Les années qui ont suivi la crise financière ont vu naître un accent renouvelé sur la création de valeur à long terme chez les investisseurs, les organismes de réglementation et, en conséquence, les équipes de direction. Au cours de ces années, le fardeau imposé aux sociétés ouvertes en matière de conformité s’est accru, les organismes de réglementation adoptant de nouvelles mesures pour atténuer le risque systémique.
Plus tôt ce mois-ci, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié un document sollicitant des commentaires sur un certain nombre de nouvelles idées visant à réduire le fardeau pour les sociétés ouvertes canadiennes. La plus audacieuse de ces idées consiste probablement en la proposition de supprimer l’obligation des sociétés ouvertes canadiennes de publier des rapports financiers trimestriels et de leur permettre de produire des rapports semestriels.
Les auteurs soutiennent cette proposition : elle atténue les pressions qui encouragent une vision à court terme, réduit le fardeau administratif pour les sociétés et reflète le choix de plusieurs marchés comparables, dont le Royaume-Uni, l’Union européenne et l’Australie.
L’argument à l’appui de ce changement repose sur la prémisse qu’il est préférable de mettre l’accent sur le long terme plutôt que sur le court terme. Le débat concernant les horizons temporels a généré de multiples arguments et études universitaires en faveur de l’une et l’autre position. Certains nouveaux éléments probants laissent croire cependant que les sociétés qui procèdent à une gestion à long terme procurent de meilleurs rendements au fil du temps. Une nouvelle étude de McKinsey a démontré qu’entre 2001 et 2014, les sociétés gérées à long terme ont obtenu des produits moyens et une croissance du bénéfice supérieurs de 47 % et de 36 %, respectivement, à ceux des sociétés qui n’avaient pas agi ainsi.
Mais examinons simplement ce que disent les investisseurs de premier plan. Peu d’entre eux – y compris les nombreux clients actionnaires activistes de notre cabinet – se déclareraient fièrement des visionnaires à court terme. Plusieurs d’entre eux sont préoccupés par ce que le chef de la direction de BlackRock, Larry Fink, a qualifié d’« hystérie liée aux résultats trimestriels », alors qu’il faudrait encourager les entreprises à se concentrer sur la création de valeur à long terme.
Bien que l’on puisse penser que les investisseurs s’opposeraient tous aux mesures qui pourraient faire en sorte que moins d’information soit publiée, ce n’est pas le cas. Certains ont demandé la fin de l’information trimestrielle. Par exemple, l’Investment Association du Royaume-Uni, l’association sectorielle des gestionnaires de placements du Royaume-Uni, a récemment demandé aux grandes sociétés du Royaume-Uni de cesser de produire des rapports trimestriels, ou alors d’expliquer pourquoi elles continuaient à le faire.
Comment le fait de mettre fin à l’information trimestrielle encouragerait-il une vision à long terme? De manière intuitive, il semble logique qu’en l’absence de précipitation à atteindre des résultats trimestriels, les gestionnaires ne se sentiraient plus tenus d’adopter des mesures à court terme qui pourraient nuire à la valeur à long terme, comme privilégier une vente d’actifs plutôt qu’un investissement de capitaux, par exemple. Il existe également plusieurs données appuyant cette proposition. Une étude qui portait sur les données américaines de 1950 à 1970, période pendant laquelle plusieurs sociétés ont commencé à produire des rapports plus fréquemment, a découvert des baisses importantes des dépenses en immobilisations corporelles lorsque les sociétés accéléraient la fréquence des rapports.
De manière tout aussi importante, ce changement pourrait renverser le fardeau accru en matière de conformité auquel les sociétés canadiennes font face. Selon les normes mondiales, le Canada constitue une économie de marché intermédiaire. Les coûts pour produire des rapports trimestriels, et pour disposer d’une armée d’avocats et de comptables pour les scruter, sont devenus sidérants. Mettre fin à ces rapports libéreraient du temps et des ressources considérables pour les sociétés, ce qui profiterait aux marchés boursiers et à l’économie en général.
Il ne faut pas s’étonner que les marchés de PAPE au Canada deviennent relativement arides. Des chiffres de l’Université de Calgary indiquent une moyenne de 15,9 PAPE inscrits à la Bourse de Toronto par année par des sociétés en exploitation entre 2001 et 2015, comparativement à 41 par année en moyenne de 1993 à 2000. Confrontées à la perspective de devoir produire des rapports trimestriels exhaustifs, plusieurs sociétés en croissance préfèrent naturellement demeurer fermées plutôt que de s’inscrire en Bourse. Même plusieurs des partisans du maintien de l’information trimestrielle admettraient qu’une bonne partie de l’information contenue dans les rapports trimestriels, outre les résultats du chiffre d’affaires, est redondante ou largement non pertinente pour les investisseurs.
En examinant ces questions, le Canada a beaucoup à tirer de l’expérience d’autres territoires. En 2007, le Royaume-Uni a rendu obligatoire l’information trimestrielle. Toutefois, un examen gouvernemental ultérieur a recommandé l’abandon de cette obligation, estimant qu’il existait un « vaste consensus parmi les répondants » voulant que « l’information trimestrielle et la préparation d’énoncés de gestion intermédiaires aient des incidences défavorables sur le comportement des sociétés et des investisseurs » [notre traduction]. Cette recommandation a été mise en œuvre en 2014. En 2013, l’Union européenne a entrepris de laisser tomber les obligations d’information trimestrielle, qui ne sont plus en vigueur. En Australie, les sociétés produisent normalement des rapports semestriels.
En fait, si les sociétés pouvaient décider de produire ou non des rapports trimestriels, pour plusieurs d’entre elles, il pourrait demeurer approprié de déclarer au moins quelques données financières chaque trimestre. Par exemple, lorsque des sociétés prévoient de grandes hausses saisonnières dans les produits, comme en matière de vente au détail et de tourisme, l’information trimestrielle pourrait mieux convenir. Les sociétés devraient demeurer à l’affût de ce que font leurs concurrents et de ce à quoi s’attendent les investisseurs.
La peur de la réaction des analystes et le fait que les États-Unis maintiennent l’information trimestrielle – pour le moment, du moins – pourraient faire en sorte que les sociétés y réfléchissent deux fois plutôt qu’une avant d’adopter le virage semestriel. Mais ces obstacles éventuels requièrent simplement de l’audace et du leadership de la part des sociétés et des commentateurs canadiens qui veulent faire de la vision à long terme et de l’information semestrielle la norme.
Il est également important de rappeler qu’il existe de nombreuses obligations d’information continue en vertu des lois sur les valeurs mobilières, qui exigent la déclaration des changements importants. Bien qu’il puisse être utile d’ajuster ces obligations si l’information semestrielle est autorisée, l’argument à l’appui de l’abolition des rapports trimestriels ne signifie pas pour autant qu’il faille permettre aux sociétés de disparaître dans la brume, pour en émerger seulement pour communiquer avec les investisseurs par intervalles de six mois.
Nous nous réjouissons des propositions des ACVM en vue de réduire le fardeau réglementaire imposé aux sociétés et du débat qui aura lieu au cours des mois à venir. Nous estimons que le débat démontrera que, dans le cadre des efforts de réduction du fardeau réglementaire et de refonte fondamentale des objectifs de nos règlements en matière de valeurs mobilières, éliminer l’obligation d’information trimestrielle constitue un bon point de départ.