L’arbitre de grief Me Nathalie Faucher tente de mettre fin à un système de recrutement discriminatoire mis en place par le Syndicat des débardeurs du Port de Montréal qui perdure depuis des décennies. Pour y parvenir, elle a recours à des ordonnances d’une portée large et inusitée.


Contexte

Dans la décision l’Association des employeurs maritimes et Syndicat des débardeurs, SCFP, section locale 375, (T.A., 2023-04-14), 2023 QCTA 163, opposant l’Association des employeurs maritimes (Employeur) et le Syndicat des débardeurs, SCFP, section locale 375 (Syndicat), l’arbitre Me Nathalie Faucher rend des ordonnances visant à mettre fin à un système de discrimination érigé par le Syndicat. Ce grief patronal vise la confection de la liste de candidats potentiels à l’emploi de débardeur soumise par le Syndicat invoquant que ce procédé l’empêche de répondre à ses obligations légales, notamment au regard de la législation en matière d’emploi et de droits de la personne. Selon la convention collective liant les parties, 50 % des débardeurs embauchés par l’Employeur doivent provenir de la liste de candidats référés par le Syndicat. Toutefois, par ce système de référencement, le Syndicat ne soumet pratiquement que des personnes membres de la famille des débardeurs. \

Le 1er août 2022, Me Faucher rend une sentence dans laquelle elle déclare que la pratique établie par le Syndicat pour confectionner la liste de candidats à l’emploi de débardeur est discriminatoire, contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne1 (LCDP) et aux dispositions de la convention collective. Face à l’impossibilité pour les parties de s’entendre sur les remèdes appropriés, l’arbitre rend une deuxième décision dans laquelle elle se prononce sur les mesures de réparation.

La pratique en cause

Selon l’arbitre, le système de référencement du Syndicat est une véritable situation de discrimination systémique et relevant du népotisme. Dès 1982, à la suite de l’adoption de la LCDP, la situation était dénoncée au Conseil canadien des relations de travail. En effet, la LCDP prévoit expressément comme motif de discrimination interdit le fait d’engager des candidats sur la base de sa situation familiale. Cet enjeu a été au centre de plusieurs litiges entre les parties sans jamais que la pratique ne cesse. Ce constat amène Me Faucher à conclure qu’il ne lui suffit pas d’ordonner au Syndicat de cesser cette pratique pour parvenir à une solution durable et efficace. 

En vertu de la convention collective, l’Employeur doit se servir de la liste de candidats que confectionne le Syndicat pour procéder aux embauches des débardeurs. Les règles et procédures utilisées pour élaborer la liste sont à l’entière discrétion du Syndicat et ne font l’objet d’aucun encadrement par la convention collective. Il en a vite résulté que cette liste de candidats ne contenait presque exclusivement que les noms de personnes ayant un lien familial avec un débardeur, sans aucune vérification quant aux qualifications ou la capacité de ces personnes à occuper cet emploi. La liste comprenait même le nom d’enfants en bas âge dans la perspective qu’ils aient l’âge minimal requis pour occuper un emploi de débardeur lorsque ce serait à leur tour d’être référés. Cette façon de faire rendait pratiquement nulle toute chance d’emploi pour une personne ne disposant pas de lien de parenté avec un débardeur. 

Plusieurs mesures visant à améliorer la situation ont été mises en place mais n’ont jamais eu d’effet à long terme. À la suite de décisions du Conseil canadien des relations industrielles en 2005 et 2006, un comité géré par le Syndicat a été créé avec la responsabilité d’établir des critères objectifs pour évaluer les candidats pouvant être inscrits sur la liste. Les pratiques discriminatoires n’ont pas cessé, car le Syndicat ne faisait qu’adapter ses stratagèmes pour les contourner. Par exemple, les appels de candidatures n’étaient affichés que dans des locaux inaccessibles au public et des frais d’inscription élevés étaient facturés aux postulants. En dépit des concessions du Syndicat dans les dernières années, notamment une entente intervenue en 2015 prévoyant que l’Employeur avait la possibilité de recruter 50 % des débardeurs selon ses propres critères, ce système népotique empêchait toujours l’Employeur de respecter la législation et la convention collective, ce qui ultimement mettait en péril la prospérité économique du Port de Montréal en le privant des meilleurs candidats. 

Les ordonnances 

Considérant que la pratique persistait nonobstant les arrangements ou les décisions intervenus, dans cette récente décision, Me Faucher émet des ordonnances d’une portée inusitée pour mettre fin à la pratique du Syndicat. Pour rendre le processus transparent et permettre à toute personne le désirant d’accéder à une carrière de débardeur, elle prononce des ordonnances dont les plus importantes sont les suivantes : 

  • Le Syndicat doit informer ses membres des décisions en leur transmettant une copie de celles-ci par la poste et en les publiant sur son site Internet et sa page Facebook.
  • Le Syndicat doit adopter un programme de recrutement non discriminatoire dans les trois mois de la décision - l’arbitre réserve sa compétence aux fins d’approuver ce programme.
  • Les appels de candidatures doivent être publiés par un minimum de deux moyens de communication parmi les suivants : 1) la section carrières d’un journal papier; 2) un site Internet reconnu spécialisé en recrutement; 3) les médias sociaux ou 4) un site gouvernemental de recherche d’emplois.
  • Aucuns frais ne pourront être exigés des postulants pour leur inscription sur la liste syndicale.
  • Durant les deux premières années de l’adoption de la nouvelle politique non discriminatoire, le Syndicat devra faire rapport à une tierce partie indépendante nommée par l’arbitre, soit Me Louise Viau, arbitre à la retraite anciennement nommée dans la convention collective. Les frais et honoraires de Me Viau sont à la charge du Syndicat.
  • L’arbitre indique de façon spécifique ce qui doit être inclus dans le rapport à la tierce partie.
  • Finalement, dans l’éventualité où la tierce partie ou l’Employeur constate le non-respect par le Syndicat des présentes ordonnances, elle ou il en informera l’arbitre qui convoquera les parties à une nouvelle audience. L’arbitre réserve donc sa compétence à cette fin également.

À retenir

L’arbitre a rendu des ordonnances très larges et innovatrices pour mettre fin à une pratique discriminatoire qui existait depuis longtemps. Le Syndicat n’a pas déposé de pourvoi en contrôle judiciaire. 

Cette décision pourrait avoir un impact similaire à l’adoption en 2011 de la Loi éliminant le placement syndical et visant l’amélioration du fonctionnement de l’industrie de la construction2. Rappelons que cette loi avait notamment pour objectif d’éliminer le placement syndical en prévoyant que toute référence de main-d’œuvre doit se faire par l’intermédiaire du Service de référence de main-d’œuvre de l’industrie de la construction administré par la Commission de la construction du Québec. À l’instar du domaine maritime, celui de la construction a été confronté à des enjeux en lien avec le placement syndical. La décision de Me Faucher pourrait très bien être un premier pas vers un processus de recrutement plus ouvert et transparent pour l’emploi de débardeur.

L’autrice désire remercier Jacques-André Simard, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.


Notes

1   LRC 1985, c H-6.

2   LQ 2011, c. 30 [Projet de loi 33]. Cette loi concernait des modifications à la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction, RLRQ c R-20.



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