Dans le cadre du processus de vérification diligente d’une transaction immobilière, l’acquéreur ou le créancier éventuel devra examiner les baux visant l’immeuble et demander alors au bailleur actuel de faire signer par ses locataires un « certificat de préclusion » dans lequel le locataire décrira l’état du bail ainsi que les réclamations qu’il peut faire valoir contre le bailleur, s’il en est1.
Le 10 août 2017, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu une décision qui traite de l’importance et de l’opposabilité d’un certificat de préclusion2.
1960529 Ontario Inc. v 2077570 Ontario Inc.
Dans cette affaire, une entreprise exerce ses activités à titre de bar et arcade (Locataire) et loue un local dans un immeuble de Toronto (Immeuble) appartenant au bailleur (Bailleur). Le bail du Locataire contient une clause de droit de premier refus en vertu de laquelle, en cas de vente de l’Immeuble, le Bailleur doit fournir au Locataire une copie de l’offre d’achat avant d’accepter l’offre, auquel cas le Locataire aura 24 heures pour soumettre au Bailleur une offre équivalente. Le 17 octobre 2016, le Bailleur conclut un accord avec un acquéreur (acquéreur) pour l’achat de l’Immeuble par celui‑ci. Le 14 février 2017, le Bailleur avise le Locataire de la vente de l’Immeuble et lui fait signer un certificat de préclusion dans lequel le Locataire admet, entre autres, que le Bailleur n’est pas en défaut selon les termes du bail et que le Locataire n’a aucune réclamation à l’encontre du Bailleur selon les termes du bail. Le 17 février 2017, le Bailleur vend l’Immeuble à l’acquéreur. Le 21 février 2017, l’acquéreur transmet au Locataire un avis de résiliation de bail l’obligeant à quitter les lieux loués au plus tard le 28 février 2018, le tout conformément à une clause de démolition incluse dans le bail. Le 23 mars 2017, le Locataire présente une requête en vue d’obtenir un redressement par jugement déclaratoire et par voie d’injonction, le tout au soutien de son recours en opposabilité de son droit de premier refus.
Dans son analyse quant à la décision d’accorder ou non au Locataire une injonction interlocutoire provisoire, la Cour affirme que les parties à une transaction immobilière commerciale sont en droit de s’appuyer sur un certificat de préclusion afin d’empêcher la partie qui a signé celui-ci de prendre une position opposée aux déclarations faites dans le certificat3. La Cour enchaîne en expliquant que, lorsque le représentant du Locataire a signé le certificat de préclusion et l’a transmis au Bailleur, il aurait dû savoir que les parties impliquées dans la vente de l’Immeuble se fieraient au certificat4.
En outre, la Cour affirme qu’il serait inéquitable d’accepter la prétention du Locataire selon laquelle le Bailleur aurait fait défaut de respecter la clause de droit de premier refus, et ce, après que le Locataire eut signé le certificat de préclusion dans lequel il affirmait que le Bailleur n’était pas en défaut en vertu du bail et qu’il n’avait aucune réclamation à faire valoir à l’encontre de celui-ci5. La Cour confirme ainsi qu’en signant le certificat de préclusion, le Locataire a renoncé aux droits que lui conférait la clause de droit de premier refus.
Enfin, la Cour conclut qu’en raison de l’effet juridique du certificat de préclusion, elle n’accordera pas l’injonction demandée par le Locataire6.
Même s’il s’agit d’un jugement de l’Ontario, la jurisprudence québécoise démontre que le même principe s’applique au Québec.
Opposabilité d’un certificat de préclusion au Québec
Dans certaines décisions, lorsqu’elle est appelée à interpréter les termes d’un bail, la cour s’appuie entre autres sur un certificat de préclusion comme preuve additionnelle au bail7.
Toutefois, dans un jugement de la Cour supérieure du Québec daté de 2015, la Cour traite de l’applicabilité d’un certificat de préclusion dans le cadre d’une transaction immobilière, et ce, en contradiction avec les termes du bail8. Dans cette affaire, le propriétaire, par l’entremise de son gestionnaire d’Immeuble, exerce un recours en dommages contre un Locataire exploitant un restaurant dans l’Immeuble du propriétaire. Celui-ci allègue que le Locataire aurait fait de fausses déclarations à l’égard de la durée de son bail, fausses déclarations qui se trouvent dans un certificat de préclusion signé par le Locataire. Il est important de noter qu’il y a deux baux en vigueur entre le Locataire et le propriétaire, un bail en français se terminant le 30 mars 2014 et un bail en anglais se terminant le 30 novembre 2014. Avant d’acheter l’Immeuble, le propriétaire s’était fié à un certificat de préclusion signé par Le Locataire dans lequel ce dernier admettait que son bail se terminait le 30 novembre 2014, soit le terme du bail en anglais. C’est au moment où le Locataire met fin à son bail en date du 30 mars 2014, conformément au bail en français, que le propriétaire exerce un recours contre celui-ci.
Après avoir évalué la preuve, la Cour détermine que le bail en vigueur entre le Locataire et le propriétaire est le bail en français9. En ce qui concerne la question du certificat de préclusion, la Cour mentionne que la faute relève du Locataire, lequel savait ou aurait dû savoir que les créanciers hypothécaires ou les acquéreurs éventuels de l’Immeuble, soit le propriétaire, se fieraient aux déclarations faites dans ce certificat, et ce, même si le bail en vigueur se terminait effectivement le 30 mars 201410. Conséquemment, les dommages subis par le propriétaire équivalent à 8 mois de loyer, soit la différence entre le terme du bail en français et celui du bail en anglais. Plus encore, la Cour affirme que le montant à accorder à titre de dommages doit refléter le montant du loyer indiqué dans le certificat de préclusion, malgré le fait que ce montant diffère de celui qui est prévu dans le bail en vigueur11.
Il ressort donc de cette affaire que, selon les circonstances et nonobstant le libellé explicite du bail en vigueur, les termes du certificat de préclusion risquent de prévaloir, celui-ci étant un document juridique sur lequel les parties à une transaction sont raisonnablement en droit de se fier.
Il est intéressant de mentionner que, dans un jugement de la Cour d’appel du Québec12, la Cour affirme qu’un certificat de préclusion constitue un aveu extrajudiciaire, aveu qui ne peut être révoqué que par la preuve d’une erreur de fait de son auteur. La force probante de l’aveu extrajudiciaire étant laissée à l’appréciation du tribunal, la Cour devra donc choisir la version la plus plausible entre la preuve au dossier et le certificat de préclusion. Dans cette affaire, malgré les prétentions du Locataire voulant que le Bailleur n’ait pas exécuté des travaux correctement, le Locataire avait signé un certificat de préclusion qui reconnaissait le contraire, soit que les travaux du propriétaire avaient été exécutés convenablement et que toutes les obligations en vertu du bail avaient été respectées. Le tribunal de première instance avait conclu, après l’analyse des termes du bail, que les travaux en question avaient été exécutés convenablement et avait ajouté que le Locataire l’avait affirmé en signant le certificat de préclusion. La Cour affirme partager l’opinion du juge de première instance et confirme que celui-ci n’a pas commis d’erreur en concluant que le Locataire avait signé en toute connaissance de cause le certificat de préclusion dans lequel il reconnaissait expressément que le propriétaire avait respecté toutes ses obligations et qu’il ne pouvait alors nier ce qu’il avait explicitement reconnu13.
À la lumière de ce qui précède, il est important pour un Locataire de s’assurer que le certificat qu’il signe est conforme à son bail, à défaut de quoi il pourrait se trouver à renoncer à ses droits prévus dans le bail ou, encore, à devoir dédommager une partie qui se fierait au certificat. En outre, le certificat de préclusion représentant un document juridique valide ou même un aveu extrajudiciaire de la part de celui qui le signe, cette preuve pourrait jouer contre le Locataire en cas de litige.
Notes
1 René Gauthier, « Les règles générales applicables à tous les baux », dans Jocelyne Temblay, coord., Obligations et contrats, Collection de droit 2017-2018, vol. 6, Cowansville (QC), Éditions Yvon Blais/École du Barreau du Québec, 2017, p. 267.
2 1960529 Ontario Inc. v 2077570 Ontario Inc., 2017 ONSC 5254.
3 Ibid au para 44.
4 Ibid.
5 Ibid au para 45.
6 Ibid au para 73.
7 IMS Health Canada Inc./IMS Santé Canada inc. c Trans-Edmond Development Inc./Développement Trans-Edmond inc., 2013 QCCS 5357 et The Forum Entertainment Centre Company c Cinegrand Montreal Inc., 2004 QCCS 1347.
8 Gestion Elm Bishop inc. c Farias, 2015 QCCS 6545.
9 Ibid au para 34.
10 Ibid au para 40.
11 Ibid aux para 73-75.
12 Cinegrand Montreal inc. c Forum Entertainment Centre Company, 2006 QCCA 1579.
13 Ibid aux para 63-65.