Le 30 mai, le Bureau de la concurrence (Bureau) a publié ses lignes directrices définitives sur l’application de la loi concernant les accords de fixation des salaires et de non débauchage (lignes directrices), qui décrivent l’approche du Bureau dans l’application des nouvelles dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence (Loi) entrées en vigueur le 23 juin 2023.

Les lignes directrices du Bureau ont été publiées à la suite d’une consultation publique s’étant déroulée plus tôt cette année. Pour plus d’information, consultez notre précédent bulletin portant sur la consultation et le projet de lignes directrices.


Nouvelle infraction en cas d’accord de fixation des salaires et de non débauchage 

En date du 23 juin 2023, le nouveau paragraphe 45(1.1) de la Loi érigera en infractions criminelles les accords ou les arrangements entre employeurs non affiliés :

  • en vue de fixer, de maintenir, de diminuer ou de contrôler les salaires, les traitements ou d’autres conditions d’emploi (« accord de fixation des salaires »); ou
  • de ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur (« accords de non-débauchage » ou de « non-embauche »).

Les employeurs qui participent à un accord de fixation des salaires ou de non débauchage illégal s’exposent à de graves sanctions, dont une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans ou une amende devant être fixée à la discrétion du tribunal, ou les deux. Ils pourraient également faire face à d’éventuelles poursuites civiles en dommages intérêts en vertu de la Loi

Lignes directrices

En prévision de l’application des nouvelles dispositions criminelles visant les accords de fixation des salaires et de non débauchage, il convient de se tourner vers les lignes directrices pour avoir un aperçu de l’approche du Bureau en la matière :

  • Application de la nouvelle infraction aux accords préexistants : La nouvelle infraction s’applique aux accords conclus à compter du 23 juin 2023 ainsi qu’aux comportements qui réaffirment ou mettent en œuvre des accords conclus avant cette date. Il est précisé dans les lignes directrices qu’au moins deux parties doivent réaffirmer ou mettre en œuvre la restriction et qu’il est peu probable que le Bureau remette en question un accord problématique si les parties ne prennent pas de mesures pour le réaffirmer ou le mettre en œuvre. Au-delà de la mention précisant que le Bureau met l’accent sur « l’intention des parties à compter du 23 juin 2023 », aucune indication n’est donnée quant aux types de mesures ou de comportements qui constitueraient, selon le Bureau, une réaffirmation ou une mise en œuvre d’un accord antérieur (particulièrement dans le cas des accords de non débauchage prévoyant la non-embauche ou la non-sollicitation des employés de l’autre partie); toutefois, les employeurs sont invités à mettre à jour leurs documents et accords préexistants afin de s’assurer qu’ils reflètent bien leurs politiques et intentions.
  • Définition d’« employeur » : La nouvelle infraction s’applique aux accords ou arrangements mettant en cause au moins deux « employeurs » non affiliés, qu’ils se fassent ou non concurrence. Bien que le terme « employeur » ne soit pas défini dans la Loi, il est indiqué dans les lignes directrices qu’il englobe les administrateurs, les dirigeants, ainsi que les employés ou agents, d’une entité, comme les professionnels en ressources humaines, ce qui envoie un message clair. En effet, non seulement les entités s’exposent à des poursuites en vertu des nouvelles dispositions1, mais les personnes peuvent aussi être tenues personnellement responsables en cas de non-respect des nouvelles dispositions. 
  • Il doit y avoir une relation d’emploi : Les lignes directrices laissent entendre qu’une relation employeur employé doit exister pour déclencher l’application de la nouvelle infraction et que les accords relatifs aux modalités des ententes avec des entrepreneurs indépendants ne feront pas l’objet de sanctions criminelles. Pour déterminer s’il existe une relation employeur-employé, le Bureau se penchera sur les lois provinciales et fédérales applicables en matière d’emploi de même que sur les ententes entre les parties et leur comportement. Toutefois, les lignes directrices mettent les employeurs en garde relativement au fait qu’une relation d’entrepreneur indépendant peut évoluer avec le temps en une relation employeur-employé. 
  • Seuls les accords de non débauchage mutuels sont visés : La nouvelle infraction relative au non débauchage interdit aux employeurs de convenir entre eux de ne pas solliciter ou embaucher les employés « de l’autre » employeur. Les lignes directrices confirment que les accords « unidirectionnels » où une seule partie s’engage à ne pas débaucher les employés de l’autre partie ne sont pas visés par les nouvelles dispositions criminelles. Cependant, le Bureau analysera l’ensemble des accords entre employeurs, y compris les arrangements verbaux, pour déterminer s’il y a eu promesse mutuelle de ne pas embaucher les employés de l’autre partie. 
  • Interprétation large de « conditions d’emploi » : La nouvelle disposition interdit non seulement les accords qui fixent les salaires et les traitements, mais aussi ceux qui fixent « les conditions d’emploi ». Selon la position du Bureau concernant les « conditions d’emploi », celles ci s’entendent des responsabilités, politiques et avantages associés à un emploi, comme les descriptions de poste, les allocations et les remboursements, la rémunération non monétaire, les heures de travail, le lieu de travail et toute directive (dont les clauses de non concurrence) susceptibles de restreindre les perspectives d’emploi d’une personne. 
  • Défense fondée sur les restrictions accessoires : La défense fondée sur les restrictions accessoires peut être invoquée lorsque les parties sont en mesure de démontrer qu’une entente, par ailleurs illégale, est accessoire à un accord plus large entre les mêmes parties et qu’elle est « directement liée et raisonnablement nécessaire » à la réalisation d’un tel accord2. La défense fondée sur les restrictions accessoires ne peut être invoquée pour les accords autonomes sans lien avec un accord ou un arrangement plus large. 

    Il est reconnu dans les lignes directrices que les accords de fixation des salaires et de non débauchage jouent un rôle important dans de nombreux accords commerciaux, dont les fusions, les coentreprises, les alliances stratégiques ou les contrats de franchise et les arrangements relatifs aux services de TI et de dotation en personnel. De façon générale, le Bureau ne contestera pas les clauses de fixation des salaires et de non-débauchage dans ce type d’accord ou d’arrangement aux termes de la nouvelle infraction, sauf si les clauses sont manifestement plus larges que nécessaire en ce qui concerne les employés visés, les territoires ou la durée, ou lorsque l’accord ou l’arrangement commercial est une imposture3. Toutefois, comme il s’agit d’un moyen de défense, les employeurs ne doivent pas oublier que, en cas d’enquête ou de poursuite, il incombera aux employeurs visés de démontrer – preuve à l’appui – que leur accord ou arrangement est admissible à la défense fondée sur les restrictions accessoires. 
  • Négociation de conventions collectives non touchées par les modifications : Les lignes directrices confirment que la Loi ne s’applique pas aux négociations de conventions collectives et que celles ci ne seront pas remises en question par le Bureau4.
  • Conséquences pour les franchiseurs et les franchisés : La nouvelle infraction s’applique tant aux dispositions de fixation des salaires et de non débauchage dans les contrats de franchise qu’aux accords ou aux ententes entre franchisés. Même si, selon les lignes directrices, le Bureau adoptera une approche plus mesurée face aux dispositions de non débauchage et de fixation des salaires dans les contrats de franchise (et ne les examinera que si elles sont « clairement plus larges que nécessaire »), les mesures prises par les franchisés pour faire appliquer les restrictions de non débauchage dans d’autres contrats de franchise pourraient susciter un examen plus approfondi5
  • Partage de renseignements et analyse comparative : Les employeurs sont invités à faire preuve de prudence lorsqu’ils partagent des renseignements commerciaux délicats – qui, en date du 23 juin 2023, comprennent des renseignements liés à l’emploi – dans le cadre d’activités de collaboration, comme les fusions, les coentreprises et les alliances stratégiques ou la participation à une association commerciale et à des analyses comparatives, étant donné que le partage de renseignements pourrait laisser supposer qu’un accord illégal existe entre les parties.

Conclusion

Bien que les lignes directrices aient été révisées par suite de la consultation publique tenue plus tôt cette année, le fond demeure essentiellement le même. Les lignes directrices accordent toujours au Bureau un vaste pouvoir discrétionnaire en matière d’application de la loi et ne règlent pas certaines questions importantes quant au traitement des ententes conclues entre les employeurs avant le 23 juin 2023. 

Dorénavant, les accords de fixation des salaires et de non débauchage mutuels et les clauses des contrats commerciaux devront être rédigés avec soin : pour que ces accords soient conformes aux nouvelles dispositions et puissent bénéficier de la défense fondée sur les restrictions accessoires, ils devront être considérés comme une partie raisonnablement nécessaire de l’accord ou de l’arrangement plus large auquel ils se rapportent. Les lignes directrices donnent aux parties quelques indications quant à l’approche du Bureau en matière d’application de la Loi, mais elles n’ont pas force de loi et il incombera aux parties de démontrer – preuve à l’appui – que la restriction est admissible à cette défense. En raison du risque de responsabilité criminelle, les employeurs devraient obtenir des conseils juridiques lorsqu’ils comptent invoquer ce moyen de défense eu égard aux circonstances propres à chaque accord.


Notes

1   Les entreprises elles-mêmes pourraient s’exposer à des poursuites pour un accord conclu entre leurs employés respectifs si ceux-ci agissent à titre de cadres supérieurs.

2   L’accord ou l’arrangement plus large ne peut contrevenir au paragraphe 45 (1.1) ou autres dispositions pénales de la Loi sur la concurrence

3  

Le Bureau peut tout de même examiner les accords qui ne sont pas visés par les dispositions criminelles aux termes des dispositions civiles de la Loi s’ils sont susceptibles d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur un marché.

4  

L’alinéa 4 (1) c) de la Loi prévoit une exception dans le cas de contrats conclus entre des employeurs au sujet des négociations collectives portant sur les traitements, salaires et conditions d’emploi de leurs employés.

5  

Les lignes directrices laissent entendre que les arrangements entre franchisés visant à récupérer les coûts de formation associés aux employés « débauchés » ne poseraient normalement pas problème au Bureau pour ce qui est des dispositions criminelles de la Loi.



Personnes-ressources

Associée
Associé principal, chef canadien, Gouvernance
Associé principal
Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence

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