Les motifs récemment publiés par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) concernant sa décision dans la cause Re The Catalyst Group Inc. présentent un aperçu de son point de vue sur le rôle du comité spécial et les obligations d’information relativement aux opérations pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts. Les émetteurs et les conseils qui envisagent de telles opérations devraient examiner avec soin la possibilité de former un comité spécial dûment constitué et mandaté, en tenant compte du point de vue de la CVMO selon lequel il est souhaitable qu’un tel comité soit formé au début du processus et correctement conseillé, tout en veillant à ce que l’information divulguée aux actionnaires comprenne suffisamment de détails sur les circonstances particulières de l’opération.

Contexte 

En février 2019, des représentants de la Compagnie de la Baie d’Hudson (HBC), dont M. Richard Baker, gouverneur et président exécutif de HBC, ont entamé des discussions exploratoires avec des représentants de SIGNA, un coentrepreneur européen de HBC, au sujet de la vente éventuelle à SIGNA de la participation restante de 50 % de HBC dans ses coentreprises européennes (opérations avec SIGNA). Peu de temps après, M. Baker a également entrepris des discussions exploratoires avec certains autres actionnaires de HBC sur la possibilité de fermer le capital de celle ci, notamment sur la question de savoir si le produit des opérations avec SIGNA, le cas échéant, pourrait être affecté au financement partiel d’une telle opération. Ces autres actionnaires de HBC, ainsi que M. Baker, détenaient des actions représentant environ 58 % des actions ordinaires alors en circulation de HBC, après conversion.

Vers le 25 mars 2019, M. Baker et un autre dirigeant ont informé l’administrateur principal de HBC de l’intention de M. Baker d’évaluer une opération de fermeture éventuelle avec certains autres actionnaires de HBC (actionnaires restants), le tout sous réserve de la réalisation par HBC des opérations avec SIGNA. L’administrateur principal a accepté que M. Baker examine une telle opération et communique certains renseignements financiers limités à ces actionnaires de manière confidentielle. L’administrateur principal a également consenti à ce que M. Baker fasse appel aux conseillers juridiques habituels de HBC en matière d’opérations.

Le 27 mars 2019, le conseil d’administration de HBC (conseil de HBC) a créé un comité spécial d’administrateurs indépendants (comité spécial) chargé de surveiller et de superviser l’examen et l’évaluation des stratégies et des options de HBC concernant son unité commerciale Lord + Taylor, ainsi que ses coentreprises européennes, qui faisaient l’objet des opérations avec SIGNA éventuelles. Bien que le comité spécial ait été entièrement composé d’administrateurs indépendants, et puisque le produit des opérations avec SIGNA éventuelles pouvait être utilisé pour financer une opération de fermeture, le mandat du comité spécial ne comprenait pas l’examen de la possibilité d’une opération de fermeture, à ce moment-là.

En prévision de la réception d’une proposition de fermeture du capital de la part des actionnaires restants, le mandat du comité spécial a été mis à jour le 9 juin 2019 afin d’autoriser le comité spécial à, notamment, examiner et évaluer toute proposition faite pour réaliser une opération de fermeture. À cette date, le conseil de HBC (à l'exclusion des administrateurs en conflit d’intérêts) a également i) renoncé à une clause moratoire qui liait un des actionnaires restants, lui permettant ainsi de participer à l’opération de privatisation, et ii) approuvé la conclusion par HBC des opérations avec SIGNA.

Le 10 juin 2019, HBC a annoncé les opérations avec SIGNA et les actionnaires restants ont annoncé leur proposition non sollicitée visant la fermeture du capital de HBC au prix de 9,45 $ par action ordinaire. Les actionnaires restants ont également informé le comité spécial qu’aucun d’entre eux n’était alors intéressé par une opération de remplacement qui mènerait à la vente de leur participation dans HBC.

Le 21 octobre 2019, HBC a annoncé qu’elle avait conclu une convention d’arrangement avec les actionnaires restants prévoyant la fermeture du capital de HBC au prix de 10,30 $ par action ordinaire (convention d’arrangement initiale).

Alors que les négociations étaient en cours concernant la convention d’arrangement initiale, The Catalyst Capital Group Inc. (Catalyst) a annoncé publiquement une offre d’acquisition d’un nombre déterminé d’actions ordinaires en circulation de HBC, puis, le 19 août 2019, qu’elle avait accepté 18 491 502 actions ordinaires au prix de 10,11 $ par action ordinaire. Catalyst a également annoncé qu’en date du 31 août 2019, elle détenait 29 431 738 actions ordinaires de HBC, soit environ 15,99 % des actions ordinaires alors en circulation.

Le 27 novembre 2019, Catalyst a annoncé publiquement une proposition d’acquisition non sollicitée visant toutes les actions ordinaires émises et en circulation de HBC qui n’étaient pas déjà détenues par Catalyst, les actions privilégiées après conversion et les titres de capitaux propres connexes de HBC moyennant une contrepartie en espèces de 11,00 $ par action ordinaire (proposition d’acquisition de Catalyst). Le 2 décembre 2019, le comité spécial a publié un communiqué de presse annonçant que la proposition d’acquisition de Catalyst ne pouvait pas constituer une proposition supérieure aux termes de la convention d’arrangement initiale, étant donné qu’elle ne pouvait pas être réalisée puisque les actionnaires restants avaient confirmé qu’ils n’étaient pas intéressés par une telle opération; les actionnaires restants détenaient collectivement environ 58 % des actions ordinaires de HBC après conversion et pouvaient donc rejeter la proposition d’acquisition de Catalyst, qui devrait être approuvée par au moins les trois quarts des voix exprimées à une assemblée des actionnaires de HBC.

Le 2 décembre 2019, Catalyst a déposé un avis de demande d’audience auprès de la CVMO relativement à la convention d’arrangement initiale, demandant à la CVMO d'interdire définitivement aux actionnaires restants d'acquérir des titres de HBC ou, sinon, entre autres choses, que la CVMO exige de HBC qu’elle modifie et mette à jour sa circulaire de sollicitation de procurations et reporte l’assemblée des actionnaires de HBC qui devait avoir lieu le 17 décembre 2019.

À la suite d’une audience, la CVMO a rendu une ordonnance provisoire le 13 décembre 2019, rejetant la demande de Catalyst d’interdire définitivement l’opération de fermeture, mais accueillant sa demande de faire modifier la circulaire de sollicitation de procurations de HBC selon les modalités devant être précisées dans l’ordonnance. L’ordonnance a été rendue le 18 décembre 2019 et les motifs à l’appui de celle ci ont été publiés le 19 février 2020. Voir ci-dessous pour plus de détails concernant l’ordonnance et les motifs à l’appui de celle-ci.

Après la publication de l’ordonnance provisoire, HBC a reporté l’assemblée des actionnaires prévue du 17 décembre 2019 au 27 février 2020. Les représentants du comité spécial, des actionnaires restants et de Catalyst ont mené des négociations et, le 3 janvier 2020, Catalyst a conclu une convention de soutien concernant l’opération de fermeture à un prix majoré de 11,00 $ par action (opération). Le 27 février 2020, HBC a annoncé que les actionnaires avaient approuvé l’opération à raison de 98,28 % des voix exprimées à l’assemblée en faveur de la résolution, dépassant ainsi le vote favorable requis s’établissant à au moins 75 % des voix. La résolution spéciale nécessitait également l’approbation de la « majorité des actionnaires minoritaires », dont 94,46 % des voix ont été exprimées en faveur de la résolution.

L’ordonnance 

L’ordonnance de la CVMO imposait à HBC d’inclure dans sa circulaire de sollicitation de procurations des renseignements plus détaillés sur les points mentionnés ci-dessous, d’envoyer aux actionnaires cette circulaire modifiée, y compris une version soulignée de la circulaire initiale indiquant aux actionnaires les modifications apportées, et de remettre un exemplaire de la circulaire modifiée à la CVMO avant son envoi aux actionnaires.

L’ordonnance de la CVMO exigeait la présentation de l’information suivante, ainsi qu’une « [traduction] analyse significative des conséquences de ces renseignements aux fins de l’opération et du vote des actionnaires » :

  • une description des limites imposées aux évaluateurs qui effectuent l’évaluation du bien phare principal de HBC et l’incidence, le cas échéant, de ces limites sur l’évaluation et l’opinion sur le caractère équitable figurant dans la circulaire de sollicitation de procurations de HBC;
  • les avantages directs ou indirects que certaines personnes précisées obtiendront dans le cadre de l’opération, y compris ceux que recevront les administrateurs et les dirigeants de HBC dans le cadre du traitement des unités d’actions de négociation restreinte et des options et ceux que recevront les actionnaires restants découlant de la structure fiscale de l’opération;
  • l’analyse de l’administrateur principal de HBC pour i) consentir à ce que M. Baker partage certains renseignements financiers avec les actionnaires restants de manière confidentielle, ii) consentir à ce que M. Baker fasse appel aux conseillers juridiques habituels de HBC en matière d’opérations et iii) prendre de telles décisions à son propre gré et sans l’apport d’un comité spécial;
  • les raisons pour lesquelles le conseil de HBC a décidé qu’un comité spécial n’était pas nécessaire pour examiner les conflits d’intérêts découlant de la proposition de fermeture du capital envisagée avant le 9 juin 2019, y compris l’incidence de l’affectation éventuelle du produit des opérations avec SIGNA au financement partiel de l’opération de fermeture proposée sur cette décision;
  • les raisons pour lesquelles le comité spécial a accordé une renonciation aux clauses moratoires à l’égard de l’un des actionnaires restants et l’incidence de cette renonciation sur la possibilité que des opérations de remplacement soient présentées;
  • les facteurs ayant intervenu dans la négociation des critères de la définition de « proposition supérieure » et des dispositions connexes et l’incidence de ces dispositions sur la possibilité que des opérations de remplacement soient présentées dans les faits;
  • les discussions et décisions du comité spécial concernant des opérations avec SIGNA et de publication des communiqués de presse sur l’échéancier de fermeture proposée le 10 juin 2019, y compris, sans s’y limiter, la capacité du marché de saisir la teneur de l’opération avec SIGNA avant l’annonce de l’opération de fermeture proposée et l’importance de la prime par rapport au cours du marché reflétée dans l’opération de privatisation proposée initiale;
  • le rapprochement de certains renseignements présentés dans le communiqué de presse de HBC du 6 décembre 2019 et des documents remis à la CVMO; et
  • si le comité spécial continue de considérer l’opération comme équitable et raisonnable conformément à la norme applicable en droit des sociétés.

Les motifs

La CVMO a déclaré que le principal cadre juridique en matière de valeurs mobilières aux fins de l’examen de l’opération et de la demande de Catalyst est énoncé dans le Règlement 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d’opérations particulières (Règlement 61-101); plus précisément, l’opération constitue un regroupement d’entreprises au sens du Règlement 61-101. Par conséquent, le Règlement 61-101 prévoit certaines mesures de protection pour les actionnaires minoritaires (c'est-à-dire les actionnaires autres que les actionnaires restants), notamment: 

  • des exigences d’information supplémentaire;
  • la préparation d’une évaluation officielle des actions ordinaires par un évaluateur indépendant qualifié, choisi et supervisé par un comité spécial; et
  • l’approbation de la majorité des porteurs minoritaires donnée à une assemblée des actionnaires.

La CVMO a réitéré sa position selon laquelle la norme de divulgation dans une circulaire relative à une opération nécessitant un vote des actionnaires est « [traduction] une divulgation suffisamment détaillée pour permettre à un actionnaire raisonnable de prendre une décision éclairée sur la façon de voter à l’égard de l’opération proposée. Cette norme de divulgation constitue un critère objectif qui doit être appliqué dans les circonstances particulières ». 

La CVMO a fait remarquer que le Règlement 61-101 exige uniquement la création d’un comité spécial d’administrateurs indépendants dans le cas d’une offre publique d’achat faite par un initié et non dans le cas d’un arrangement comme l’opération. Toutefois, si un comité spécial est formé, les renseignements relatifs à son processus seront assujettis au même examen que s’il avait reçu un mandat à sa création et, dès lors qu’un processus de comité spécial est mis en œuvre, l’actionnaire a droit à une information qui soit aussi utile que dans le cas d’autres opérations entre apparentés présentant des risques similaires pour les actionnaires minoritaires.

Compte tenu de ce qui précède, la CVMO a conclu que i) les limites de l’évaluation du bien phare principal de HBC n’étaient pas clairement divulguées, ii) les paiements aux administrateurs et aux dirigeants de HBC découlant du traitement des unités d’actions de négociation restreinte et des unités d'actions différées constituaient de l’information importante que les actionnaires minoritaires doivent prendre en considération dans le cadre de l’exercice de leurs droits de vote et iii) la structure fiscale de l’opération pourrait entraîner des avantages directs ou indirects pour les actionnaires restants devant faire l’objet d’une divulgation. Par conséquent, comme il est indiqué ci-dessus, l'ordonnance de la CVMO a exigé la divulgation d’information supplémentaire sur toutes ces questions.

Plusieurs autres points en matière de divulgation que la CVMO énonce dans son ordonnance découlaient de son avis selon lequel le processus aurait pu être amélioré par l’apport d’un comité spécial dûment mandaté et conseillé après la réunion du 27 mars 2019. Bien que la CVMO ne se soit pas prononcée sur les autres issues possibles, elle a insisté sur l’avantage que procure la participation précoce d’un comité spécial avant que des décisions importantes ne soient prises et que des droits ne soient cédés, y compris les répercussions possibles des décisions au début du processus (c.-à-d. la communication de renseignements confidentiels et le recours aux conseillers juridiques habituels en matière d’opérations). En outre, la CVMO était d’avis qu’un comité spécial formé plus tôt aurait pu influer sur la dynamique entourant la renonciation à la clause moratoire et l’échéancier de publication des deux communiqués de presse du 6 décembre de manière à assurer une meilleure protection aux actionnaires minoritaires. 

Aucune ordonnance d’interdiction d’opérations permanente

La CVMO n’a pas estimé qu’il y avait des raisons suffisantes pour s’en remettre à sa compétence en matière d’intérêt public afin d’empêcher la réalisation de l’opération, mais elle a plutôt conclu que la présentation d’information supplémentaire constituait une mesure corrective appropriée des lacunes constatées.

Conclusion

Bien que l’opération ait été autorisée, HBC a dû reporter l’assemblée et renvoyer une circulaire mise à jour à tous les actionnaires. Pour éviter un résultat similaire, les émetteurs et les conseils qui envisagent des opérations importantes pouvant donner lieu à un conflit d'intérêts, y compris les opérations de fermeture, devraient envisager avec soin de former un comité spécial dûment constitué et mandaté au début du processus et être conscients que l’information divulguée sera examinée par les actionnaires et par les organismes de réglementation afin de garantir que les investisseurs disposent des renseignements suffisants pour prendre une décision éclairée.



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