Le 25 novembre dernier, le président désigné Trump a indiqué sur les médias sociaux son intention d’imposer par décret, dès son arrivée au pouvoir le 20 janvier 2025, des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits importés du Canada et du Mexique, entre autres pays. Cette mesure aurait d’importantes répercussions sur l’économie canadienne, les États-Unis représentant environ 75 % de l’ensemble des exportations canadiennes. Cette annonce fait suite à plusieurs promesses faites par M. Trump durant sa campagne selon lesquelles il appliquerait des mesures commerciales et des tarifs douaniers sur les marchandises entrant aux États-Unis s’il était élu.

En réaction à ces potentielles mesures, Norton Rose Fulbright a mis sur pied un groupe de travail canado-américain en droit commercial transfrontalier composé d’avocat·es en droit commercial en poste dans ses bureaux canadiens et américains afin de formuler des conseils sur les mesures commerciales internationales actuelles et futures adoptées au Canada et aux États-Unis qui auront d’importantes conséquences sur les chaînes d’approvisionnement et les modèles d’affaires de ses clients.

À l’heure où nous publions ces lignes, le président désigné Trump n’a encore fourni aucun détail sur les potentiels tarifs douaniers qui seront imposés au Canada ou à tout autre pays. Dans l’intervalle, notre groupe de travail en droit commercial transfrontalier a préparé une introduction aux tarifs douaniers et à leur fonctionnement en s’appuyant sur la façon dont ils ont été imposés par le passé par les États-Unis et le Canada. 

  1. Les tarifs douaniers, c’est quoi?

Il s’agit d’un droit appliqué aux marchandises au moment de leur importation. En règle générale, le taux de droit est exprimé en pourcentage de la valeur de la marchandise et dépend du classement tarifaire, de la valeur et du pays d’origine de la marchandise importée. La plupart des pays commerçants, dont le Canada et les États-Unis, s’appuient sur le Système harmonisé (SH) pour déterminer le classement tarifaire des marchandises. 

Au Canada, le SH figure dans l’annexe du Tarif des douanes, qui répartit les marchandises en 99 chapitres et fournit la description de ces dernières ainsi que les taux tarifaires applicables correspondants pour : i) les marchandises des membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (« tarifs de la nation la plus favorisée » ou « tarifs de la NPF ») et ii) les marchandises de pays bénéficiant de tarifs de préférence négociés conformément à des ententes commerciales comme l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM, selon le terme employé au Canada, ou USMCA, aux États-Unis) et l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. Nombre de taux tarifaires de préférence ont une valeur en douane de 0 %, tandis que les droits pour les produits sensibles soumis à la gestion de l’offre (comme la volaille et le fromage) peuvent atteindre 241 %.

Aux États-Unis, le SH figure dans la Harmonized Tariff Schedule of the United States 2024 (HTS), qui contient également 99 chapitres et des notes explicatives sur l’application des règles tarifaires. À chaque marchandise correspondent trois catégories de taux de droit : une première pour les partenaires commerciaux spéciaux avec lesquels les États-Unis ont conclu un accord de libre-échange (y compris le Canada), une deuxième pour tous les autres pays membres de l’OMC avec lesquels les États-Unis entretiennent des relations commerciales normales (taux de la NPF) et une troisième pour les pays avec lesquels les États-Unis n’entretiennent pas des relations commerciales normales. Par exemple, certains produits du lait et de la crème originaires du Canada ou d’un autre partenaire commercial spécial sont exempts de droits de douane, tandis que les mêmes produits sont frappés de tarifs douaniers s’élevant à 17,5 % s’ils proviennent d’un autre membre de l’OMC et à 35 % s’ils sont originaires de pays qui n’ont aucune relation commerciale avec les États-Unis.

2. Qui acquitte les tarifs douaniers et qui les perçoit?

En ce qui concerne l’obligation légale de payer à la frontière les droits visant des marchandises importées, aux États-Unis, c’est en règle générale l’importateur qui assume cette responsabilité auprès de l’U.S. Customs and Border Protection (USCBP). Quant aux marchandises entrant au Canada, il est de coutume pour l’importateur d’acquitter les droits auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Toutefois, il convient de distinguer, d’une part, l’obligation légale de verser les droits aux autorités à la frontière et, d’autre part, la question de la responsabilité ultime du règlement des tarifs douaniers, qui dépend de l’entente contractuelle entre les parties. Par exemple, le dernier acheteur de marchandises dans le pays de destination pourrait convenir avec l’importateur de lui rembourser les droits d’importation en les incluant dans le prix d’achat total des marchandises. Pour en savoir plus sur les dispositions contractuelles ayant une incidence sur les tarifs douaniers, veuillez consulter les questions 6 i) et j) ci-après.

3. Comment les tarifs douaniers sont-ils calculés?

Les tarifs douaniers sont normalement calculés selon un pourcentage de la valeur de l’importation. La valeur en douane d’une marchandise est ensuite déclarée dans les documents douaniers et déterminée au Canada selon les règles énoncées dans la Loi sur les douanes. La plupart du temps, notamment aux États-Unis, la valeur en douane correspond au montant payé au vendeur pour les marchandises, sous réserve de certains ajustements prévus par la loi. Dans certains cas, toutefois, les tarifs douaniers sont calculés selon un montant en dollars par unité de poids déterminée.

4. Puis-je contourner les tarifs douaniers en déclarant une valeur à 0 $?

C’est peu probable. Les importateurs peuvent déclarer une valeur de 0 $ uniquement si les marchandises n’ont véritablement aucune valeur. Le montant indiqué sur la facture aux clients est important, mais il n’est pas nécessairement déterminant. S’il est déclaré que la valeur du produit est de 0 $ (parce que le prix payé par le client sur la facture est de 0 $), l’USCBP ou l’ASFC, selon le pays d’importation, pourrait réévaluer la valeur des marchandises en s’appuyant sur le régime douanier applicable. Par exemple, au Canada, l’ASFC peut déterminer qu’une autre méthode d’appréciation doit être utilisée, comme la méthode de la valeur transactionnelle des marchandises identiques, selon laquelle la valeur en douane des marchandises est calculée en fonction de la valeur en douane de marchandises identiques qui ont été importées au Canada au même moment ou à peu près au même moment, et la méthode de la valeur reconstituée, qui reflète généralement le coût de production des marchandises importées, auquel s’ajoute un montant pour les bénéfices et les frais généraux. Les droits de douane seraient alors payables en fonction de cette valeur réévaluée.  

5. Quels sont les tarifs douaniers actuellement imposés à la frontière états-unienne pour les marchandises canadiennes?

Les taux tarifaires actuellement appliqués aux marchandises originaires du Canada importées aux États-Unis sont énoncés dans la HTS (plus précisément dans la sous-colonne « Special » de la colonne « Rates of Duty ») et dépendent du classement tarifaire des marchandises en question. La majorité des marchandises originaires du Canada peuvent être importées aux États-Unis en franchise de droits, alors que des droits plus élevés s’appliquent par exemple au bois d’œuvre résineux. Toutefois, il est important de noter que, même si des marchandises sont expédiées directement du Canada aux États-Unis, si elles ne sont pas considérées comme des marchandises originaires du Canada, des droits plus élevés peuvent s’appliquer pour certains produits.

6. Le président désigné Trump a menacé d’imposer un tarif douanier de 25 % sur les importations canadiennes : 

a. Toutes les marchandises canadiennes sont-elles visées? Certains secteurs sont-ils ciblés en particulier? 

Lorsqu’il a menacé d’imposer des tarifs douaniers dans sa publication sur les médias sociaux, le président désigné Trump n’a pas pointé du doigt des secteurs ou des marchandises en particulier et a sous-entendu que toutes les marchandises seraient visées. Durant le dernier mandat de M. Trump, les États-Unis ont uniquement ciblé les produits d’acier et d’aluminium canadiens, en les soumettant à des tarifs douaniers de 10-25 %.

b. Qu’en est-il des biens numériques?

Les biens numériques sont protégés de toute imposition de tarifs douaniers aux termes de l’ACEUM/USMCA. L’article 19.3 de l’accord prévoit que ni le Canada ni les États-Unis ne peuvent imposer de droits de douane, de redevances ou d’autres impositions sur ou relativement à l’importation ou à l’exportation de produits numériques transmis par voie électronique entre une personne au Canada et une personne aux États-Unis. Un produit numérique désigne un programme informatique, un texte, une vidéo, une image, un enregistrement audio ou un autre produit encodé numériquement, qui est produit pour la vente ou la distribution commerciale et qui peut être transmis par voie électronique. Néanmoins, cette restriction aux termes de l’accord n’empêche pas l’imposition de la TPS/TVH sur les biens numériques.

c. Cette mesure concernant les tarifs douaniers prendra-t-elle effet immédiatement?

Le président désigné Trump a menacé dans sa publication sur les médias sociaux d’imposer les nouveaux tarifs douaniers dès son entrée en fonction, le 20 janvier 2025.

Dans la pratique, la rapidité avec laquelle de nouveaux tarifs douaniers peuvent prendre effet aux États-Unis dépendra de la voie juridique qu’empruntera le président Trump pour les mettre en œuvre. Nombre de pouvoirs typiquement liés à l’application de tarifs douaniers en vertu de la législation états-unienne s’accompagnent d’étapes procédurales qui ne pourront être franchies du jour au lendemain; ainsi, même si le président Trump annonçait ces nouveaux tarifs douaniers le jour de son investiture, ils ne prendraient vraisemblablement pas effet avant plusieurs mois au moins. Néanmoins, si le président Trump prenait la décision sans précédent d’invoquer les pouvoirs d’urgence pour imposer des tarifs douaniers, ces derniers pourraient être appliqués bien plus rapidement. Ses allusions à une crise frontalière concernant le fentanyl et les immigrants illégaux dans sa publication sur les médias sociaux annonçant les nouveaux tarifs douaniers pourraient d’ailleurs viser à préparer le terrain à ce scénario. Toutefois, déclarer l’état d’urgence pour mettre en place ces mesures plus rapidement pourrait donner lieu à leur contestation devant les tribunaux.

d. Existera-t-il une procédure pour obtenir une exemption ou une dérogation?

Tout dépend de la façon dont les nouveaux tarifs douaniers seront mis en œuvre. Par le passé, lorsque les États-Unis ont imposé des tarifs douaniers spéciaux, ils ont toujours procédé préalablement à la publication d’un avis public et prévu une période de consultation, au terme desquelles un protocole d’exclusion permettait aux entreprises et aux individus de se soustraire aux tarifs douaniers. L’imposition de tarifs douaniers en vertu de dispositions d’urgence ne nécessiterait pas obligatoirement un processus de consultation publique et d’exclusion, mais une telle ordonnance pourrait contenir des clauses sur la marche à suivre afin d’obtenir une exemption pour les marchandises qui ne contribuent pas à une situation d’urgence, par exemple.

e. Les tarifs douaniers viseront-ils les marchandises originaires des États-Unis?

Il pourrait être possible de réexporter du Canada des pièces originaires des États-Unis sans avoir à acquitter de potentiels nouveaux tarifs douaniers, mais tout dépendra de la façon dont ces derniers seront conçus et mis en œuvre (s’ils le sont).

f. Les tarifs douaniers viseront-ils les marchandises produites au moyen de pièces et de facteurs de production états-uniens?

Tout dépend de la manière dont les tarifs douaniers seront conçus et mis en œuvre, mais en règle générale, si un importateur importe une marchandise, il acquitte les droits d’importation connexes, calculés selon le classement tarifaire, la valeur et l’origine du produit fini importé (et ne paie normalement pas pour chacune des pièces). Une fois les pièces provenant des États-Unis intégrées à une marchandise originaire du Canada, les tarifs douaniers peuvent s’appliquer, quelle que soit l’origine des pièces.

g. Les tarifs douaniers peuvent-ils faire l’objet d’un report ou d’un remboursement si les marchandises canadiennes sont réexportées ou utilisées pour fabriquer un produit qui sera exporté à partir des États-Unis?   

Les États-Unis ont mis en place des programmes de drawback des droits et de report des droits qui permettent aux importateurs de demander un report, un remboursement, une réduction ou une exemption des droits de douane qui ont été payés pour les marchandises qui sont réexportées des États-Unis. Selon la façon dont les tarifs douaniers seront imposés, si un importateur importe des marchandises originaires du Canada aux États-Unis afin de les utiliser comme facteurs de production pour une transformation plus poussée aux États-Unis d’un produit qui sera ensuite exporté, il pourra probablement demander un drawback des droits (soit un remboursement des droits de douane payés aux termes des nouveaux tarifs douaniers au motif que les marchandises importées ont été exportées des États-Unis ultérieurement). Les programmes de drawback des droits et de report des droits, qui existent aussi au Canada, visent à soutenir et à protéger les fabricants du pays et figurent dans l’ACEUM/USMCA, sous réserve de limitations (notamment la règle du « montant le moins élevé », qui limite le montant du drawback dans certains cas).

h. Les tarifs douaniers viseront-ils des marchandises déjà vendues à un client états-unien aux termes d’un contrat ou d’un bon de commande existant (mais pas encore livrées) ou en transit vers les États-Unis?

Nous ne pensons pas qu’il y aura une exemption pour les livraisons visées par des contrats conclus avant la prise d’effet des nouveaux droits, mais plutôt que les nouveaux droits s’appliqueront à la frontière pour toute marchandise importée après la date de prise d’effet. Cela étant dit, les États-Unis pourraient mettre en œuvre les nouveaux tarifs douaniers comme ils l’entendent et exempter certaines marchandises. Par exemple, la surtaxe récemment imposée par le Canada sur les véhicules électriques chinois ne n’appliquait pas aux marchandises qui étaient en transit vers le Canada au moment de la prise d’effet de l’imposition des droits.

i. Qui des diverses parties commerciales sera ultimement responsable d’acquitter les tarifs douaniers?

Les parties contractantes peuvent déterminer qui parmi elles aura la responsabilité ultime de payer les droits de douane au moyen de dispositions contractuelles. Sinon, il incombera aux importateurs d’acquitter les tarifs douaniers.

j. Quelles dispositions contractuelles dois-je examiner pour déterminer le traitement tarifaire des commandes traitées après la prise d’effet des nouveaux tarifs douaniers? 

Les parties qui concluent des contrats pour l’approvisionnement ou la livraison de marchandises devraient accorder une attention particulière aux clauses contractuelles concernant les taxes, droits et redevances à l’importation, y compris toute référence à l’inclusion ou non dans le prix de livraison de l’ensemble des taxes, droits, tarifs douaniers et redevances (notamment les conditions RDA, « rendu droits acquittés », par exemple). Les parties devraient également se pencher sur les clauses de changement de loi pour déterminer si elles s’appliquent aux modifications concernant les tarifs douaniers.

7. Quelles autres mesures le président désigné Trump pourrait-il appliquer aux marchandises et services canadiens?

Il existe de nombreuses mesures exceptionnelles en matière de droits ou de tarifs douaniers que les États-Unis pourraient en théorie imposer à l’égard de produits canadiens précis en plus des tarifs douaniers, dont des quotas, des droits antidumping ou compensateurs ou des surtaxes (comme celles que le Canada a récemment imposées sur les véhicules électriques et l’aluminium et l’acier chinois, à l’instar des mesures similaires prises par les États-Unis). Bien que ces autres mécanismes restent du domaine du possible, le président désigné Trump s’est pour le moment surtout attaché à discuter de l’imposition de tarifs douaniers. 

8. Que devrais-je garder d’autre à l’esprit lorsque j’importe/j’exporte des marchandises au Canada ou aux États-Unis?

Il existe tout un éventail d’autres restrictions et potentiels droits, taxes ou autres redevances dans le cadre de l’importation ou de l’exportation de marchandises, y compris les droits antidumping, les contrôles à l’exportation, les sanctions (de plus en plus utilisées par le Canada et les États-Unis en guise d’outil de politique étrangère et de sécurité nationale pour répondre aux événements survenant sur la scène internationale comme l’invasion de l’Ukraine par la Russie), les surtaxes (voir notre récent article sur l’imposition de surtaxes par le Canada sur les véhicules électriques ainsi que l’aluminium et l’acier provenant de Chine) et les restrictions sur l’importation de marchandises fabriquées au moyen du travail forcé ou du travail des enfants (pour répondre aux préoccupations concernant les conditions de travail dans des endroits comme la région chinoise du Xinjiang). 



Personnes-ressources

Associé principal
Senior Counsel
Associée
Associé

Publications récentes

Abonnez-vous et restez à l’affût des nouvelles juridiques, informations et événements les plus récents...