La première décision fédérale en lien avec les politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19 a été rendue. À l’instar d’autres tribunaux du Québec et de l’Ontario, la Cour fédérale du Canada a conclu que la perte d’un emploi attribuable au refus de se faire vacciner ne constituait pas en soi un préjudice irréparable. De même, la Cour a déterminé que, même si ces politiques pouvaient toucher les droits prévus à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), la preuve devait établir de manière satisfaisante que de telles atteintes violaient les principes de justice fondamentale. Sinon, la question ne peut pas être qualifiée de « sérieuse ».


La politique de vaccination a été adoptée pour le bien du public; elle a un lien rationnel avec la santé et à la sécurité

Dans l’affaire Lavergne-Poitras c Procureur général du Canada (ministre des Services publics et de l’Approvisionnement) et PMG Technologies Inc.1, le demandeur voulait obtenir une injonction interlocutoire suspendant l’application de la politique du gouvernement du Canada appelée Exigence relative à la vaccination des fournisseurs contre la COVID-19 (politique), et ce, jusqu’à ce que la question de sa constitutionnalité soit entendue sur le fond. Le demandeur était un employé non vacciné et vraisemblablement non syndiqué de PMG Technologies Inc., fournisseur du gouvernement du Canada. Il travaillait dans une installation gérée et exploitée par PMG, mais appartenant au gouvernement du Canada, où travaillaient également des fonctionnaires fédéraux. Il n’avait pas de contre-indication médicale et n’a pas non plus fait valoir de motifs religieux l’empêchant d’être vacciné.

Qu’est-ce que stipulaient la politique et les règles?

La politique, incluse à l’annexe A de la décision, comportait, en tant que question d’ordre contractuel, des modalités applicables aux fournisseurs du gouvernement du Canada, notamment :

  • l’exigence selon laquelle les employés des fournisseurs tiers du gouvernement fédéral doivent être pleinement vaccinés2 contre la COVID-19 pour avoir accès aux lieux de travail du gouvernement fédéral où des fonctionnaires fédéraux sont présents;
  • l’exigence selon laquelle les fournisseurs doivent attester3 que leurs employés ayant accès aux lieux de travail du gouvernement fédéral où ils pourraient être en contact avec des fonctionnaires sont pleinement vaccinés;
  • si elles sont approuvées, la mise en œuvre de mesures d’accommodement ou d’atténuation applicables aux employés du fournisseur qui ne peuvent pas se faire vacciner en raison de motifs médicaux ou religieux ou d’autres motifs de distinction illicite.

Pour le demandeur, le fait de ne pas être vacciné au plus tard le 15 novembre signifiait qu’il serait licencié indéfiniment ou que son emploi auprès de PMG prendrait fin.

Pourquoi a-t-on demandé à la Cour de suspendre l’application de la politique?

Le demandeur alléguait que l’application de la politique était inconstitutionnelle et constituait une question sérieuse parce qu’elle violait son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne en vertu de l’article 7 de la Charte, puisque la vaccination forcée constitue une violation de l’intégrité physique et de l’autonomie d’une personne. Il a également fait valoir que l’application de la politique lui causerait un préjudice irréparable pour plusieurs raisons, y compris celles-ci : i) il serait obligé de réorienter sa carrière, puisque PMG était le seul employeur dans son domaine au Canada; et ii) la perte de son emploi nuirait à sa santé mentale et exacerberait son anxiété. Il a affirmé que son anxiété était également déclenchée par les effets secondaires potentiels des vaccins sur les personnes qui, comme lui, avaient des antécédents familiaux de maladie ou de complications cardiaques.

Quels ont été les principaux facteurs pris en considération dans cette décision?

La Cour a rejeté les arguments du demandeur en concluant d’abord que, même si la mise en œuvre de la politique touchait effectivement ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte, il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour soulever une question sérieuse. En d’autres mots, bien que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne soit important, le demandeur n’est pas parvenu à expliquer en quoi l’application de la politique le privait de ce droit. De plus, les politiques mises en place par le gouvernement sont, au stade interlocutoire, présumées l’avoir été pour le bien du public et, dans l’affaire en cause, le demandeur n’est pas arrivé à renverser cette présomption. 

En ce qui concerne la possibilité de perdre son emploi, la Cour a indiqué que, malgré le fait qu’il s’agissait d’une « conséquence importante », la perte d’un emploi ne constituait pas un préjudice irréparable selon ce qui avait été établi par la jurisprudence en matière d’injonction parce qu’elle pouvait être compensée financièrement par des dommages-intérêts. De plus, la Cour a jugé que l’argument connexe du demandeur sur sa supposée réorientation de carrière était sans fondement, puisqu’il n’était pas appuyé par la preuve. En ce qui a trait au préjudice allégué à sa santé mentale, la Cour a aussi jugé que la preuve, qui se limitait à un paragraphe dans la requête du demandeur, n’établissait tout simplement pas que ses problèmes d’anxiété allaient se détériorer à un degré pouvant justifier l’octroi d’une injonction. La Cour a écrit : « Il faut plus que des affirmations générales, des suppositions ou des spéculations » [traduction]. 

En fait, la preuve a plutôt établi que le fait d’être pleinement vacciné réduisait la probabilité de transmission et qu’il y avait un lien rationnel entre la politique et la protection de la santé des fonctionnaires en milieu de travail. La Cour a aussi indiqué que la politique n’avait pas une portée trop large ni excessive, puisqu’elle « ne prétendait pas éliminer tout risque de contagion en provenance de toutes les sources possibles ni ne cherchait à le faire » [traduction]. Elle visait plutôt à réduire le risque de transmission de la COVID-19 chez les employés du gouvernement fédéral sur leur lieu de travail. La Cour a aussi ajouté le commentaire suivant :

Le fait d’accorder l’injonction demandée causerait un préjudice important à l’intérêt public, et ce, à la fois sous la forme de risques accrus pour la santé des employés fédéraux que sous la forme d’une dévalorisation de la politique réfléchie mise en œuvre par le gouvernement fédéral en tant qu’employeur. Ces préjudices dépassent sensiblement les préjudices allégués par le demandeur dans sa requête [traduction].

Pour ces motifs, la Cour a rejeté la requête sans accorder de dépens, les dépens n’ayant d’ailleurs pas été demandés.

Conclusions

Nous observons actuellement une tendance au sein des tribunaux canadiens, qui est de favoriser la mise en œuvre de politiques de vaccination obligatoire par les employeurs et les chefs d’entreprise. En effet, il est intéressant de constater que, dans d’autres affaires portant sur les exigences de vaccination contre la COVID-19, les cours supérieures du Québec et de l’Ontario en sont récemment venues à des conclusions semblables à celles de l’affaire Lavergne-Poitras4. De cette jurisprudence, nous constatons que les tribunaux provinciaux et fédéraux ont montré une certaine réticence à contrecarrer, au moyen d’une injonction, la mise en œuvre de politiques de vaccination dans les lieux de travail et les entreprises. Les politiques de vaccination – et leur application – sont plutôt considérées comme ayant été adoptées pour le bien du public et ayant un lien rationnel avec l’objectif de protéger la santé et la sécurité, comme c’était le cas dans l’affaire Lavergne-Poitras.

En ce qui a trait aux arguments possibles faisant valoir l’article 7 de la Charte, la Cour a relevé que de telles contestations devaient être fondées sur des éléments de preuve, pas seulement sur des affirmations. Bien que, dans l’affaire Lavergne-Poitras, la Cour ne se soit pas penchée sur la constitutionnalité ou le caractère raisonnable de la politique en elle-même, elle a conclu qu’un certain niveau de preuve devait être démontré lorsque l’article 7 est invoqué pour attaquer une politique de vaccination, même au stade interlocutoire. Pour avoir gain de cause en invoquant l’article 7, le fait de déclarer être préoccupé par la sécurité des vaccins contre la COVID-19, d’avoir peur de ceux-ci ou d’avoir des problèmes d’anxiété en lien avec ces vaccins n’est tout simplement pas suffisant.

À l’avenir, il reste à espérer que d’autres décisions seront prises en faveur de la mise en œuvre de politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19 en milieu de travail. Toutefois, comme d’autres cas de contestation dans ce domaine sont à prévoir, les employeurs et les entreprises sous réglementation fédérale de partout au pays devraient en être conscients et s’y préparer. Par conséquent, il sera crucial de s’assurer que les politiques, et leur application, sont bien réfléchies et raisonnables dans les circonstances. La santé et la sécurité de nos lieux de travail en dépendent. 


Notes

1   2021 CF 1232 (Lavergne-Poitras) (en anglais seulement).

2   Selon la politique, une personne est considérée « pleinement vaccinée » si elle a reçu toutes les doses requises d’un vaccin approuvé contre la COVID-19 ou une combinaison de vaccins approuvés, c’est-à-dire deux doses combinant les vaccins Spikevax de Moderna, Comirnaty de Pfizer-BioNTech ou Vaxzevria d’AstraZeneca (y compris celui produit par CoviShield); une dose du vaccin Janssen (Johnson & Johnson).

3  

Selon la politique, les fournisseurs devaient présenter un formulaire d’attestation avant le 29 octobre 2021 attestant que leurs employés nécessitant un accès aux lieux de travail du gouvernement fédéral seraient entièrement vaccinés en date du 15 novembre 2021. Les fournisseurs qui ne soumettaient pas cette attestation couraient le risque de faire l’objet de mesures pouvant aller jusqu’à la résiliation de leur contrat.

4  

Veuillez noter que nous avons connaissance d’une autre décision de la Cour fédérale, Wojdan c Canada, 2021 CF 1244, mais il convient de souligner que la requête visant à obtenir une injonction provisoire a été refusée pour des questions de procédure et de compétence.



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