Depuis 2022, le gouvernement du Canada a apporté trois séries de modifications à la Loi sur la concurrence (Loi), ce qui en fait les plus importantes révisions apportées à la législation canadienne sur la concurrence en plus de dix ans1. La plus récente série de modifications a reçu la sanction royale le 20 juin 2024. L’effet cumulatif de ces modifications transforme fondamentalement le cadre du droit de la concurrence au Canada et les entreprises devront évaluer de quelle façon leurs pratiques commerciales, fusions, coentreprises et activités publicitaires en seront touchées.

Cette actualité juridique résume les trois séries de modifications et présente l’état actuel du droit canadien sur la concurrence – y compris les nouveaux droits qu’ont les parties privées de saisir directement le Tribunal de la concurrence (Tribunal), les dispositions renforcées sur l’écoblanchiment, les nouvelles interdictions sur les accords de fixation des salaires et de non-débauchage et les sanctions accrues pour les questions susceptibles d’examen au civil. Parallèlement, nous publierons une série de bulletins ciblés détaillant l’effet des modifications par sujet afin d’aider les entreprises à mieux comprendre les incidences de celles-ci et à prendre des mesures proactives en matière de conformité2.


Modifications de 2022

La première série de modifications apportées à la Loi a été proposée en avril 2022 dans le cadre du projet de loi C-19, qui a reçu la sanction royale le 23 juin 20223

Elle comprenait ce qui suit:

  • Interdiction de conclure des accords de fixation des salaires et de non-débauchage/non-embauche entre employeurs non affiliés4
    • Le fait pour des employeurs non affiliés de convenir de faire ce qui suit constitue désormais une infraction criminelle:
      • fixer, maintenir, réduire ou contrôler les salaires, les traitements ou d’autres conditions d’emploi (accords de fixation des salaires); 
      • s’abstenir de solliciter ou d’embaucher les employés de l’autre (accords de non-débauchage ou de non-embauche).
    • Les employeurs qui participent à un accord de fixation des salaires ou de non-débauchage illégal sont passibles de graves sanctions, dont une peine d’emprisonnement maximale de quatorze ans ou une amende fixée par le tribunal, ou les deux. Ils pourraient également faire face à d’éventuelles poursuites civiles en dommages-intérêts en vertu de la Loi. 
  • Élargissement du cadre d’application de la loi en ce qui a trait à l’abus de position dominante pour:
    • Élargir la liste des facteurs visant à cibler les enjeux concurrentiels potentiels dans le commerce numérique
      • Plusieurs facteurs additionnels peuvent maintenant être pris en compte en matière d’abus de position dominante, dont les effets de réseau, les effets sur la concurrence par les prix et sur la concurrence hors prix (p. ex. la vie privée des consommateurs et le choix), la nature et la portée des innovations dans un marché et tout autre facteur relatif à la concurrence dans le marché.
    • Augmenter significativement les sanctions financières (les modifications de 2023 ont remplacé ces modifications)
      • Les modifications de 2022 ont porté les sanctions administratives pécuniaires pour abus de position dominante au plus élevé des montants suivants : i) 10 millions de dollars (15 millions de dollars pour les violations subséquentes) ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur ou, si ce montant ne peut être déterminé, 3 % des recettes globales brutes annuelles. Ces modifications ont depuis été remplacées (voir l’analyse des modifications de 2023 ci-après).
    • Permettre à des parties privées (avec autorisation) de présenter des demandes pour abus de position dominante
      • Les parties privées peuvent désormais présenter des demandes au Tribunal de la concurrence (Tribunal) pour abus de position dominante présumé (auparavant, seul le commissaire à la concurrence (commissaire) pouvait intenter des actions en vertu des dispositions d’abus de position dominante de la Loi)5.
  • Codification de l’interdiction relative à l’indication de prix partiel 
    • Il y a indication de prix partiel lorsqu’un prix initial est affiché auquel des frais obligatoires sont ajoutés par le vendeur avant la fin de la transaction. Cette façon de procéder est maintenant explicitement définie et interdite en vertu des dispositions civiles et criminelles portant sur les indications trompeuses. 
  • Augmentation des amendes en cas de contravention des dispositions civiles sur les indications trompeuses 
    • Les amendes correspondent maintenant au plus élevé des montants suivants : i) 10 millions de dollars (15 millions de dollars pour les violations subséquentes) ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur ou, si ce montant ne peut être déterminé, 3 % des recettes globales brutes annuelles.
  • Augmentation des amendes en cas d’accords de cartels illégaux
    • Avec prise d’effet le 23 juin 2023, les amendes relatives à des accords criminels entre concurrents, telles que la fixation des prix, ne sont plus plafonnées et sont « fixées par le tribunal ». Auparavant, l’amende maximale était de 25 millions de dollars.
  • Ajout de règles anti-évitement relatives aux avis de fusionnement
    • Ces règles anti-évitement visent maintenant à limiter la capacité des parties à structurer des opérations de façon à éviter d’avoir à présenter un avis de fusionnement (par exemple en structurant un fusionnement sous la forme d’une série de plus petites opérations indépendantes non assujetties à l’obligation de présenter un avis par opposition à une seule opération devant faire l’objet d’un avis).

Modifications de 2023

La deuxième série de modifications apportée à la Loi a été proposée en septembre 2023 dans le cadre du projet de loi C-56, qui a reçu la sanction royale le 15 décembre 20236.

Elle comprenait ce qui suit :

  • Autorisation accordée au commissaire de recueillir des renseignements obligatoires pour les études de marché
    • Tant le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie que le commissaire de la concurrence peuvent maintenant mener une enquête pour examiner l’état de concurrence dans un marché ou une industrie s’ils estiment qu’il est dans l’intérêt public de le faire.
    • Le Bureau de la concurrence (Bureau) peut maintenant obtenir, sur demande ex parte, en vertu de l’article 11 de la Loi, une ordonnance du tribunal afin d’obliger une personne morale ou physique à produire des renseignements, y compris des dossiers et des déclarations écrites énonçant les renseignements exigés, et à se présenter à des interrogatoires sous serment pour les besoins d’une étude de marché7.
    • Depuis que ces pouvoirs lui ont été conférés, le Bureau a lancé une étude de marché pour examiner l’état de concurrence dans le secteur aérien canadien et on s’attend à ce qu’il cherche à obtenir des renseignements de la part des acteurs du marché8
  • Abrogation de la défense fondée sur les gains en efficience dans les cas de fusionnements et d’accords susceptibles d’examen au civil
    • L’article 96 de la Loi, aussi connu comme la défense fondée sur les gains en efficience, a été abrogé. Cette défense offrait une exception dans le cas d’un fusionnement qui avait eu pour effet ou aurait vraisemblablement eu pour effet d’empêcher ou de diminuer la concurrence s’il avait entraîné ou aurait pu vraisemblablement entraîner des gains en efficience surpassant et neutralisant tout effet anti-concurrentielz9
    • La disposition sur les accords civils de l’article 90.1 de la Loi contenait auparavant une exception relative aux gains en efficience. Cette disposition sera abrogée avec prise d’effet le 15 décembre 2024.
  • Élargissement de la portée des dispositions sur les accords susceptibles d’examen civil pour y inclure les accords entre non-concurrents qui diminuent ou empêchent la concurrence 
    • Le Tribunal pourra rendre une ordonnance interdisant aux parties d’accomplir des actes ou les enjoignant à en accomplir, s’il estime que l’un des objets importants de l’accord ou de l’arrangement, ou d’une partie de celui-ci, est d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché, même si aucune des parties à l’accord ou à l’arrangement n’est un concurrent10.
    • Il s’agit d’un changement important puisque l’article 90.1 était auparavant limité aux accords ou aux arrangements mettant en cause des concurrents (ou des concurrents potentiels). Cette modification n’entrera pas en vigueur avant le 15 décembre 2024
  • Élargissement du cadre d’application de la Loi en ce qui a trait à l’abus de position dominante pour:
    • Réduire les exigences de preuve liées à l’obtention d’une ordonnance d’interdiction 
      • Aux termes du cadre précédent, tant l’intention anti-concurrentielle que les effets anti-concurrentiels devaient être établis pour obtenir une ordonnance d’interdiction. Le Tribunal peut maintenant rendre une ordonnance interdisant aux entreprises dominantes ou aux groupes d’entreprises dominantes de se livrer à une pratique lorsque soit i) un agissement anti-concurrentiel est destiné à avoir un effet négatif visant l’exclusion, l’éviction ou la mise au pas d’un concurrent, ou à nuire à la concurrence ou ii) le comportement ne résultant pas d’un « rendement concurrentiel supérieur » a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché.
        • Le Bureau a déjà lancé une nouvelle enquête sur les abus de position dominante qui permettra de tester les nouvelles dispositions en la matière11.
      • S’il ne constate qu’une intention anti-concurrentielle ou un effet anti-concurrentiel, le Tribunal peut rendre une ordonnance interdisant le comportement, mais ce n’est qu’en présence des deux volets que le Tribunal peut ordonner le paiement d’une sanction administrative pécuniaire ou la mise en œuvre d’autres mesures de redressement. 
    • Instaurer un nouveau type d’agissement anti-concurrentiel: prix de vente excessifs et injustes 
      • L’imposition directe ou indirecte de prix de vente excessifs et injustes figure maintenant dans la Loi comme exemple d’agissements anti-concurrentiels pour déterminer s’il y a eu abus de position dominante. La Loi ne définit pas les termes « excessif » et « injuste » et nul ne sait comment ces termes seront interprétés par le Tribunal et devant les tribunaux.
    • Augmenter davantage les sanctions
      • Un an et demi après que la première série de modifications a donné lieu à des augmentations des sanctions administratives pécuniaires pour abus de position dominante, ces dernières sont maintenant plus élevées. 
      • Les sanctions pour contravention ne peuvent maintenant dépasser le plus élevé des montants suivants: i) 25 millions de dollars (35 millions de dollars dans le cas d’une ordonnance subséquente) ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré de la pratique anti-concurrentielle ou, si ce montant ne peut être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la personne morale en cause.

Modifications de 2024

La troisième série de modifications a été proposée en novembre 2023 dans le cadre du projet de loi C-59 et a reçu la sanction royale le 20 juin 2024. 

Cette dernière série de modifications comprend ce qui suit:

  • Modification apportée à la disposition civile sur la collaboration pour:
    • Englober les accords passés 
      • En vertu de l’article 90.1 de la Loi, le Tribunal peut maintenant déterminer si un accord ou un arrangement, conclu ou proposé, a empêché ou diminué sensiblement la concurrence dans un marché (c.-à-d. dans le passé), en plus de déterminer s’il empêche ou diminue actuellement la concurrence, ou aura vraisemblablement cet effet. 
    • Introduire de nouvelles sanctions
      • Le Tribunal peut maintenant imposer une sanction administrative pécuniaire qui ne peut dépasser le plus élevé des montants suivants : i) 10 millions de dollars (15 millions de dollars pour toute ordonnance subséquente) ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré de l’accord ou, si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles. Avant ces modifications, le Tribunal ne pouvait ordonner qu’un redressement fondé sur le comportement.
      • Le Tribunal pourra également rendre des ordonnances de dessaisissement d’actifs ou d’actions dans la mesure raisonnable et nécessaire pour enrayer les effets anti-concurrentiels de l’accord.
    • Introduire les réclamations en dommages-intérêts par des parties privées
      • Les parties privées peuvent présenter au Tribunal des demandes visant à contester des accords et des arrangements qui contreviennent à l’article 90.1 (auparavant, seul le commissaire pouvait intenter des mesures d’application de la loi en vertu de l’article 90.1).
        • Les droits privés sont assujettis à un délai de un an à compter de l’entrée en vigueur des modifications, ce qui signifie que nul ne peut se prévaloir d’un droit privé d’action pour des accords civils présumés anti-concurrentiels avant le 20 juin 2025.
      • Les parties privées pourront réclamer des dommages-intérêts jusqu’à concurrence du « bénéfice » tiré du comportement, cette somme « devant être répartie, de la manière [que le Tribunal] estime indiquée, entre le demandeur et toute autre personne touchée par le comportement ». La manière dont ce montant sera calculé (produits bruts, profit, etc.) n’est pas claire. 
      • Le Tribunal pourra également imposer toute condition nécessaire à l’exécution d’une ordonnance, y compris les modalités relatives à la remise d’avis aux réclamants éventuels, les modalités de forme et de temps quant à la présentation de toute réclamation, les critères d’admissibilité des réclamants et la répartition des dommages non réclamés.
        • Permettre au Tribunal d’imposer ce genre de conditions au paiement de dommages-intérêts peut inciter des entreprises ou des particuliers à présenter des demandes visant à obtenir le paiement de dommages-intérêts à un groupe ou à une catégorie de personnes ayant subi un préjudice en raison du comportement allégué. 
  • Élargissement du critère permettant aux parties privées de demander la permission de présenter au Tribunal une demande liée à un comportement susceptible d’examen civil
    • Des parties privées peuvent demander la permission de contester un comportement susceptible d’examen civil même s’il ne touche qu’une partie de leur entreprise. 
      • À l’heure actuelle, la permission ne peut être accordée que si l’auteur de la demande est « directement et sensiblement gêné » dans son entreprise en raison d’un comportement contesté. Le Tribunal a généralement interprété l’expression « directement et sensiblement gêné » comme signifiant une incidence sur l’ensemble de l’entreprise, mais le nouveau libellé élargirait ce critère en donnant la permission aux entreprises de contester un comportement même s’il ne gêne qu’une partie de leur entreprise.
    • La demande peut également être octroyée si le Tribunal estime que cela servirait l’intérêt public. Ce qui constitue « l’intérêt public » dans ce contexte n’est pas défini et la notion ne sera probablement pas éclaircie tant qu’il n’y aura pas de jurisprudence sur ce point.
    • Les modifications au critère de permission de présenter une demande sont assujetties à un délai de un an à compter de l’entrée en vigueur des modifications, ce qui signifie qu’il n’entrera en vigueur que le 20 juin 2025
  • Droits privés à des dommages-intérêts pour pratiques commerciales susceptibles d’examen civil 
    • Dans le cas de réclamations par des parties privées présentées en raison de pratiques commerciales susceptibles d’examen civil, celles-ci pourront réclamer des dommages-intérêts jusqu’à concurrence du montant du bénéfice tiré du comportement visé par l’ordonnance, qui seront répartis entre le réclamant et toute autre personne touchée, à la discrétion du Tribunal. À l’instar d’autres modifications permettant aux parties privées de demander des dommages-intérêts, le Tribunal est également habilité à assortir de toutes conditions connexes nécessaires son ordonnance de dommages-intérêts privés pour des pratiques commerciales susceptibles d’examen civil.
      • L’accès aux dommages-intérêts est assujetti à un délai de un an à compter de l’entrée en vigueur des modifications, ce qui signifie que les parties privées ne pourront présenter de réclamation en dommages-intérêts relativement à ces dispositions avant le 20 juin 2025.
    • La création d’un critère d’« intérêt public » pour obtenir la permission et l’octroi de dommages-intérêts aux personnes lésées par le comportement (qui ne sont pas parties à la demande) sera susceptible d’inciter les ONG et d’autres organisations d’intérêt public, comme les groupes de défense de droits des consommateurs, à introduire des demandes au nom d’un groupe de personnes ou d’entreprises touchées. De telles demandes peuvent donner lieu à des décisions assimilables à des actions collectives et à des ordonnances en matière de comportement susceptible d’examen civil, malgré le fait qu’il n’existe aucun processus officiel pour intenter des actions collectives devant le Tribunal.
  • Plusieurs modifications ont été apportées aux dispositions civiles sur la publicité trompeuse12
    • Visant des allégations de carboneutralité et autres allégations environnementales générales en vertu des dispositions civiles
      • Cette nouvelle disposition d’« inversion du fardeau de la preuve » rend susceptible d’examen le comportement de quiconque donne au public, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’usage d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques:

      ou bien des indications sur les avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques si les indications ne se fondent pas sur des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale, dont la preuve incombe à la personne qui donne les indications.

      • La norme relative à la « méthodologie reconnue à l’échelle internationale » n’est pas définie et n’est pas claire, ce qui crée un risque important pour de nombreuses sociétés qui font des déclarations environnementales générales concernant leurs activités commerciales.
    • Ajoutant une disposition civile sur l’écoblanchiment propre à certains produits
      • Toute déclaration faite au public sous la forme d’une déclaration ou d’une garantie visant les avantages environnementaux d’un produit lorsque ces déclarations ne sont pas fondées sur des épreuves suffisantes et appropriées est maintenant expressément susceptible d’examen en vertu de la Loi.
    • Permettant la présentation de demandes effectuées par des parties privées au civil pour publicité trompeuse
      • Les parties privées peuvent demander au Tribunal la permission de présenter une demande pour des allégations de commercialisation trompeuse ou de publicité trompeuse, y compris des allégations trompeuses relatives à des avantages environnementaux. La permission peut être accordée lorsqu’il est « dans l’intérêt public » de le faire.
        • Les droits privés sont assujettis à un délai de un an après l’entrée en vigueur des modifications, ce qui signifie qu’aucun droit privé d’action ne peut naître avant le 20 juin 2025.
      • Les sanctions applicables aux demandes effectuées par des parties privées comprendront des ordonnances temporaires, des injonctions provisoires, des ordonnances d’interdiction, des ordonnances de restitution et le paiement d’une sanction administrative pécuniaire (au gouvernement) – qui pourrait représenter jusqu’à 3 % des recettes globales brutes des sociétés en raison des changements qui se chevauchent et dont il est question précédemment.
      • Les demandes effectuées par des parties privées peuvent également être réglées par des consentements qui peuvent être conclus et déposés auprès du Tribunal.
      • Le nouveau droit d’application privé sera susceptible d’être utilisé par les ONG et d’autres groupes de défense de droits comme véhicule de litige stratégique, surtout dans le cadre des nouvelles dispositions contre l’écoblanchiment.
  • Élargissement du régime d’examen des fusionnements
    • Introduction de nouveaux facteurs dans l’évaluation des fusionnements
      • Pour évaluer si un fusionnement diminuera ou empêchera sensiblement la concurrence, le Tribunal est maintenant autorisé à tenir compte i) de tout effet de la variation du changement de concentration ou de part de marché qu’un fusionnement a ou est susceptible d’entraîner, et ii) de la probabilité que le fusionnement entraîne une coordination excessive ou tacite entre concurrents dans un marché.
        • Auparavant, la Loi précisait que le Tribunal ne devait pas conclure qu’un fusionnement, réalisé ou proposé, empêchait ou diminuait sensiblement la concurrence uniquement sur la foi d’éléments de preuve de concentration ou de part de marché.
      • Le Tribunal doit aussi examiner si un fusionnement réalisé ou proposé est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur le marché du travail.
    • Imposition de présomptions structurelles et de l’inversion du fardeau de la preuve aux parties au fusionnement
      • S’il y a une augmentation importante de la concentration ou de la part de marché, le Tribunal doit conclure que le fusionnement proposé a pour effet de diminuer sensiblement ou d’empêcher la concurrence « sauf preuve contraire, selon la prépondérance des probabilités » par les parties au fusionnement. Ainsi, les parties à un fusionnement ont maintenant le fardeau de prouver qu’il est peu probable qu’un fusionnement qui dépasse certains seuils de part de marché ou de concentration diminue sensiblement ou empêche la concurrence.
      • Une augmentation importante de la concentration ou de la part de marché s’avère si les deux conditions suivantes sont réunies : i) une augmentation de l’indice de concentration de plus de 100 et ii) l’indice de concentration est vraisemblablement supérieur à 1 800, ou les parts de marché combinées des parties issues du fusionnement sont vraisemblablement supérieures à 30 %. Ces valeurs peuvent être modifiées par règlement.
        • Ce dernier seuil de 30 % de parts de marché combinées remet en question le seuil relatif aux règles d’exonération précédent de 35 % fixé dans les lignes directrices relatives à l’application de la législation sur les fusionnements publiées par le Bureau.
    • Exigence que les mesures de redressement rétablissent la concurrence
      • Les mesures de redressement en matière de fusionnement doivent rétablir la concurrence au niveau qui aurait existé sans le fusionnement. Il n’est donc plus nécessaire que la concurrence soit rétablie au point où il ne soit plus possible de dire qu’elle est sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant le fusionnement.
      • Le Tribunal peut également interdire à une personne de prendre toute mesure qu’il estime nécessaire pour que le fusionnement n’empêche pas ni ne diminue la concurrence. Le Tribunal aura donc le pouvoir de se pencher sur les effets anti-concurrentiels d’un fusionnement, qu’ils soient importants ou non.
    • Suspension des opérations lorsque des mesures provisoires sont demandées
      • Les parties ne peuvent procéder à la clôture d’une opération tant que toute demande d’injonction présentée par le Bureau n’a pas été entendue et tranchée par le Tribunal. Cette modification a pour but d’empêcher les parties de procéder à la clôture malgré l’opposition du Bureau pendant qu’une injonction est en instance devant le Tribunal.
    • Octroi d’un délai plus long pour la contestation des fusionnements ne faisant pas l’objet d’un avis au commissaire
      • Le commissaire dispose d’un délai de trois ans après la clôture pour contester les fusionnements qui ne font pas l’objet d’un avis conformément aux dispositions de la Loi relatives aux préavis relatifs aux fusionnements (préavis prévus à la partie IX) ou à une demande de certificat de décision préalable (CDP). Auparavant, la Loi permettait au commissaire de contester ces fusionnements dans l’année suivant la clôture. Le délai de un an continuera de s’appliquer aux opérations qui ont fait l’objet d’un avis au commissaire.
    • Harmonisation de la période de validité des avis et des renonciations
      • Les parties à un fusionnement qui demandent un CDP et qui sont dispensées de déposer les avis prévus à la partie IX devront redonner un nouvel avis de leur opération si elle n’est pas réalisée dans un délai de un an. Auparavant, il n’y avait aucune limite de temps quant à la validité de ces renonciations. La modification a pour but d’harmoniser la période de validité des opérations pour lesquelles une renonciation aux avis prévus à la partie IX a été reçue avec les opérations pour lesquelles des avis prévus à la partie IX ont été déposés.
    • Élargissement des seuils liés aux avis
      • Le revenu brut d’une cible provenant des « ventes au Canada » est maintenant pris en compte dans le calcul du seuil financier de l’opération.
        • Auparavant, seules les ventes au Canada et en provenance du Canada étaient pertinentes. Le changement signifie donc qu’un plus grand nombre d’opérations dépasseront les seuils pertinents, bien que la cible doive toujours être présente au Canada ou contrôler directement ou indirectement une entité qui est présente au Canada.
      • Les éléments d’actif et le revenu brut devront être additionnés pour les opérations dans le cadre desquelles les éléments d’actif et les actions d’une entreprise cible sont acquis, ce qui élimine la possibilité que certaines opérations soient structurées de manière à éviter les exigences en matière d’avis.
  • Certificat pour les accords et les arrangements en matière de protection de l’environnement
    • Les parties peuvent désormais demander un certificat pour les arrangements et les accords proposés en matière de protection de l’environnement. Lorsque les parties convainquent le commissaire qu’un projet d’accord ou d’arrangement n’aura vraisemblablement pas pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence et qu’il est conclu dans le but de protéger l’environnement, le commissaire dépose un certificat pour son enregistrement auprès du Tribunal.
    • L’accord ou l’arrangement visé par un certificat enregistré n’est plus susceptible d’examen en vertu des dispositions d’ordre criminel relatives au complot et au truquage des offres (articles 45, 46, 47 et 49) de la Loi et des dispositions sur la collaboration civile (article 90.1). Toutefois, de tels accords pourraient toujours être contestés en vertu des autres dispositions civiles de la Loi (à savoir, l’abus de position dominante).
  • Élargissement de la disposition sur le refus de vendre pour y inclure le refus de diagnostiquer ou de réparer
    • La disposition sur le refus de vendre (article 75) comprend maintenant le refus de fournir les « moyens de diagnostic ou de réparation », qui s’entendent « des renseignements relatifs au diagnostic, à l’entretien, à la réparation et à l’ajustage, des mises à jour techniques, des logiciels ou outils de diagnostic et de toute documentation connexe et des pièces de rechange ».
    • De plus, il suffit que la personne soit sensiblement gênée « dans tout ou partie » de son entreprise pour conclure à un refus de vendre.
  • Interdiction des représailles
    • Les représailles sont définies comme étant des mesures prises pour « pénaliser, punir, discipliner, harceler ou désavantager une autre personne » en raison des communications de celle-ci avec le commissaire ou parce que celle-ci a coopéré ou exprimé son intention de coopérer avec le commissaire.
    • Les tribunaux peuvent rendre des ordonnances d’interdiction contre les parties qui exercent des représailles et leur imposer des sanctions administratives pécuniaires, dont le montant est laissé à la discrétion du tribunal, mais qui n’excèdent pas 750 000 $ pour les personnes physiques et 10 millions de dollars pour les sociétés.
  • Pénalités en cas de non-respect d’un consentement
    • À la demande du commissaire, les tribunaux peuvent maintenant imposer des sanctions aux personnes qui, sans motif valable et suffisant, ont omis de se conformer à un consentement en vertu de la Loi. La preuve d’un « motif valable et suffisant » de non-conformité incombe à la personne assujettie au consentement.
    • Les sanctions dans les cas de non-conformité pourraient comprendre des ordonnances d’interdiction, des ordonnances prescriptives et des sanctions administratives, dont le montant est fixé par le tribunal, mais qui n’excédera pas 10 000 $ par journée de non-conformité.
  • Limitation des circonstances dans lesquelles des dépens peuvent être adjugés contre le commissaire
    • Le Tribunal ne peut ordonner au commissaire de payer des frais de justice, sauf si une telle ordonnance est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice ou si l’absence d’ordonnance aurait un effet négatif important sur la capacité de l’autre partie d’exploiter son entreprise. 

À retenir

Ces modifications transformatrices obligeront les entreprises à réévaluer leur conformité à la Loi et les risques aux termes de celle-ci. Les entreprises qui détiennent une position solide sur le marché devraient porter une attention particulière à l’incidence qu’elles auront sur leurs activités, notamment le risque accru de litiges qui pourrait découler de l’élargissement des droits privés d’action en dommages-intérêts pour des questions susceptibles d’examen au civil. Les entreprises qui font des déclarations liées à la carboneutralité et d’autres déclarations environnementales pour leur part devront les examiner attentivement à la lumière des nouvelles dispositions contre l’écoblanchiment et de la possibilité qu’une partie privée demande l’application de la Loi.

On s’attend à ce que le Bureau donne d’autres lignes directrices sur son approche quant à l’application des nouvelles dispositions de la Loi comme il l’avait fait pour les accords de fixation des salaires et de non-débauchage . Toutefois, le calendrier et la clarté de telles lignes directrices sont incertains et leur pertinence dans le nouveau domaine de l’application de la loi par des parties privées reste à voir.

Ce qui est clair, c’est qu’un nouveau monde de conformité en matière de droit de la concurrence s’ouvre à nous.

 

 

 

 

Notes

1  

Au début de 2022, le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique a annoncé son intention de revoir la Loi afin d’évaluer et d’améliorer son application. À la suite de cette annonce, le gouvernement du Canada a également lancé et mené à terme une consultation sur l’avenir de la politique canadienne en matière de concurrence et a publié son rapport en septembre 2023. Voir : Consultation sur l’avenir de la politique de la concurrence au Canada — Rapport sur ce que nous avons entendu.

4  

Pour une analyse plus détaillée de l’interdiction des accords de fixation des salaires et de non-débauchage, ainsi que les lignes directrices publiées par le Bureau de la concurrence, voir notre actualité juridique antérieure.

5  

À ce jour, deux parties privées ont demandé la permission de présenter une demande pour abus de position dominante. Dans un cas, la demande de permission a été abandonnée - voir : Apotex - CT-2023-007 - Tribunal de la concurrence (ct-tc.gc.ca). Dans l’autre, le registraire n’a pas accepté le dépôt de la demande, car le demandeur n’avait pas suivi les règles applicables – voir : Winston Gaskin - CT-2024-002 - Tribunal de la concurrence (ct-tc.gc.ca).

7  

Toute information requise aux fins d’une étude de marché sera assujettie aux dispositions de confidentialité de la Loi (article 29).

9  

L’article 96 de la Loi continue de s’appliquer aux opérations projetées qui ont fait l’objet d’un avis en vertu de la Loi avant l’entrée en vigueur des modifications en décembre 2023 ainsi qu’à l’égard des fusionnements essentiellement réalisés.

10  

Les accords doivent encore empêcher ou diminuer ou avoir pour effet de vraisemblablement empêcher ou diminuer sensiblement la concurrence dans un marché pour donner ouverture à des poursuites.



Personnes-ressources

Associée
Associé
Associé principal
Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence

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