Contexte général
Le 5 octobre 2017, le ministre des Finances du Québec, M. Carlos Leitão (Ministre), a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi n° 141 (Projet de loi) qui aura des effets significatifs sur l’ensemble des institutions et intermédiaires évoluant dans le secteur financier au Québec. Depuis de nombreuses années, nos institutions sont régies par un cadre législatif dont plusieurs éléments sont désuets.
Certaines de nos lois n’ont pas été révisées de façon importante depuis plus de 30 ans, comme la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne. D’autres, comme la Loi sur la distribution de produits et services financiers, datent de moins de 20 ans, mais l’évolution des modes de distribution et des moyens technologiques, notamment Internet, rendent nécessaire qu’elles soient modernisées afin de tenir compte des développements considérables dans ce domaine. D’autres encore, telle la Loi sur les coopératives de services financiers qui régit dorénavantle Mouvement Desjardins, ou la Loi sur les assurances, doivent également être mises à jour afin que les institutions financières qu’elles régissent aient tous les leviers nécessaires pour évoluer dans un environnement très concurrentiel ainsi qu’une gouvernance conforme aux meilleures pratiques. Enfin, d’autres lois importantes du secteur financier, telles que la Loi sur les valeurs mobilières et la Loi sur les instruments dérivés, bien qu’elles soient régulièrement mises à jour, se voient également modifiées pour parfaire leur encadrement.
Plusieurs lois, plus particulièrement celles régissant les institutions financières québécoises (les coopératives de services financiers, les sociétés de fiducie, les sociétés d’épargne et les sociétés d’assurances) ont subi une cure de jeunesse au chapitre des règles de fonctionnement des organisations qu’elles régissent. Le Projet de loi comporte aussi un très grand nombre de modifications à d’autres dispositions connexes au secteur financier, telles que le Code civil du Québec et la Loi sur le courtage immobilier. En tout, plus de 60 lois se voient amendées ou remplacées par ce Projet de loi de quelque 500 pages.
Survol des modifications législatives proposées
Nous décrivons ci-dessous certains faits saillants du Projet de loi.
Loi sur les assureurs
Le Projet de loi crée la Loi sur les assureurs, en remplacement de la Loi sur les assurances. Cette nouvelle loi propose un encadrement plus moderne des activités des assureurs autorisés au Québec. Elle inclut des règles relatives aux saines pratiques de gestion qui doivent être adoptées par un assureur dans le but de prévoir le maintien d’actifs permettant l’exécution de ses engagements et de capitaux visant à assurer sa pérennité. Elle prévoit notamment qu’un assureur doit se doter d’une politique de placements formelle, approuvée par son conseil d’administration. Les règles de gouvernance applicables aux assureurs sont confirmées et renforcées, notamment par l’obligation d’avoir en place un comité d’audit et un comité d’éthique composés d’une majorité d’administrateurs indépendants. Le comité d’audit est chargé de l’examen des états financiers avant leur remise au conseil d’administration. Le comité d’éthique, quant à lui, est chargé de l’adoption et de l’application de règles de déontologie portant notamment sur la conduite des administrateurs et dirigeants de l’assureur ainsi que sur l’encadrement des relations avec les personnes intéressées.
Le rôle de surveillance et de contrôle des activités de l’assureur est dévolu à l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui est également chargée d’émettre des lignes directrices afin de guider l’assureur dans l’interprétation de la loi. L’autorisation de l’AMF est nécessaire à l’exercice de l’activité d’assureur au Québec et seuls les assureurs disposant de capitaux d’au moins 5 000 000 $ peuvent l’obtenir. Un assureur doit par ailleurs préparer annuellement un état exposant la situation de ses affaires à l’AMF. L’AMF peut décider de réexaminer et éventuellement révoquer ou suspendre son autorisation d’exercice.
Loi sur les coopératives de services financiers
Le Projet de loi modifie la Loi sur les coopératives de services financiers afin notamment d’y ajouter un chapitre concernant le Mouvement Desjardins, en remplacement de la Loi sur le Mouvement Desjardins. Le président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, M. Guy Cormier, s’est d’ailleurs dit satisfait du Projet de loi, qui permettra, selon lui, « de faire de l’encadrement législatif québécois l’un des plus modernes au monde »1.
L’objectif visé par les changements est de s’adapter aux nouvelles règles mises en place à l’international à la suite de la crise financière de 2008, en renforçant par exemple les pouvoirs d’intervention du fonds de sécurité visant la protection des créanciers. Le Projet de loi précise également les conditions de contrôle d’une coopérative de services financiers et prévoit des règles relatives aux parts de capital et aux parts de placement de celle-ci.
Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne
La Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne sera remplacée par une nouvelle loi portant le même nom. Cette nouvelle loi prévoirait un cadre moderne à l’égard des sociétés de fiducie et des sociétés d’épargne équivalant à l’encadrement proposé par la Loi sur les assureurs discuté précédemment.
Loi sur la distribution de produits et services financiers
De toutes les lois modifiées par le Projet de loi, La Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) est sans doute celle qui suscite le plus d’attention médiatique. En effet, avec très peu de modifications, le Projet de loi introduit des changements majeurs à cette loi qui sont susceptibles d’avoir une incidence significative sur l’industrie de l’assurance.
En premier lieu, le Projet de loi donne suite à une mesure déjà annoncée par le Ministre lors de son budget de mars 2016, c’est-à-dire l’abolition de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommages. Ces deux organismes d’autoréglementation non gouvernementaux responsables de la discipline et de l’encadrement des représentants en assurance relevaient de la LDPSF, mais étaient jusqu’ici autonomes.
Certains reprochaient à l’ancienne structure d’encadrement de créer de la confusion pour le consommateur en raison d’un certain chevauchement entre les responsabilités de ces deux chambres et celles de l’AMF. Les partisans du guichet unique ont eu gain de cause car les deux organismes seront désormais remplacés par l’AMF de qui relèveront leurs fonctions. Le personnel des deux chambres sera absorbé par cette dernière afin de conserver leur expertise.
Parmi les modifications apportées à la LDPSF, certaines ont pour but de donner effet au rattachement des courtiers hypothécaires à l’AMF, tel qu’il est discuté ci-dessous, en regard de la Loi sur le courtage immobilier. D’autres modifient les règles relatives à la propriété de cabinet de courtage en assurance.
Le Projet de loi ne modifie pas en soi la limite de la proportion d’actions comportant un droit de vote qu’un assureur ou une autre institution financière peut détenir dans un courtier, actuellement de 20 %, mais les changements proposés à plusieurs définitions pertinentes sont susceptibles d’avoir certains impacts sur les activités des institutions financières dans cette industrie. À titre d’exemple, les interdictions ont été ajustées pour tenir compte du fait que certains modes de distribution ne requièrent plus l’intervention d’un courtier et qu’ils s’étendront à l’avenir aux cabinets de courtage d’assurance de dommages même s’ils offrent des produits sans l’intermédiaire d’une personne physique. Notons également que, lors de son budget de mars 2017, le Ministre a annoncé qu’il considérerait séparément la question de l’utilité de maintenir la limite du 20 %. Il demeure donc encore possible que cette limite fasse l’objet de modifications ultérieures.
Le Projet de loi introduit aussi plusieurs assouplissements destinés à faciliter la distribution de certains produits par Internet. Il ne s’agit pas de grands énoncés mais plutôt de plusieurs ajustements apportés à divers endroits. Par exemple, on reconnaît qu’un cabinet peut offrir des produits et services dans une discipline sans l’intermédiaire d’une personne physique dès lors qu’il a à son emploi un représentant qui peut pratiquer dans cette discipline. Les modalités des renseignements et documents à fournir dans ce cas seront précisées ultérieurement par règlement. Par contre, les modifications apportées au régime de la distribution sans représentant exigeront que le distributeur agisse par l’intermédiaire d’une personne physique. Certains choix ont donc été faits entre les possibilités offertes par la technologie et l’encadrement et la surveillance des activités en question.
Signalons enfin certaines autres modifications liées à Internet comme une nouvelle disposition faisant qu’une personne morale qui, sans agir comme cabinet, touche une commission ou une autre rétribution en fonction de la vente de produits financiers ou de la fourniture de services financiers doit être inscrite auprès de l’AMF. À compter de son inscription, elle est, pour l’application de la LDPSF, considérée agir comme cabinet dans la discipline dans laquelle ses produits et services sont offerts.
Loi sur le courtage immobilier
Cette loi, aux termes de laquelle l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) régit à la fois les courtiers immobiliers et les courtiers hypothécaires, sera amputée des responsabilités relatives aux courtiers hypothécaires dont l’encadrement sera confié à l’AMF et qui seront désormais régis par la LDPSF. Ce remaniement opérationnel est accompagné d’un réajustement de la gouvernance de l’OACIQ, où le Ministre nommera plusieurs administrateurs et prescrira les contrats et formulaires relatifs à des opérations de courtage.
Par ailleurs, les transactions immobilières ayant beaucoup évolué à l’heure des progrès technologiques, l’OACIQ avait saisi les tribunaux de plusieurs recours ces dernières années par lesquels elle tentait de faire reconnaitre comme du courtage assujetti à la loi certaines activités au soutien des acheteurs, locataires, vendeurs ou locateurs. Les modifications proposées à la loi comportent à cet égard une définition révisée de ce que constitue un contrat de courtage immobilier, mais elle requiert, pour qu’une personne soit assujettie à la loi, qu’une partie à un contrat l’ait « chargée d’être son intermédiaire pour agir auprès des personnes intéressées » (acheteurs, vendeurs, locateurs ou locataires). C’est à ce test mis à jour que se mesureront désormais les divers services offerts aux individus souhaitant transiger sans intermédiaire.
Loi sur l’assurance-dépôts
Le Projet de loi apporte de nombreuses modifications à la Loi sur l’assurance-dépôts, dorénavant intitulée la Loi sur les institutions de dépôts et la protection des dépôts. Il prévoit notamment l’adoption, par toute institution de dépôts autorisée, de saines pratiques commerciales, de mesures de gestion prudentes, de pratiques de gouvernance appropriées ainsi que d’une politique de placement et de règles de déontologie. Le conseil d’administration d’une institution de dépôts doit être composé d’au moins sept membres et comprendre un comité d’audit ainsi qu’un comité d’éthique.
Loi sur l’Autorité des marchés financiers
La Loi sur l’Autorité des marchés financiers qui devient la Loi sur l’encadrement du secteur financier comprendra des dispositions portant sur les dénonciateurs qui pourront communiquer à l’AMF tout renseignement pouvant démontrer qu’un manquement à une loi dont l’administration est confiée à l’AMF a été commis, est sur le point de l’être ou qu’on a demandé à une personne de commettre un tel manquement. La loi relève dorénavant les professionnels (à l’exception des notaires et avocats) de leur obligation au secret professionnel et leur permettra de dénoncer les agissements de leurs clients en dépit de leurs obligations professionnelles.
Comme autres modifications notables, mentionnons la création d’un Comité consultatif des consommateurs de produits et utilisateurs de services financiers qui aurait pour mission de faire valoir auprès de l’AMF l’opinion des consommateurs. De plus, la loi prévoira des changements concernant l’institution, la compétence, la procédure, les membres et la conduite des affaires du Tribunal administratif des marchés financiers. À noter que les pouvoirs du Tribunal administratif des marchés financiers seront élargis et adaptés en conséquence de l’abolition de la Chambre de la sécurité financière et la Chambre de l’assurance de dommages.
Code civil du Québec - assurance funéraire
Depuis plus de 40 ans, le contrat d’assurance par lequel une personne, moyennant une prime, s’engage à acquitter des frais funéraires directement à un établissement funéraire au décès d’une personne est interdit au Québec. Les raisons historiques qui avaient mené à cette interdiction sont depuis longtemps révolues, mais alors que des assureurs offrent des produits de ce genre partout ailleurs au Canada et dans la plupart des pays industrialisés, il n’était pas possible de le faire au Québec où seuls les produits de dépôt en fiducie autorisés par la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture sont disponibles pour le consommateur soucieux de pourvoir au paiement de frais funéraires.
Avec les changements proposés, il sera loisible à un assureur de garantir à un salon funéraire le versement, à la suite du décès de l’assuré, d’une prestation pour acquitter le prix de biens ou de services prévus à un contrat d’arrangements préalables de services funéraires ou à un contrat d’achat préalable de sépulture qui lui est associé. Cette innovation apportera plus de flexibilité tant aux consommateurs qu’aux entreprises funéraires dans la planification de ces arrangements.
Loi sur l’assurance automobile
Le Projet de loi vise à élargir certaines modalités entourant la communication par l’AMF de divers renseignements concernant l’expérience de conduite automobile d’un assuré à tout assureur agréé qui lui en fait la demande, et ce, uniquement à des fins de classification et de tarifications du risque, en vue de l’obtention ou du renouvellement d’une police d’assurance automobile. En vertu de la nouvelle Loi sur l’assurance automobile, l’AMF pourra également sanctionner par une amende tout assureur agréé qui fait défaut de lui remettre copie d’un exemplaire de son manuel de tarifs ou de lui fournir toute justification sur un ou plusieurs éléments du manuel de tarifs à la suite d’une demande de l’AMF.
Loi sur les entreprises de services monétaires
Certaines modifications sont proposées à la Loi sur les entreprises de services monétaires qui permettront à l’AMF d’obtenir de la Sûreté du Québec plus régulièrement et, au plus tard, tous les trois ans, de nouveaux rapports d’habilitation sécuritaire sur les titulaires de permis d’exploitation de toute entreprise de services monétaires afin de déterminer s’il y a lieu de suspendre ou révoquer ces permis.
Loi sur les instruments dérivés et Loi sur les valeurs mobilières
Modifications communes à ces deux lois
Les modifications proposées à la Loi sur les instruments dérivés (LID) et à la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) prévoient des indications plus détaillées relativement au traitement des plaintes des clients des courtiers et conseillers. De plus, dans les deux cas, il est prévu qu’une ordonnance de blocage, à moins qu’il y soit pourvu autrement, aura effet durant une période de 12 mois au lieu de 120 jours, sauf si elle est révoquée ou modifiée par le Tribunal administratif des marchés financiers. Les modifications proposées à la LID et à la LVM prévoient aussi que le Tribunal administratif des marchés financiers devra, dans certaines circonstances, approuver les modalités d’administration et de distribution, par l’AMF, de sommes qui lui ont été remises à l’occasion de l’exécution d’une ordonnance du Tribunal en raison d’un manquement à la loi qui a fait subir une perte à d’autres personnes.
Modifications à la LID
Parmi les modifications proposées propres à la LID, il est prévu d’ajouter les plateformes de négociation de dérivés parmi les entités réglementées qui doivent être reconnues pour exercer leurs activités au Québec. Une autre modification à noter est l’étendue proposée du pouvoir d’inspection de l’AMF auprès d’une personne pour vérifier si elle se conforme aux dispositions qui lui sont applicables en matière de dérivés de gré à gré en vertu de la LID.
Modifications à la LVM
Plusieurs modifications sont proposées à la LVM. Soulignons, par exemple, le fait de prévoir des restrictions au partage de commissions reçues par un courtier en épargne collective ou par un courtier en plans de bourses d’études de manière similaire aux restrictions prévues pour un cabinet en vertu de la LDPSF. Il est à noter que les placements effectués par les émetteurs québécois à l’extérieur du Québec en contravention à l’article 12 de la LVM seront assujettis à des amendes plus élevées et quiconque procédera à un placement en contravention de l’article 12 de la LVM pourra être passible d’emprisonnement. Finalement, il est proposé que la demande d’autorisation d’une action en dommages-intérêts en cas de responsabilité civile dans le marché secondaire, déposée en vertu de la LVM, suspende la prescription de cette action.
Conclusion
Au moment d’écrire ces lignes, le Ministre a annoncé que le Projet de loi ferait l’objet de consultations particulières, mais le détail et les dates de ces consultations ne sont pas encore connus. N’hésitez pas à communiquer avec un membre de notre équipe pour discuter de la portée de ce Projet de loi et de ses impacts potentiels sur votre organisation.
Note
1 Communiqué de presse du 5 octobre 2017 intitulé « Le Mouvement Desjardins salue le dépôt du projet de loi sur le secteur financier québécois, en ligne : https://blogues.desjardins.com/communiques-de-presse/2017/10/projet-de-loi.php