La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel dans le cadre de la procédure de restructuration de Nemaska Lithium. Ainsi, l’ordonnance de dévolution inversée (ODI ou RVO en anglais) dans ce dossier demeure la première du genre à résister à un examen judiciaire au Canada. Une ODI offre une solution de rechange aux plans d’arrangement et aux ordonnances d’approbation et de dévolution (OAD ou AVO en anglais) traditionnelles, au moyen d’un transfert efficace des activités d’une entreprise en difficulté sans les passifs indésirables.

Précédemment1, nous avions signalé que la procédure de restructuration de Nemaska, dans le cadre de laquelle notre bureau de Montréal a agi à titre de conseiller juridique d’Investissement Québec (IQ), a été la première ODI à être accordée en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) après une audience contestée.

En résumé, les entités de Nemaska ont participé au développement d’un projet minier d’extraction de lithium au Québec. En raison de la baisse du prix du lithium, elles ont demandé la protection de la LACC en décembre 2019 et en janvier 2020, la Cour supérieure a approuvé un processus de sollicitation de vente ou d’investissement (PSVI ou SISP en anglais), qui a mené à l’acceptation d’une offre d’un consortium des plus importants créanciers garantis de Nemaska : IQ, Orion Mine Finance et le Groupe Pallinghurst. Cette offre exigeait que la vente soit effectuée au moyen d’une ODI.

Le but ultime visé par l’ODI est de retirer des entités débitrices les actifs et les passifs que les soumissionnaires ne souhaitent pas garder tout en conservant la structure organisationnelle existante des débitrices, préservant ainsi les licences et permis importants et, s’il y a lieu, les attributs fiscaux existants. Au moment de la réalisation des opérations envisagées en vertu de l’ODI, les entités de Nemaska se sont affranchies des procédures en vertu de la LACC, tandis qu’une entité résiduelle nouvellement créée (ResidualCo) demeure assujettie à la LACC.

Première contestation d’une ODI

Deux actionnaires (dont l’un était également un créancier allégué) ont déposé des requêtes pour s’opposer à l’émission d’une ODI pour plusieurs motifs, alléguant principalement que le tribunal n’avait pas le pouvoir d’accorder une ordonnance de dévolution autrement que pour la vente ou l’aliénation d’actifs par le truchement d’une OAD, que l’ODI ne pouvait être permise en vertu de la LACC, car elle permet à Nemaska d’émerger de la protection de la LACC hors du cadre d’un plan d’arrangement, que la réorganisation d’entreprise envisagée par l’ODI n’était pas permise en vertu des lois sur les valeurs mobilières et que la quittance en faveur des administrateurs et des dirigeants de Nemaska aux termes de la transaction proposée ne devrait pas être autorisée.

Après avoir examiné le PSVI qui a mené à l’offre d’IQ et de ses partenaires, compte tenu de l’absence de solutions de rechange crédibles et des conséquences potentiellement désastreuses pour les parties prenantes de Nemaska, notamment ses employés, ses créanciers, ses fournisseurs, la communauté crie et les économies locales touchées, que pourrait engendrer la suspension du processus de restructuration afin de lancer un nouveau PSVI à une date ultérieure dans un marché incertain « qui a déjà été analysé sous toutes ses coutures » ou, sinon, la mise en faillite des entités de Nemaska, le juge Gouin de la Cour supérieure a approuvé l’ODI le 15 octobre 2020.

Le tribunal a conclu que Nemaska avait agi de bonne foi et avec la diligence requise et que l’approbation de l’ODI constituait la meilleure issue possible. Par conséquent, le fait de limiter les recours disponibles en vertu de la LACC restreindrait à mauvais escient l’éventail des solutions innovatrices permettant de faire face aux problèmes commerciaux et sociaux de plus en plus complexes. En arrivant à cette conclusion, la Cour a précisé ce qui suit :

  • dans le cadre de l’approbation d’une ordonnance de dévolution en vertu de l’article 36 de la LACC, le tribunal doit d’abord évaluer : i) la suffisance des efforts déployés pour obtenir le meilleur prix et la prévoyance dont les parties ont fait preuve; ii) l’efficacité et l’intégrité du processus suivi; iii) les intérêts des parties; et iv) si le processus a entraîné une injustice;
  • il n’appartient pas au tribunal de dicter les modalités de l’offre, et l’ordonnance non contestée du PSVI constitue la toile de fond à partir de laquelle la légalité de l’offre doit être analysée. Un acheteur est autorisé à demander des quittances en faveur des administrateurs et des dirigeants des débitrices par le truchement d’une ODI, à plus forte raison lorsque la quittance est modulée de façon à protéger les droits des actionnaires et des créanciers qui pourraient avoir une réclamation valide fondée sur la conduite injustifiée ou abusive des administrateurs et des dirigeants;
  • les lois canadiennes sur l’insolvabilité poursuivent un grand nombre d’objectifs réparateurs, dont ceux-ci : régler de façon rapide, efficace et impartiale l’insolvabilité d’un débiteur; préserver et maximiser la valeur des actifs d’un débiteur; assurer un traitement juste et équitable des réclamations déposées contre un débiteur; protéger l’intérêt public; et, dans le contexte d’une insolvabilité commerciale, établir un équilibre entre les coûts et les bénéfices découlant de la restructuration ou de la liquidation d’une entreprise;
  • la LACC priorise en général le fait d’« éviter des pertes sociales et économiques résultant de la liquidation d’une compagnie insolvable » en facilitant la restructuration de l’entreprise débitrice qui n’a pas encore déposé de proposition en la maintenant dans un état opérationnel, c’est-à-dire en permettant qu’elle poursuive ses activités;
  • en vue de la réalisation des objectifs visés par la loi, un juge surveillant en vertu de la LACC jouit d’une grande discrétion en vertu de l’article 11 de la LACC. Ce pouvoir doit tendre à la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC et le tribunal doit garder à l’esprit trois « considérations de base », qu’il incombe au demandeur de démontrer : 1) que l’ordonnance demandée est indiquée, 2) qu’il a agi de bonne foi et 3) avec la diligence voulue.

Appels du jugement de première instance rejetés

Dans le cadre de leur demande d’autorisation d’appel, les actionnaires ont réitéré que le juge responsable des procédures en vertu de la LACC n’avait pas le pouvoir d’approuver une opération structurée de manière à permettre aux sociétés débitrices d’émerger de la protection de la LACC libres et quittes de leurs obligations pré-dépôt (pre-filing) en dehors des limites d’un plan de transaction ou d’arrangement et sans l’approbation de la majorité requise des créanciers. Ils ont également soutenu que le juge responsable des procédures en vertu de la LACC s’est concentré exclusivement sur le résultat de la transaction proposée, qu’il a qualifiée de « meilleure et seule alternative disponible dans les circonstances », tout en omettant de tenir compte des droits des créanciers de manière significative.

La Cour d’appel, tout en reconnaissant la nouveauté de la transaction réalisée au moyen d’une ODI, a mis en doute la bonne foi des appelants. Le tribunal a noté que les actionnaires contestataires, représentant à peine 4 % de la valeur totale des créances non garanties, ont utilisé les procédures judiciaires comme « un exercice de négociation » avec les débitrices et les offrants.

La Cour d’appel a donc rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel, les appelants n’ayant pas réussi à convaincre le tribunal que leur appel n’entraverait pas le déroulement du processus et qu’il n’était pas purement stratégique ou théorique.

Les actionnaires contestataires ont fait une deuxième tentative en déposant des demandes d’autorisation distinctes auprès de la Cour suprême du Canada, demandes qui ont finalement été rejetées le 29 avril 2021.

La transaction réalisée au moyen d’une ODI de Nemaska demeure la première du genre à résister à un examen judiciaire au Canada, et réaffirme la souplesse qu’offrent les procédures en vertu de la LACC à l’égard des opérations de fusion et d’acquisition visant des sociétés en difficulté. Une ODI offre une solution de rechange efficace aux plans d’arrangement et aux ordonnances d’approbation et de dévolution traditionnelles, particulièrement pour les sociétés débitrices qui exercent des activités dans un environnement hautement réglementé et où aucune valeur ne subsiste après la réalisation de la dette garantie, et où les parties ont l’intention de poursuivre les activités de la société débitrice.


Notes

1   Voir nos publications du 15 octobre 2020 concernant la décision rendue par la Cour supérieure du Québec et la mise à jour subséquente du 16 décembre 2020, à la suite de la décision de la Cour d’appel de rejeter l’autorisation.



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