La Cour suprême du Canada refuse de tenir des émeutiers solidairement responsables

Mondial Publication Juin 2018

Le 8 juin dernier, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec dans une action intentée par la Ville de Montréal (Ville) à l’encontre d’émeutiers ayant vandalisé des autos-patrouilles du service de police de la Ville. Ce recours portait sur les modalités de la responsabilité des émeutiers, solidaire ou non, à l’égard des dommages résultant des actes de vandalisme.

Cet arrêt de la Cour suprême du Canada dans Montréal (Ville) c. Lonardi1 se révèle pertinent pour plusieurs raisons, mais plus particulièrement quant aux enseignements de la Cour sur la solidarité en matière extracontractuelle.



Les faits et l’historique judiciaire

Le soir du 21 avril 2008, les Canadiens de Montréal éliminaient les Bruins de Boston en séries éliminatoires de la Coupe Stanley. À la suite de cette victoire, les partisans euphoriques du club montréalais sortent dans les rues de Montréal. Au fil de la soirée, ces rassemblements se transforment en émeute au cours de laquelle plusieurs autos-patrouilles du service de police de la Ville sont vandalisées.

Au terme d’une enquête, la Ville intente une action pour chacune des autos-patrouilles à l’encontre des émeutiers identifiés comme ayant vandalisé le ou les véhicules visés. Sans égard à la nature ou à la gravité du geste fautif de chacun, la Ville réclame une condamnation solidaire pour l’ensemble des dommages causés à l’auto-patrouille visée par chacune des actions.

En première instance, le juge Coutlée, saisi des dix (10) dossiers, rejette une (1) réclamation faute de preuve, conclut que les défendeurs de trois (3) dossiers ont commis une faute commune et les condamne solidairement à indemniser la ville pour la totalité des dommages causés à l’auto-patrouille et condamne les défendeurs des six (6) autres dossiers à la réparation du préjudice précis causé par leurs propres actes.

La ville interjette appel des six (6) décisions ne condamnant pas solidairement tous les défendeurs. La Cour d’appel, dans un arrêt unanime, confirme ces jugements, qui font l’objet du pourvoi devant de la Cour suprême du Canada.

La responsabilité solidaire et l’article 1480 du Code civil du Québec (CcQ)

D’entrée de jeu, le juge Gascon, s’exprimant pour la majorité (seule la juge Côté est dissidente), pose deux conditions cumulatives à l’application de l’article 1480 CcQ, soit 1) l’impossibilité de déterminer quelle personne a effectivement causé le préjudice et 2) un fait collectif fautif qui entraine un préjudice ou des fautes distinctes dont chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice2.

Quant au premier critère, le juge Gascon rejette l’argument de la Ville et conclut que ce critère s’applique tant aux fautes distinctes qu’à un fait collectif3. Il conclut également qu’il n’y a pas lieu, en l’absence d’erreur manifeste, de substituer l’évaluation de la Cour à celle du juge de première instance qui, à la lumière de la preuve, a conclu que chacune des fautes commises par les intimés se rattachait à un préjudice précis et qu’il n’existait pas de lien de causalité entre les gestes fautifs et la destruction complète des autos-patrouilles4.

Retraçant ensuite l’historique jurisprudentiel de la solidarité en matière extracontractuelle, le juge conclut que la notion de fait collectif fautif prévue à l’article 1480 CcQ requiert l’existence d’une intention commune5. À cet égard, le juge Gascon conclut encore une fois qu’il n’y a pas lieu d’intervenir à l’égard des conclusions factuelles du juge d’instance voulant que les intimés n’aient pas agi avec l’intention commune requise, puisque, hormis certaines exceptions, ils « ne se connaissaient pas, n’ont jamais été en communication et ont agi à des moments différents au cours de l’émeute, sans que les autres intimés en aient connaissance »6.

La responsabilité solidaire et l’article 1526 CcQ

Quant à l’article 1526 CcQ, la Ville soutenait que les encouragements mutuels des émeutiers avaient contribué à un préjudice unique, soit la destruction totale des véhicules, et donc, que les intimés devraient être tenus à la réparation du préjudice de manière solidaire. Une fois de plus, le juge Gascon juge qu’il n’y a pas lieu d’intervenir à l’égard des conclusions du juge d’instance voulant qu’il y ait, en l’espèce, « une multitude de préjudices distincts et identifiables, chacun d’eux ayant été causé par une faute tout aussi distincte et identifiable », et non pas un préjudice unique7. Ainsi, comme dans le cas du premier critère de l’article 1480 CcQ, c’est le lien de causalité entre les fautes des intimés et la destruction totale des véhicules de patrouille qui, encore ici, fait défaut8.

L’importance primordiale du lien de causalité

Ce récent arrêt de la Cour suprême du Canada peut être vu comme une réaffirmation du caractère primordial du lien de causalité dans le régime de la responsabilité extracontractuelle. Le sort de ce jugement démontre bien en faveur de quel principe est résolue la tension existante entre réparation intégrale du préjudice et causalité. En effet, il semble maintenant clair qu’une cour préfèrera laisser un préjudice partiellement non réparé plutôt que de condamner une personne à la réparation totale d’un préjudice que sa faute n’a que partiellement causé9.

L’auteur désire remercier Charles-Émile Morin, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.

Notes

1 2018 CSC 29.

2 Ibid, para 19.

3 Ibid, para 24-38.

4 Ibid, para 39-41.

5 Ibid, para 63.

6 Ibid, para 68-70.

7 Ibid, para 75.

8 Ibid, para 76.

9 Ibid, para 91-92.



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