Le 1ᵉʳ février, le président des États-Unis, Donald Trump, a signé trois décrets imposant des tarifs douaniers au Canada, à la Chine et au Mexique en raison de l’état d’urgence nationale déclaré lié à l’immigration illégale et aux importations de fentanyl présumées en provenance de chaque pays1. Les décrets sont l'aboutissement de plusieurs mois de spéculations quant à l’imposition éventuelle de ces tarifs et au moment d’une telle imposition, après une publication que le président Trump avait faite sur les réseaux sociaux à la fin de novembre. Le Canada a réagi le même jour en annonçant des mesures de représailles tarifaires.
Dans cet article, les membres de notre groupe de travail canado-américain en droit commercial transfrontalier expliquent ce qu’il faut savoir sur ces annonces.
Quels sont les tarifs imposés par les États-Unis?
Le décret visant le Canada, intitulé Imposing Duties to Address The Flow of Illicit Drugs Across Our Northern Border (Décret), crée un tarif de 25 % sur les importations aux États-Unis de produits originaires du Canada, à l’exception des ressources énergétiques, qui sont assujetties à un tarif de 10 %, à compter du mardi 4 février 2025. Les tarifs pourraient augmenter en réponse aux mesures de représailles prises par le Canada (voir ci-après).
Les « ressources énergétiques » soumises au tarif de 10 % comprennent le pétrole brut, le gaz naturel, les condensats de concession, les liquides de gaz naturel, les produits pétroliers raffinés, l’uranium, le charbon, les biocarburants, la chaleur géothermique, l'énergie cinétique de l’eau qui bouge et les minéraux critiques.
De plus, le Décret supprime l’exemption de minimis pour les importations de faible valeur, ce qui signifie que les importations de marchandises originaires du Canada dont la valeur est inférieure à 800 $ seront assujetties aux nouveaux tarifs.
Le Décret ne mentionne pas de procédure permettant de demander des exclusions tarifaires pour des marchandises particulières, bien qu’il soit possible qu’une telle procédure soit mise en œuvre ultérieurement.
Comme nous l’expliquons dans notre article Cours 101 sur les tarifs douaniers, les marchandises expédiées du Canada aux États-Unis ne sont pas toutes d’origine canadienne. Le Décret cible précisément « [traduction] tous les articles qui sont des produits du Canada », ce qui dépend de l’application de règles d’origine complexes. Par exemple, les produits fabriqués dans d’autres pays qui transitent simplement par le Canada ne sont pas considérés comme étant originaires du Canada. De même, les marchandises fabriquées aux États-Unis qui sont exportées au Canada et retournées aux États-Unis, aussi longtemps que leur valeur n’a pas augmenté, ne seraient pas assujetties aux nouveaux tarifs.
Les marchandises qui ont déjà été chargées ou qui étaient en transit sur le mode de transport final avant 12 h 01 HE le 1ᵉʳ février sont exemptées des nouveaux tarifs, à la condition que l’importateur dépose une attestation à cet effet auprès du US Customs and Border Protection (CBP) à l’importation.
Le Décret exclut également des tarifs : i) les communications personnelles; ii) les dons de nourriture, de vêtements ou de médicaments; iii) les documents d'information (p. ex. publications, films, musique, arts et nouvelles); et iv) les bagages personnels lors de voyages.
Des tarifs similaires ont également été imposés à la Chine et au Mexique, à des taux respectifs de 10 % et de 25 %.
Sous quelle autorité les tarifs ont-ils été imposés?
Le président Trump a pris ce Décret en vertu de l’autorité que lui confère l'International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) pour faire face aux situations d’urgence nationale. L’IEEPA confère au président, en cas d’urgence nationale, de vastes pouvoirs lui permettant d’enquêter, entre autres, sur les importations ou les exportations de biens dans lesquels un pays étranger ou un de ses ressortissants a un intérêt, ou encore de les réglementer ou les interdire. Le recours à l’IEEPA pour imposer des tarifs universels sur les importations en provenance d’un pays dans ces circonstances est une nouveauté, et la supposition largement admise veut que le pouvoir du président d’imposer ces tarifs en vertu de l’IEEPA sera contesté devant les tribunaux américains.
Quels sont les contre-tarifs imposés par le Canada?
Quelques heures après la publication du Décret, le Canada a annoncé qu’il réagirait en mettant en place des tarifs de 25 % sur 155 milliards de dollars de marchandises importées des États-Unis, en commençant par 30 milliards de dollars de marchandises le 4 février2 et en ajoutant 125 milliards de dollars de marchandises 21 jours plus tard. Le premier ensemble de tarifs vise les produits américains comme le jus d’orange, le beurre d’arachide, le vin, les spiritueux, la bière, le café, les motocyclettes, les appareils électroménagers, les vêtements, les chaussures, les cosmétiques et les pâtes et papiers.
Les tarifs canadiens visent précisément les marchandises « qui sont admissibles au marquage en tant que marchandises des États-Unis » conformément aux règles d’origine établies dans le règlement visant les pays ACEUM. Les tarifs ne s’appliqueront pas aux marchandises « en transit vers le Canada » à la date d’entrée en vigueur des tarifs.
Quel est le fondement de l'imposition de tarifs américains contre le Canada?
La Maison-Blanche a déclaré que la principale raison pour laquelle les tarifs sont imposés au Canada est l'entrée de drogues (en particulier le fentanyl) et l’immigration illégale à la frontière canado-américaine, qui, selon elle, constituent une urgence nationale en vertu de la l'IEEPA. Toutefois, le président a également soulevé des préoccupations au sujet d’un déficit commercial qui désavantagerait prétendument l’économie américaine.
Comment les États-Unis peuvent-ils imposer des tarifs si nous avons un accord commercial?
De façon générale, l’imposition de nouveaux tarifs est contraire à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), qui a remplacé l’ALENA. Par exemple, l’article 2.4 Traitement des droits de douane prévoit que « Sauf disposition contraire du présent accord, aucune Partie n’augmente un droit de douane existant ni n’adopte un nouveau droit de douane à l’égard d’un produit originaire ».
Cependant, il existe des exceptions, notamment une dispense qui est prévue à l’article 32.2 pour les « Intérêts essentiels de sécurité », qui prévoit ce qui suit : « Aucune disposition du présent accord n’est interprétée comme : b) empêchant une Partie d’appliquer les mesures qu’elle estime nécessaires pour remplir ses obligations en matière de maintien ou de rétablissement de la paix ou de la sécurité internationales, ou pour protéger ses propres intérêts de sécurité essentiels ». Le fait que l’administration Trump a décidé d’imposer des tarifs en vertu de l’IEEPA en réaction à la crise du fentanyl et à la crise frontalière donne à penser qu’elle se positionne pour invoquer l’exemption relative aux intérêts essentiels de sécurité si elle est contestée en vertu de l’ACEUM.
Une contestation en vertu des dispositions du chapitre 31 de l’ACEUM sur le règlement des différends entre États prendrait toutefois des mois et donnerait vraisemblablement au Canada, tout au plus, l’autorisation, en vertu des modalités de l’accord, de prendre des mesures de représailles, ce que le Canada a déclaré qu’il fera de toute façon.
Des drawbacks des droits seront-ils offerts?
Dans notre article Cours 101 sur les tarifs douaniers, nous avons indiqué que les États-Unis ont mis en place des programmes de drawback des droits et de report des droits qui permettent aux importateurs de demander un report, un remboursement, une réduction ou une exemption des droits qui ont été payés pour les marchandises qui sont réexportées des États-Unis. Toutefois, le Décret apporte des précisions sur ce point, indiquant [traduction] qu’« aucun drawback ne sera disponible à l’égard des droits imposés en vertu du présent décret ».
Les détails sur les drawbacks canadiens possibles ou d’autres allégements n’ont pas encore été annoncés.
Quelles autres représailles le Canada mettra-t-il en place?
Le premier ministre Trudeau a déclaré que le Canada pourrait prendre des « mesures non tarifaires » liées aux exportations d’énergie et de minéraux critiques, et que les provinces pourraient prendre des mesures supplémentaires. Par exemple, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, et le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Tim Houston, ont ordonné aux régies des alcools exploitées par la province de retirer les boissons alcoolisées américaines de leurs tablettes à compter du 4 février.
Le gouvernement canadien a laissé entendre que les entreprises canadiennes pourraient bénéficier d’une aide semblable à celle offerte pendant la pandémie, car les tarifs pourraient bouleverser considérablement les chaînes d’approvisionnement transfrontalières et l’économie canadienne en général, en particulier les secteurs hautement intégrés, comme le secteur de l’automobile, où les produits franchissent la frontière canado-américaine et américaine-mexicaine plusieurs fois avant que le produit fini ne soit prêt pour les consommateurs.
Qu’est-ce que les entreprises devraient faire dans les jours et les semaines à venir?
Avec cette guerre commerciale maintenant déclarée, et l’incertitude qui s’annonce, les entreprises canadiennes et américaines devraient faire ce qui suit :
- Examiner les clauses contractuelles des contrats d’approvisionnement ou d’achat actuels et à venir, en particulier les modifications aux lois, les cas de force majeure et les dispositions similaires;
- Réévaluer si les marchandises importées aux États-Unis sont réellement originaires du Canada, et vice versa pour les marchandises importées des États-Unis au Canada;
- Examiner si les chaînes d’approvisionnement peuvent être diversifiées et rechercher d’autres sources d’approvisionnement;
- Tirer parti des accords de libre-échange conclus avec d’autres régions, tels que l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne (AECG), en envisageant d’autres marchés pour leurs produits; et
- Faire appel à des conseillers juridiques et à des courtiers en douane expérimentés.
Les auteur·rices tiennent à remercier Ian Chesney et Jonah Secreti, stagiaires, pour leur aide dans la préparation de la présente actualité juridique.