Le Projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur l'esclavage moderne et modifiant le Tarif des douanes (Projet de loi), a été présenté au Sénat le 5 février 2020 : https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/43-1/projet-loi/S-211/premiere-lecture. Le Projet de loi vise à renforcer l’engagement international du Canada à combattre l’esclavage moderne par l’imposition d’obligations en matière de rapport sur les chaînes d’approvisionnement à l’égard de toutes les entreprises qui répondent à certains critères et qui reposent sur le travail humain pour la production de leurs marchandises. Bien que le début de la pandémie de la COVID-19 en mars ait éclipsé le Projet de loi (comme beaucoup d’autres choses), les interruptions mondiales des chaînes d’approvisionnement causées par la pandémie ont accru le risque que les chaînes d’approvisionnement soient contaminées par le travail des enfants et le travail forcé, soit les sujets de préoccupations qui sont traités par le Projet de loi. Le Projet de loi chevauche considérablement le projet de loi C-423, projet de loi émanant d’un député qui est mort au feuilleton avant les élections de 2019. 

La présentation du Projet de loi a coïncidé avec le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Nevsun Resources Ltd. c. Araya et al., rendu le 28 février 20201. Dans cette affaire, la majorité des juges de la Cour suprême a décidé que les plaignants d’Érythrée alléguant avoir été forcés de travailler (entre autres) à une mine en Érythrée par une société minière canadienne pouvaient poursuivre la société au Canada, rejetant la requête de la société pour radier l’action. Tant le jugement de la Cour suprême que le Projet de loi attestent du fait que la législation canadienne reflète la prise de conscience grandissante à l’égard du chevauchement entre les activités commerciales internationales et les questions des droits de la personne. 

Qu’est-ce que l’esclavage moderne?

Contrairement aux projets de loi britannique et australien en la matière, le Projet de loi ne fournit pas de définition du terme « esclavage moderne ». Il couvre plutôt le travail des enfants et le travail forcé. Le travail des enfants est défini comme le travail par des personnes âgées de moins de 18 ans dans des circonstances contraires au droit applicable au Canada. Le travail forcé est défini comme le travail fourni par une personne dans des circonstances dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elles lui fassent croire que sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît serait compromise si elle ne fournissait pas son travail. D’autres formes d’esclavage moderne, comme la servitude pour dette ou le trafic humain, ne sont pas visées par le Projet de loi, pas plus que les autres violations des droits de la personne, comme c’est le cas avec la législation de certains autres pays2.

Est-ce que le Projet de loi s’appliquera à votre entreprise?

Le Projet de loi s’applique à toute entité qui produit ou vend des marchandises, ou qui importe des marchandises au Canada, ou qui contrôle l’entité qui se livre à l’une de ces activités3. Les entreprises qui fournissent des services exclusivement ne seront pas assujetties à l’application du Projet de loi. Une « entité » est une entreprise qui est inscrite à la cote d’une bourse canadienne ou qui a un lien au Canada4 et qui remplit au moins deux des conditions suivantes :

  • elle possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 000 000 $,
  • elle a généré des revenus d’au moins 40 000 000 $, ou
  • elle emploie en moyenne au moins 250 employés.

Les Règlements d’application pourraient aussi étendre le champ des entreprises qui sont comprises dans la définition d’« entité ». De même, la définition de « contrôle » est très large : une entité est contrôlée par une autre si elle est contrôlée par celle-ci directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit. Si une entité est réputée en contrôler une autre, elle sera automatiquement réputée contrôler toutes les filiales de cette entité ainsi que toute filiale de ces filiales, ce qui donne une portée considérable au Projet de loi et signifie que la responsabilité pourra se transmettre à tous les niveaux d’une structure d’entreprise complexe.

Sur quoi doit porter le rapport?

Le Projet de loi exige d’une entité qu’elle fournisse au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (ministre) un rapport annuel qui indique les mesures qu’elle a prises au cours de son dernier exercice pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants dans sa chaîne d’approvisionnement. Les entités assujetties au Projet de loi sont aussi tenues de rendre public le rapport en le publiant sur leur site Web.

Le rapport doit comprendre des renseignements sur la structure de l’entreprise et les marchandises qu’elle produit ou qu’elle importe au Canada; ses politiques relatives au travail forcé et au travail des enfants; les activités qu’elle mène et qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants et les mesures qu’elle a prises pour évaluer ce risque et le gérer; l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour éliminer tout recours au travail forcé ou au travail des enfants; et la formation donnée aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants. Le rapport comprend une attestation d’un dirigeant ou d’un administrateur que les renseignements qui y sont fournis sont véridiques, exacts et complets.

Étant donné la nature publique du rapport, les entreprises devraient être sensibles aux changements qu’elles pourraient devoir apporter à leurs activités afin de gérer tout risque potentiel pour la réputation. Les entreprises devraient prendre le temps d’examiner le type de formation à dispenser à leurs employés et aux fournisseurs en aval, ainsi que le type de politiques officielles contre l’esclavage moderne pouvant être mises en œuvre efficacement.

Comment le Projet de loi sera-t-il mis en application?

Le Projet de loi prévoit que de vastes pouvoirs d’enquête seront accordés aux personnes désignées par le ministre. Si, après enquête, il est déterminé qu’une entreprise ne respecte pas la législation, le ministre peut ordonner à l’entité de prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour amener l’entité à se conformer à la législation. Le Projet de loi comporte un aspect punitif également : toute entité reconnue coupable d’une infraction est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 250 000 $ par infraction. Tout dirigeant, administrateur ou mandataire d’une entité qui commet une infraction en vertu de la législation peut aussi être personnellement passible d’une amende s’il a joué un rôle dans la direction, l’autorisation ou la participation de la commission de l’infraction par l’entité. 

Comment le Canada se compare-t-il à l’échelle mondiale?  

Le cadre énoncé dans le Projet de loi est semblable à celui de la législation qui est actuellement en vigueur au Royaume Uni et en Australie. Néanmoins, l’interdiction importante prévue par le Projet de loi constitue une différence notoire qui fait que le Projet de loi canadien se démarque des autres. Possiblement inspirée par la législation commerciale de longue date des États-Unis, qui interdit l’importation de marchandises fabriquées par des personnes en situation de travail forcé5, cette disposition exclura expressément les marchandises fabriquées par des personnes en situation de travail forcé ou par des enfants. 

À certains égards, le Projet de loi est d’application plus étroite que la loi du Royaume Uni intitulée Modern Slavery Act (2015) et la loi de l’Australie intitulée Modern Slavery Act (2018). Les lois du Royaume Uni et de l’Australie étendent les exigences de faire rapport aux entreprises qui fournissent des services et elles visent le trafic humain dans leurs définitions de l’esclavage moderne, alors que le Projet de loi canadien est limité au travail forcé et au travail des enfants. 

Il n’est pas encore clair quel est le rôle, s’il en est, que jouera le nouveau bureau de l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) en vertu du régime qui sera créé par le Projet de loi. L’OCRE est un organisme indépendant et non partisan qui fait rapport à la ministre fédérale de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international. Il reçoit et traite des allégations de violations de droits de la personne découlant des activités d’entreprises canadiennes à l’étranger dans les secteurs du vêtement, des mines et du pétrole et gaz. Bien que le régime créé par le Projet de loi et le mandat de l’OCRE fonctionnent indépendamment l’un de l’autre, il existe manifestement un lien entre les deux. 

À retenir  

Les entreprises canadiennes seraient bien avisées d’évaluer de façon proactive tout risque dans leur propre chaîne d’approvisionnement mondiale et de s’assurer de comprendre tous les aspects des processus de production de leurs filiales. Les administrateurs, les dirigeants et les autres personnes occupant des postes de direction devraient être tout particulièrement attentifs aux exigences de faire rapport en ce qui a trait à l’esclavage moderne, compte tenu de la responsabilité qu’ils encourent personnellement en cas de non-conformité en vertu du Projet de loi.

Tandis que les entreprises canadiennes cherchent à stabiliser leurs chaînes d’approvisionnement mondiales dans le cadre de leur gestion des effets perturbateurs de la COVID 19, elles devraient faire preuve de vigilance à l’égard des chaînes d’approvisionnement qui pourraient devenir contaminées par le travail des enfants ou le travail forcé, une situation pouvant résulter des mesures prises par les gouvernements étrangers en vue de suspendre les protections offertes en milieu de travail à titre de manière de répondre à la pandémie. 

Norton Rose Fulbright possède une vaste expérience dans la prestation de conseils à des clients en matière de chaîne d’approvisionnement, de vérification diligente à l’égard des droits de la personne et de conception et mise en œuvre de politiques contre l’esclavage moderne. Notre présence mondiale fait en sorte que nous pouvons fournir des conseils sur la façon d’assurer la conformité aux lois, même lorsque les activités en question sont situées dans des pays étrangers.


Notes

2   Encore plus remarquable, en vertu des articles L225-102-1 et L225-102-4 à L225-102-5 du Code de commerce, inséré dans la Loi Nº 2017-399 du 27 mars 2017, la France exige des grandes entreprises qu’elles conçoivent et mettent en œuvre un « plan de vigilance » qui englobe tous les droits de la personne et qu’elles fassent rapport à cet égard.

3   Aux fins du Projet de loi, la production de marchandises englobe la fabrication ainsi que la culture, l’extraction et le traitement de marchandises.

4   Ce qui veut dire avoir un établissement au Canada, y exercer des activités ou y posséder des actifs.

5   Voir The Trade Facilitation and Trade Enforcement Act of 2015 qui prévoit la suppression d’une exception à cette interdiction.



Personnes-ressources

Associée, cocheffe canadienne, Entreprises responsables et durabilité
Associé principal, cochef canadien, Entreprises responsables et durabilité

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