effectif par l’employeur.
Nouveautés en matière de maladies professionnelles
Le projet de loi édicte le Règlement sur les maladies professionnelles, où se retrouvent désormais les maladies professionnelles. Plusieurs types de cancer propres au travail de pompier y ont été ajoutés. Un changement majeur est par ailleurs prévu à la section VII du règlement, soit la reconnaissance du « trouble stress post-traumatique » en tant que maladie professionnelle, ce qui donne aux travailleurs la possibilité de bénéficier d’une présomption de maladie professionnelle dans le cadre d’une réclamation impliquant un tel diagnostic. Rappelons à cet égard que jusqu’à maintenant, la philosophie de la LATMP était de ne pas assimiler les maladies de nature psychique aux maladies professionnelles. Le projet de loi présente donc en ce sens un changement fondamental au régime tel qu’on le connaît.
Nouveaux pouvoirs conférés à la CNESST en matière d’accommodement
Le projet de loi confère également des droits nouveaux et extrêmement vastes à la CNESST en matière de démarches d’accommodement du travailleur victime d’une lésion professionnelle. Les droits en question sont essentiellement prévus à l’article 36 de celui-ci. À titre d’exemple, la CNESST se voit confier la responsabilité de déterminer l’existence ou non d’une contrainte excessive, et cela, dans le cadre de son évaluation de la réintégration du travailleur victime d’une lésion professionnelle. Rappelons que jusqu’à présent, seul le Tribunal administratif du travail détenait un tel pouvoir; le rôle de la CNESST se limitait à rappeler aux parties leur obligation de mettre en œuvre un processus d’accommodement. La liste des pouvoirs conférés à la CNESST en matière d’accommodement en vertu de ce projet de loi est impressionnante et va jusqu’au droit d’obtenir les descriptions détaillées des emplois chez l’employeur, les exigences physiques des emplois, leurs disponibilités éventuelles, les possibilités d’adapter ou de réorganiser le travail et les dispositions de la convention collective dans les milieux syndiqués.
En outre, le projet de loi prévoit, à l’article 37, des sanctions étonnantes lorsqu’un employeur ne se conforme pas aux prescriptions de la loi en matière de réintégration du travailleur victime d’une lésion professionnelle. En effet, l’employeur peut, dans un tel cas, se voir ordonner de payer, et ce, à la CNESST, une sanction pécuniaire jusqu’à concurrence des indemnités de remplacement de revenu auxquelles le travailleur était admissible pendant la période de défaut. Il s’agit là d’un pouvoir qui risque fort de semer la controverse.
Nouvelle présomption en matière de réintégration des travailleurs
Notons également que le projet de loi crée, à l’article 36, des présomptions voulant que l’employeur soit présumé (voire réputé, dans certains cas) être en mesure de réintégrer le travailleur victime d’une lésion professionnelle. Voilà un exemple additionnel des défis qui attendent les employeurs si le projet de loi entre en vigueur dans sa forme actuelle, surtout compte tenu des sanctions décrites ci-dessus auxquelles ils s’exposent s’ils font défaut de réintégrer les travailleurs de manière conforme à la loi.
Nouvelles obligations en matière d’assignation temporaire
Le projet de loi prévoit, à l’article 42, l’obligation pour le médecin traitant d’indiquer les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle dans le formulaire prescrit par la CNESST. À défaut de fournir de tels détails, l’employeur ne pourra procéder à l’assignation temporaire demandée. Notons que les employeurs auraient bien souhaité l’introduction d’un processus de contestation en cas de refus d’assignation temporaire non fondé... mais il n’en est rien.
Changements au régime de financement
À l’article 93, le projet de loi retire de la LATMP la notion de l’employeur « obéré injustement », notion qui permettait essentiellement d’obtenir un partage des coûts imputés au dossier de l’employeur dans certaines situations. Cette notion est substituée par un nouvel article qui intègre à la LATMP une politique d’imputation déjà existante de la CNESST, laquelle présente toutefois certaines faiblesses et n’est d’ailleurs pas suivie par nos tribunaux (article 96 du projet de loi).
Au surplus, l’article 329 de la LATMP devient à toutes fins pratiques inapplicable (article 97 du projet de loi). Rappelons que dans sa forme actuelle, l’article 329 permet un partage des coûts dans le cas d’un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste la lésion professionnelle. Le projet de loi est nettement plus sévère à l’égard du handicap requis et prévoit que l’article s’applique uniquement lorsque le travailleur présente, préalablement à la lésion, « une déficience entraînant une incapacité significative et persistante et […] est sujet à rencontrer des obstacles dans l’accomplissement d’activités courantes » (nos soulignements). La portée de l’article 329 est ainsi réduite à une proportion infime des travailleurs du Québec, si l’on se fie au niveau de handicap requis en vertu du projet de loi. Autrement dit, c’est exclure de l’article 329 la quasi-totalité des dossiers de lésion professionnelle qui surviennent au Québec.
Changements en ce qui concerne la LSST
Enfin, le projet de loi prévoit plusieurs modifications à la LSST. Tel que l’indique le résumé contenu en introduction du projet de loi, celui-ci étend l’application des mécanismes de prévention et de participation des travailleurs à tous les secteurs d’activités, et ce, en fonction de la taille des établissements et du niveau de risque des activités qui y sont exercées. Le projet de loi permet également à un employeur de mettre en place un seul programme de prévention pour une partie ou pour l’ensemble de ses établissements où s’exercent des activités de même nature et, dans ce cas, de former un seul comité de santé et de sécurité pour ces établissements (voilà bien l’un des seuls avantages prévus dans le projet de loi pour les employeurs).
À l’article 143, le projet de loi modifie également l’article 51 de la LSST (obligations générales de l’employeur) pour y prévoir des mesures assurant la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence conjugale ou familiale. Les travaux parlementaires pourront, espérons-le, clarifier les situations précises visées par cet ajout à la LSST ainsi que circonscrire les mesures permettant aux employeurs de satisfaire à cette nouvelle obligation.
À quoi s’attendre
En terminant, soulignons le fait que plusieurs modifications en matière de santé et de sécurité du travail sont revendiquées par les employeurs du Québec depuis fort longtemps. Pour ne donner qu’un seul exemple, soulignons la revendication concernant la réduction des indemnités de remplacement de revenu afin qu’un taux de 85 % du salaire net soit prévu plutôt qu’un taux de 90 % (notamment afin de refléter la réalité d’autres provinces canadiennes). Il est certainement décevant de constater que ces revendications n’ont aucunement trouvé écho dans le projet de loi.
Cela étant dit, nous vous tiendrons informés de l’évolution du projet de loi, qui doit faire l’objet de travaux parlementaires et dont la version actuelle pourrait être appelée à changer.
Pour un portrait complet du projet de loi, nous vous invitons à communiquer avec nous.