Le 1er février dernier, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement pertinent pour les entreprises faisant usage de contrats à durée déterminée incluant des clauses restrictives d’emploi1. La Cour a conclu que les clauses restrictives ne constituaient pas des clauses essentielles du contrat et qu’ainsi, à moins d’être stipulées expressément et par écrit, les clauses restrictives (non-sollicitation, confidentialité, non-concurrence) ne sont pas reconduites tacitement lors du renouvellement tacite d’un contrat à durée déterminée. Par conséquent, en l’absence d’un écrit venant reconfirmer les clauses restrictives contenues au contrat de travail, ces clauses restrictives ne seront plus applicables en cas de renouvellement tacite du contrat d’emploi à durée déterminée. La seule protection de l’employeur sera alors l’obligation de loyauté en vertu de l’article 2088 CcQ.
Les faits
L’employé, un spécialiste du transport, est embauché par un employeur dans ce domaine, amenant avec lui une partie substantielle de son volume d’affaires. À son arrivée, il signe un contrat d’emploi d’une durée de trois ans comportant une clause de non-sollicitation de même qu’une clause visant la protection des informations à caractère confidentiel.
Plus d’une année après l’échéance prévue à ce contrat initial, un deuxième contrat d’emploi est conclu pour une durée déterminée de trois ans, lequel est également assorti de clauses de non-sollicitation et de protection des informations à caractère confidentiel. Malgré une demande de l’employé pour obtenir une nouvelle entente écrite après l’expiration du terme de ce deuxième contrat, l’employeur n’a pas pris le temps de consigner par écrit les modalités d’emploi du travailleur : leur relation s’est ainsi poursuivie durant plusieurs années.
Après avoir vécu certaines frustrations au travail, l’employé est approché par un concurrent et décide de joindre ses rangs. Il invite les trois membres de son équipe à le suivre, ce que ces derniers s’empressent de faire, étant donné les conditions avantageuses offertes par l’entreprise concurrente. Le matin suivant, l’employé remet les quatre lettres de démission effectives immédiatement et quitte les lieux.
Une mise en demeure lui est remise quelques semaines plus tard lui rappelant son obligation de loyauté et le sommant de respecter les clauses de non-sollicitation et de confidentialité prévues à son contrat d’emploi. L’employeur intente un recours devant la Cour supérieure et une demande reconventionnelle de l’employé s’ensuit.
Le jugement de la Cour supérieure
Le juge reconnaît le principe édicté à l’article 2090 CcQ sur la reconduction tacite du contrat d’emploi après cinq jours de travail continu après le terme, sans opposition de l’employeur. Il affirme cependant que cette reconduction ne vise que les conditions essentielles du contrat de travail à durée déterminée.
Relativement à ces conditions essentielles, il mentionne qu’outre le salaire ou les heures de travail, aucune autre condition ne peut être qualifiée d’essentielle « car elles ne reflètent pas ou n’ont pas de lien avec les caractéristiques principales de ce contrat nommé, telles la rémunération, le lien de subordination, l’exercice du travail dans la dignité et la protection de la santé et sécurité du travail »2. La Cour conclut que la clause de non-sollicitation pourrait être considérée comme une clause restrictive d’emploi assujettie à l’article 2089 CcQ qui impose l’obligation que de telles clauses soient stipulées par écrit et de façon expresse. Dans le cadre d’une reconduction tacite du contrat d’emploi comme en l’espèce, ces clauses ne peuvent donc pas être reconduites.
Analyse
Ce raisonnement est surprenant, car il implique nécessairement que l’article 2089 C.c.Q. vise également les clauses de non-sollicitation, ce qui n’a jamais été clairement le cas. Rappelons que l’article 2089 CcQ ne vise que les stipulations quant à « faire concurrence » et « participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence », ce qui n’implique donc pas clairement la sollicitation en tant que telle. L’employé n’est désormais débiteur d’aucune obligation allant au-delà de celles découlant du CcQ en vertu de l’obligation de loyauté.
Il importe de mentionner que le juge a tout de même reconnu que l’employé aurait dû donner à son employeur un préavis de démission raisonnable, c’est-à-dire équivalant au moins au préavis de délai-congé auquel il aurait eu droit en vertu de la Loi sur les normes du travail. Le juge a également conclu que l’employé avait manqué à son obligation de loyauté en invitant les membres de son équipe à le suivre chez le compétiteur alors qu’il n’avait pas encore lui-même démissionné.
Cependant, l’affirmation du principe selon lequel les clauses de non-sollicitation et de confidentialité ne sont pas des clauses essentielles à un contrat de travail à durée déterminée et ne peuvent ainsi être reconduites tacitement peut être lourde de conséquences. Les employeurs utilisant les contrats d’emploi à durée déterminée auront désormais tout intérêt à se protéger en mettant toujours par écrit les conditions d’emploi qu’ils jugent importantes, notamment les clauses restrictives, lors du renouvellement du contrat. Il s’agit de la seule façon pour l’employeur de se protéger adéquatement lors du départ d’un employé clé. Par ailleurs, il sera intéressant de suivre les développements jurisprudentiels à savoir si désormais la clause de non-sollicitation sera régie par 2089 CcQ, ce qui impliquerait l’ajout systématique d’un territoire aux clauses de non-sollicitation, ce qui est contraire aux derniers enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Payette c Guay3 et aux tendances actuelles.
Notes
1. Traffic Tech inc. c Kennell, 2016 QCCS 355.
2. Id, para 48.
3. Payette c Guay inc., [2013] 3 RCS 95, 2013 CSC 45.