Les systèmes d’intelligence artificielle (IA) sont capables de créer des œuvres artistiques. La protection du droit d’auteur canadienne s’étend-elle à ces œuvres générées par l’IA? Cette question sera examinée par la Cour fédérale du Canada.

 

En juillet 2024, la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko (CIPPIC) a déposé une demande auprès de la Cour fédérale du Canada (en anglais seulement) en vue de faire radier ou modifier un enregistrement de droit d’auteur qui désigne l’intelligence artificielle à titre de coauteur. Comme nous l’avons expliqué ici (en anglais seulement), en décembre 2021, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) a enregistré un droit d’auteur pour l’image inspirée de l’œuvre La Nuit étoilée intitulée Suryast. L’enregistrement du droit d’auteur mentionne RAGHAV Artificial Intelligence Painting App (RAGHAV) et M. Ankit Sahni à titre de coauteurs.

La demande de la CIPPIC conteste l’enregistrement du droit d’auteur pour Suryast et demande la radiation du droit d’auteur ou, à défaut, la suppression de RAGHAV en tant que coauteur. La CIPPIC avance deux arguments principaux : 1) Suryast ne remplit pas le critère d’originalité nécessaire pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur; et 2) un système d’IA ne peut pas être un « auteur » en vertu de la Loi sur le droit d’auteur.

En ce qui concerne l’originalité, la CIPPIC indique que M. Sahni n’a fait que fournir à RAGHAV trois éléments : une image de base, une image de style et une valeur de la force à utiliser pour appliquer l’image de style à l’image de base. Toutefois, la CIPPIC fait valoir que le simple fait de fournir les éléments est un processus purement mécanique et qu’aucune compétence humaine ni aucun jugement n’a été exercé pour produire Suryast. La CIPPIC soutient également que le terme « auteur » dans la Loi sur le droit d’auteur ne désigne qu’une personne physique (c.-à-d. un « être humain ») et qu’un système d’IA ne peut pas exprimer l’intention commune requise pour être un coauteur.

Les États-Unis disent non à Suryast

Dans sa demande, la CIPPIC renvoie au refus d’enregistrer un droit d’auteur à l’égard de Suryast dans d’autres pays, notamment aux États-Unis. La CIPPIC renvoie tout particulièrement à la décision rendue par le Copyright Review Board des États-Unis (le Comité) en décembre 2023 qui rejetait un deuxième appel (en anglais seulement) de M. Sahni afin d’enregistrer un droit d’auteur à l’égard de Suryast.

Pour mettre les choses en contexte, le Comité a réitéré que les systèmes d’IA ne peuvent pas être des auteurs aux fins du droit d’auteur aux États-Unis. Le Comité a ouvert la porte à l’enregistrement d’un droit d’auteur à l’égard d’une œuvre créée par un humain avec l’aide de l’IA, mais a conclu que l’apport de M. Sahni n’était pas suffisant pour répondre au critère de paternité humaine. Le Comité a reconnu que M. Sahni était le concepteur de l’idée derrière Suryast, mais est venu à la conclusion que RAGHAV était l’auteur de l’expression de cette idée. En refusant l’enregistrement du droit d’auteur, le Comité a souligné que M. Sahni [traduction] « n’exerçait pas de contrôle suffisant sur la création de l’œuvre par RAGHAV ».

La décision Suryast est conforme à la décision rendue en février 2023 (en anglais seulement) par le Copyright Office des États-Unis selon laquelle les utilisateurs d’un autre générateur d’images IA, « Midjourney », qui lui se base principalement sur des textes descriptifs, ne sont pas les « auteurs » des images produites aux fins du droit d’auteur. Dans cette décision, l’auteure d’une bande dessinée qui a utilisé Midjourney pour créer les images à l’aide de textes descriptifs détaillés s’est vu refuser l’enregistrement à l’égard de l’ensemble de la bande dessinée (et en particulier des images créées par Midjourney). L’auteure a été autorisée à enregistrer le droit d’auteur sur les éléments dont elle était la créatrice (le texte ainsi que la sélection et la disposition des images et du texte).

Le Copyright Office des États-Unis a confirmé que le droit d’auteur était limité aux auteurs humains et a conclu que Midjourney était l’auteur des images. Le Copyright Office a comparé l’utilisation de Midjourney à une commande passée à un artiste pour la création d’une image et a insisté sur le fait que les utilisateurs humains n’avaient pas de contrôle suffisant sur l’image générée. Plus particulièrement, les utilisateurs humains n’avaient aucun moyen de prédire quelle image précise résulterait d’un texte descriptif donné.

Ces décisions démontrent qu’aux États-Unis, le contrôle exercé sur le contenu généré par l’IA est pris en compte pour établir la paternité humaine.

Conclusion

Le Canada adoptera-t-il la même approche que les États-Unis à l’égard de la paternité d’œuvres créées par l’IA et à l’aide de l’IA? Pour établir si l’IA peut être l’auteur d’un droit d’auteur en vertu de la version actuelle de la Loi sur le droit d’auteur, la Cour fédérale du Canada pourrait adopter l’approche suivie par les États-Unis.

Toutefois, une consultation récente du gouvernement du Canada, qui a pris fin le 15 janvier 2024, portait sur la paternité des œuvres générées par l’IA. Ces consultations gouvernementales peuvent influencer les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur et l’examen de la question par la Cour fédérale.

La question de l’originalité en lien avec un système d’IA peut être abordée de manière semblable à celle des États-Unis; cependant, nous constatons que le standard pour déterminer l’originalité (exercice de compétence et de jugement) est moins élevé au Canada qu’aux États-Unis (créativité). Même s’il est peu probable que cette question ait une incidence sur l’affaire Suryast, il s’agit d’un exemple de divergence potentielle entre l’approche du Canada et celle des États-Unis dans des affaires mettant en cause différents outils d’IA.

Les œuvres générées par l’IA soulèvent d’autres enjeux pour le régime canadien de la PI, y compris, sans s’y limiter :

  • Le résultat serait-il différent si le système d’IA était le seul auteur désigné, sans coauteur humain?
  • Si la protection du droit d’auteur s’étend aux œuvres générées par l’IA, qui est propriétaire de ces œuvres?
  • Comment un système d’IA peut-il céder ou accorder sous licence son droit d’auteur?
  • Comment un système d’IA peut-il renoncer à ses droits moraux?
  • Même si un système d’IA peut être un auteur de droits d’auteur, il n’est pas clair si le demandeur a le droit de posséder ces œuvres d’IA.
  • Comment le système d’IA peut-il transférer les droits de PI au demandeur? Le créateur d’un système d’IA est-il par défaut son représentant légal? Qu’arrive-t-il si le propriétaire est différent du créateur du système d’IA?
  • Qu’arrive-t-il si l’utilisateur d’un système d’IA participe au processus de création et que cet utilisateur est différent du créateur ou du propriétaire du système d’IA?

Le droit de la propriété intellectuelle s’adaptera pour répondre aux nouvelles questions soulevées par les systèmes d’IA.

Les auteurs tiennent à remercier Russell Walton, étudiant, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.



Personnes-ressources

Associée directrice, bureau de Calgary
Associé, chef canadien, Technologies et cochef canadien, Cybersécurité et confidentialité des données
Associé
Associée

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