Depuis quelques années, les avocats en demande en matière d’actions collectives s’orientent vers le droit du travail et de l’emploi, à l’instar des provinces de common law où le phénomène est déjà établi depuis plusieurs années. L’action collective autorisée contre l’Aréna des Canadiens inc. et l’Aréna du Rocket inc. pour les heures supplémentaires de leurs employé·es en est un exemple récent1.
En règle générale, les heures supplémentaires ne sont pas payées pour un·e employé·e rémunéré·e sur une base annuelle, contrairement à un·e employé·e rémunéré·e sur une base horaire. Quelques exceptions existent, par exemple, celle où un·e employé·e rémunéré·e sur une base annuelle gagnerait moins que le salaire minimum lorsque nous considérons le nombre d’heures travaillées par semaine.
Dans l’affaire Nordia2, le demandeur remet en question la politique sur les heures supplémentaires de son employeur, laquelle s’appliquerait uniquement à son taux horaire de base, et non à son taux horaire de base majoré par des primes, y compris pour le bilinguisme. Cette action collective a été autorisée le 18 mars dernier.
Les faits
Le 25 avril 2022, M. Pierre Madden (le Demandeur) a déposé une Demande pour autorisation d’exercer une action collective et pour être représentant (la Demande) à l’encontre de son employeur, Nordia Inc. (Nordia), alléguant que ce dernier n’aurait respecté ni les dispositions de son contrat d’emploi ni, subsidiairement, les dispositions de la Loi sur les normes du travail3 (LNT) relatives à la rémunération des heures supplémentaires. La première cause d’action du Demandeur visait donc la responsabilité contractuelle de Nordia au terme de son contrat de travail alors que la seconde visait la responsabilité légale de Nordia à titre d’employeur pour non-respect de la LNT.
Le groupe visé par l’action collective proposée était le suivant :
Tous les salarié(e)s ou ex-salarié(e)s de la défenderesse au Québec rémunérés sur une base horaire, à l’exception des cadres et des employés syndiqués, qui ont travaillé des heures supplémentaires et/ou lors de jours fériés.
Le Demandeur a été à l’emploi de Nordia pendant près de trois ans, durant lesquels il travaillait à temps plein à titre d’opérateur dans un centre d’appels. Il n’était pas syndiqué. Selon les termes de son contrat de travail, le Demandeur était rémunéré selon un taux horaire de 21,75 $. Son taux horaire était ventilé de la manière suivante dans son contrat :
- 16 50 $/h à titre de salaire de base;
- 4,25 $/h à titre de prime; et
- 1 $/h à titre de prime au bilinguisme.
Le Demandeur allègue avoir effectué régulièrement du travail en temps supplémentaire. Selon lui, Nordia contrevient à son contrat de travail ainsi qu’à la LNT, puisque la rémunération de ses heures supplémentaires (quotidiennes et celles travaillées lors d’un jour férié) était de 150 % de son salaire horaire de 16,50 $ et non de son taux horaire habituel de 21,75 $ prévu à son contrat de travail.
La décision de la Cour supérieure
Le 18 mars 2023, l’honorable Lukasz Granosik de la Cour supérieure (Cour) a accueilli la Demande, en concluant notamment que les deux causes d’action proposées dans celle-ci étaient défendables.
La Cour a d’abord résumé les principes régissant l’article 575 (2) du Code de procédure civile4, qui nécessite que le Demandeur fasse la démonstration d’une cause défendable et d’une apparence de droit, rappelant par le fait même le faible fardeau qui incombe au demandeur au stade de l’autorisation, lequel n’a qu’à établir une « simple possibilité de succès au fond » pour satisfaire à ce critère.
Quant à la première cause d’action visant la responsabilité contractuelle de Nordia au terme du contrat de travail, la Cour a rejeté les arguments avancés en défense, jugeant que ceux-ci impliquaient des questions mixtes de fait et de droit relevant du fond et que, tenant pour avérés les faits allégués, le Demandeur avait fait la démonstration d’une cause défendable quant au respect par son employeur de ses obligations contractuelles en matière de la rémunération des heures supplémentaires.
Concernant la seconde cause d’action visant la responsabilité légale de Nordia à titre d’employeur pour non-respect de la LNT, laquelle était subsidiaire, la Cour a conclu que le débat proposé par le Demandeur n’était ni frivole ni voué à l’échec, et que puisqu’il impliquait l’interprétation et l’application de la LNT, il s’en dégageait des questions de fait, voire des questions mixtes de fait et de droit, qui ne peuvent être tranchées qu’au terme d’un procès, lors duquel les parties pourraient présenter une preuve complète. La Cour a néanmoins constaté qu’en raison du délai de prescription de un (1) an prévu à l’article 115 de la LNT, la définition du groupe proposé devait être modifiée afin d’y préciser la date du 25 avril 2021 comme point de départ de toute réclamation par un·e salarié·e ou ex-salarié·e en vertu de la LNT.
QUOI RETENIR
Cette décision marque un pas de plus pour les actions collectives québécoises en matière de droit du travail et de l’emploi. Étant donné l’engouement notable récent dans le domaine des actions collectives soulevant des enjeux entre employé·es et employeurs, ainsi que le seuil peu élevé pour autoriser une action collective au Québec, tout employeur qui rémunère des employé·es sur une base horaire pourrait tirer profit d’une révision de ses politiques internes et termes contractuels en matière, notamment, de salaire et d’avantages sociaux.