Dans une décision fort importante rendue le 20 juillet 20151, l’arbitre a rejeté un grief après avoir conclu que les pères ne sont pas victimes de discrimination en ne bénéficiant pas d’indemnités de salaire de la part de leur employeur en plus des indemnités gouvernementales pendant leur congé de paternité, alors que les mères bénéficient de telles indemnités pendant le congé de maternité.
Contexte
L’Alliance de la fonction publique du Canada alléguait que le fait que seules les mères en congé de maternité recevaient des indemnités de salaire de la part de leur employeur, Aéroports de Montréal, en plus des indemnités gouvernementales, à l’exclusion des pères en congé de paternité, était discriminatoire. Le syndicat et l’employeur cherchaient à obtenir de l’arbitre Marc Gravel une décision d’interprétation quant à la légalité contestée du non-paiement d’indemnités additionnelles aux pères en congé de paternité. Cette décision allait, du même coup, répondre à d’autres griefs similaires, notamment des griefs déposés pour d’autres unités contre le même employeur.
Il importe toutefois de noter que tant les mères que les pères qui décidaient de bénéficier du congé parental pouvaient recevoir, pendant un certain nombre de semaines, une indemnité additionnelle de la part de l’employeur, en sus des indemnités versées dans le cadre du Régime québécois d’assurance parentale. Il y avait donc une distinction entre le congé de maternité et le congé de paternité, mais pour le congé parental, qui peut se partager entre les deux parents, le versement d’indemnités se faisait sans égard au sexe du parent en congé.
Décision
Dans sa décision, l’arbitre effectue une revue et une analyse approfondie de la question, et particulièrement de l’allégation du syndicat quant à la discrimination et à la disparité de traitement. Il reprend en détail les grandes lignes des représentations des parties et joint, avec approbation, l’ensemble de l’argumentation patronale soutenant l’absence de discrimination.
D’abord, l’arbitre souligne qu’un grief similaire a été accueilli dans une décision rendue par l’arbitre André Sylvestre pour la Société du Vieux-Port de Montréal. Il conclut toutefois que, malgré qu’il n’ait évidemment pas la compétence de renverser cette décision, il y avait absence de discrimination dans ce dossier. Il accorde de l’importance à l’argument voulant qu’en vertu de la loi applicable, soit le Code canadien du travail, la mère aura accès au congé de maternité même si son enfant ne survit pas à la grossesse ou à l’accouchement.
Aussi, « La maternité n’est pas la paternité », conclut l’arbitre. « Ce ne le sera jamais, la nature humaine étant ainsi faite que l’une ne peut pas être l’autre et cela en tout état de cause. » D’ailleurs, le Code canadien du travail constate bien cette différence. Celui-ci parle du congé de maternité ou du congé parental, sans faire référence au congé de paternité.
L’arbitre insiste surtout sur le fait que même s’il y a apparence de traitement différent, les mères semblant avantagées, cela ne signifie pas pour autant et nécessairement qu’il y ait toujours de la discrimination, en l’espèce à l’endroit des pères. Il souligne qu’il existe une disparité évidente entre le fait de porter un enfant et le fait d’en être le père et que les deux ne peuvent être considérés comme identiques. « Prétendre que le congé de paternité doit être considéré de la même façon et traité en tout cas de la même façon que le congé de maternité c’est mettre de côté des millénaires d’existence de la race humaine qui a pris tout ce temps pour finir par reconnaître que porter un enfant à terme, en accoucher et lui prodiguer les soins des premiers mois peut être incompatible avec le travail accompli par la femme pour gagner sa vie. » L’arbitre reprend ici une idée qui avait notamment fait son chemin dans des décisions de l’Ouest canadien quant à la différence évidente entre la maternité et la paternité et quant au fait que l’absence de la mère survenant dans le contexte de la naissance est une absence obligatoire, par opposition à l’absence du père, qui peut être perçue comme plus facultative.
L’arbitre analyse ensuite le concept de discrimination, particulièrement à la lumière des arrêts de principe de la Cour suprême, notamment la décision Law c Ministre du Développement des ressources humaines2. Il retient notamment de cette décision que la protection des droits à l’égalité s’intéresse aux distinctions véritablement discriminatoires. Il insiste sur le fait que la véritable égalité n’est pas nécessairement celle qui découle d’un traitement identique.
À la lumière de cette jurisprudence et des principes qu’elle établit, l’arbitre conclut qu’on ne peut comparer la maternité et la paternité pour conclure que les pères, dans leur ensemble et comme groupe, sont dépréciés ou victimes de discrimination par rapport aux membres du sexe féminin. Cette différence de traitement a une justification légitime. En effet, seule une femme peut donner naissance à un enfant. Il n’y a donc pas de discrimination entre les sexes si un avantage est consenti à la mère qui est enceinte, qui va accoucher ou qui accouche et s’occupe ensuite de son bébé. Selon l’arbitre, le congé de maternité est un congé fondé sur l’état de grossesse et accordé afin que la mère se remette de cette période et de l’accouchement. Ainsi et de façon particulière, le congé de maternité sera accessible à la mère peu importe que l’enfant soit viable ou non (après un certain stade de la grossesse). À l’inverse, le père n’aura accès au congé de paternité que si l’enfant est viable.
Finalement, l’arbitre conclut que la maternité, ainsi que ses composantes (grossesse, accouchement et allaitement), n’est pas du tout comparable à la paternité. Comparer l’une et l’autre à tout prix fausse la notion de discrimination, qui doit être interprétée avec nuance. L’avantage ou le bénéfice ne doit pas être parfaitement identique et il n’y a là aucune discrimination.
Que retenir de cette décision?
Il s’agit d’une décision majeure en matière d’allégations de discrimination. L’arbitre y retient l’argument essentiel selon lequel un traitement identique n’est pas requis en toutes circonstances. Il retient particulièrement que le congé de maternité vise le rétablissement de la mère, qui a dû porter l’enfant et l’accoucher. Il est à noter, toutefois, que dans ce grief, le congé parental n’était plus en litige et que c’est donc dans ce contexte que le congé de maternité a été jugé différent du congé de paternité.
Il s’agit d’une décision phare, étant donné que les entreprises offrant des indemnités additionnelles pendant les congés parentaux dans leur sens large commencent à être visées par des contestations de cette nature. En matière de droit à l’égalité, il s’agit également d’une décision importante pour les entreprises, puisque l’arbitre y retient que l’égalité réelle ne sous-entend pas qu’un même traitement doive être appliqué en toutes circonstances. Il s’agit d’une belle décision, étoffée et réfléchie sur le concept de la discrimination.
Note
- Alliance de la fonction publique du Canada – Unité des employés administratifs, professionnels et du soutien et Aéroports de Montréal, 2015 QCTA 679.
- [1999] 1 RCS 497.