Le 18 juillet 2017, le ministre des Finances du Canada a publié un document de consultation et des propositions législatives visant à faire échec au recours à des sociétés privées pour répartir le revenu entre les membres de la famille, détenir des placements passifs et convertir les surplus des sociétés en gains en capital. Le gouvernement est d’avis que ces stratégies de planification fiscale procurent des avantages fiscaux qui favorisent injustement les Canadiens les plus riches. Si elles sont adoptées, ces propositions toucheront à la fois les petites et les grandes sociétés privées et leurs actionnaires.
I. RÉPARTITION DU REVENU PAR LE RECOURS AUX SOCIÉTÉS PRIVÉES
Une répartition du revenu, aussi appelée fractionnement du revenu, se produit généralement lorsque le revenu qui aurait autrement été réalisé par un particulier assujetti à un taux d’imposition élevé est plutôt réalisé par des membres de sa famille assujettis à un taux d’imposition inférieur. La répartition du revenu est souvent réalisée au moyen d’une société privée et, jusqu’ici, elle était considérée comme une stratégie de planification fiscale parfaitement légale et tout à fait acceptable. Par exemple, le particulier à revenu élevé, en sa qualité d’actionnaire de contrôle de la société privée, peut faire en sorte que la société distribue une partie de ses revenus après impôt à des membres de sa famille, le plus souvent par le truchement d’une fiducie familiale ou au moyen d’actions à dividendes discrétionnaires. Cette stratégie permet d’obtenir un taux d’imposition effectif inférieur pour la famille, notamment grâce à l’accès à des crédits d’impôt inutilisés ou à la multiplication de l’utilisation de l’exonération cumulative des gains en capital.
La Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) contient déjà des règles empêchant la répartition du revenu dans certaines circonstances, notamment les règles dites d’attribution et les règles relatives à l’impôt des enfants mineurs (impôt sur le revenu fractionné, aussi appelé « Kiddie Tax »). Le gouvernement propose de resserrer certaines de ces règles, en particulier en ce qui concerne l’impôt sur le revenu fractionné et l’exonération cumulative des gains en capital.
En général, aux termes des propositions, l’impôt sur le revenu fractionné serait modifié de manière à s’appliquer après 2017 à tout particulier résidant au Canada, qu’il soit mineur ou adulte, qui gagne un revenu fractionné provenant d’une société privée (ou d’une société de personnes ou d’une fiducie) dans laquelle un particulier rattaché détient une participation. Plus précisément, l’impôt sur le revenu fractionné serait modifié de la manière suivante :
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assujettissement du revenu fractionné des particuliers adultes à un critère dit du caractère raisonnable tenant compte des apports en main-d’œuvre et en capitaux du particulier à la société ainsi que des dividendes et de la rémunération antérieurs reçus par le particulier de la société (le critère serait plus rigoureux dans le cas des particuliers âgés de 18 à 24 ans);
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introduction du concept de « particuliers rattachés », soit des résidents du Canada qui sont rattachés à une société privée, soit parce qu’ils exercent un contrôle sur elle ou participent à au moins 10 % de la valeur des capitaux propres de celle-ci, soit parce que les biens qu’ils ont transférés à la société représentent au moins 10 % de la valeur des biens de la société, soit parce qu’ils participent à la prestation des services qui constituent l’activité de la société; et
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élargissement de la définition de « revenu fractionné » pour qu’elle inclue, outre certains revenus de dividende, de société de personne et de fiducie, le revenu fractionné composé (c.-à-d. le revenu réalisé sur le revenu fractionné déjà imposé).
D’autres mesures sont proposées pour limiter la multiplication des demandes d’exonération cumulative des gains en capital de la part des particuliers relativement à l’aliénation d’actions admissibles de société privée, exonération qui s’élève à environ 835 000 $ en 2017. Plus précisément, les gains en capital suivants ne seraient plus admissibles : i) les gains en capital réalisés ou accumulés pendant que le particulier est mineur, ii) les gains en capital inclus dans le revenu fractionné du particulier et iii) les gains en capital accumulés pendant que les actions sont détenues par une fiducie.
Toutefois, les règles transitoires permettraient aux particuliers de faire le choix de réaliser en 2018 un gain en capital sur des actions admissibles par l’effet d’une disposition réputée à la juste valeur marchande et de demander l’exonération cumulative des gains en capital à l’égard de ce gain en capital.
II. DÉTENTION DE PLACEMENTS PASSIFS PAR L’INTERMÉDIAIRE DE SOCIÉTÉS PRIVÉES
Selon le gouvernement, un avantage quant au report de l’impôt est obtenu lorsque des surplus de fonds sont laissés dans une société à des fins de placement passif plutôt que d’être distribués aux actionnaires, notamment sous forme de dividendes imposables ou de salaires, pour que ceux-ci les investissent personnellement. Étant donné que les taux d’imposition des sociétés applicables au revenu actif sont inférieurs au taux marginal d’impôt des particuliers, lorsque des surplus de fonds sont laissés dans une société privée, l’impôt qui aurait dû être payé au moment de la distribution du surplus aux actionnaires peut être reporté, de sorte que la société dispose de plus de capitaux à investir.
Le gouvernement ne propose pas de mesures particulières et sollicite plutôt des commentaires sur les moyens appropriés pour éliminer cet avantage en matière de report d’impôt. Les possibilités envisagées par le gouvernement comprennent la suppression du remboursement actuel d’une partie de l’impôt des sociétés applicable au revenu de placement passif, la mise en œuvre d’un impôt remboursable supplémentaire sur le surplus des sociétés qui n’est pas réinvesti dans l’entreprise de la société ou dans d’autres placements admissibles et l’élimination de l’augmentation du compte de dividendes en capital pour la tranche non imposable des gains en capital tirés des placements passifs. Selon le gouvernement, une période de transition sera prévue avant l’entrée en vigueur de toute proposition de ce genre.
III. DÉPOUILLEMENT DE SURPLUS
Le surplus d’une société privée est généralement distribué sous forme de salaire ou de dividendes, lesquels sont alors inclus dans le revenu imposable du particulier qui les reçoit. Or, parce que la moitié seulement d’un gain en capital est imposable, les gains en capital sont imposés en réalité à un taux inférieur. Par conséquent, pour avoir accès au surplus de la société, certains particuliers ont effectué des opérations entraînant des gains en capital entre leurs mains ou pour la société et permettant ainsi de verser des dividendes en capital en franchise d’impôt. Ces techniques sont appelées communément « dépouillement de surplus ».
Différentes dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) limitent le dépouillement de surplus. Le gouvernement propose des mesures visant à limiter davantage le dépouillement de surplus et, plus particulièrement, les opérations utilisées pour contourner les dispositions actuelles contrer le dépouillement de surplus.
De manière générale, les nouvelles mesures anti-dépouillement de surplus viseraient les opérations conclues à compter du 18 juillet 2017 entre des personnes qui ont un lien de dépendance lorsque l’un des objets de l’opération consisterait à verser une contrepartie non constituée d’actions (p. ex. une somme d’argent) à un actionnaire d’une manière qui entraînerait un gain en capital et qui aurait pour effet de réduire considérablement les actifs de la société. Dans ces cas, la contrepartie non constituée d’actions serait traitée comme un dividende imposable.
IV. COMMENTAIRES
Certains aspects des propositions représentent un changement de cap dans la politique fiscale et auront vraisemblablement d’importantes conséquences financières pour les sociétés privées et leurs actionnaires. L’élimination proposée de l’avantage lié au report d’impôt dans le cas des placements passifs de sociétés a tout particulièrement une grande portée et aura des conséquences inattendues pour les sociétés privées rentables.
Par exemple, les sociétés peuvent accumuler des surplus pour pouvoir démarrer une nouvelle division ou une nouvelle entreprise active ou pour disposer de fonds en prévision de la basse saison lorsque leur entreprise est cyclique. De plus, les entrepreneurs et les membres de leur famille qui participent à leur entreprise ne bénéficient généralement pas des régimes de retraite, de l’assurance-emploi, des congés parentaux et des autres avantages sociaux qui sont offerts aux employés et ils ont pris des risques en investissant leurs capitaux pour établir leur entreprise, sans compter toutes les heures qu’ils y ont consacrées. Ils n’ont pas pu accumuler non plus de droits à pension importants aux termes des régimes de pension ou de rentes fédéral ou provinciaux, car une partie de leurs revenus pouvait être touchée sous forme de dividendes plutôt que de salaire. Un changement aussi radical ferait en sorte que les sociétés privées ne seraient pas placées sur le même pied que les sociétés ouvertes et les sociétés étrangères, lesquelles peuvent conserver leurs surplus après impôt et, de ce fait, reporter l’impôt sur le revenu payé par les actionnaires, y compris les retenues d’impôt applicables aux sociétés étrangères. Le surplus conservé peut être affecté au financement de l’expansion courante ou future, au remboursement de la dette, au rachat d’actions, au versement de dividendes, aux régimes de retraite, à d’éventuelles primes de départ à la retraite ou à d’autres revenus postérieurs au départ à la retraite, de même qu’à nombre d’autres choses qui ne représentent peut-être pas à proprement parler un réinvestissement immédiat, ni même futur, dans l’entreprise courante.
Le gouvernement sollicite les commentaires et les idées quant aux mesures proposées d’ici le 2 octobre 2017.