Le 8 juillet, la Cour supérieure du Québec (Cour) a publié les motifs sous-tendant sa décision d’accorder une ordonnance de dévolution inversée (ODI) dans le cadre des procédures de restructuration de Métaux BlackRock Inc. et de certaines entités liées (collectivement, BlackRock) en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).
Contexte
BlackRock est le promoteur d’un projet minier au Québec axé sur la production de produits de vanadium, de fonte brute de haute pureté et de titane (projet Volt). Les principaux créanciers garantis de BlackRock étaient Investissement Québec (IQ) et OMF Fund II H Ltd. (Orion), qui avaient octroyé une facilité de crédit-relais à la société en 2019 aux fins, entre autres, de lui permettre de poursuivre ses activités d’exploitation alors qu’elle s’efforçait d’obtenir le financement de plus de 1 G$ requis pour procéder à la construction du projet Volt. Au moment où BlackRock s’est placée sous la protection de la LACC, IQ et Orion, qui étaient également actionnaires de la société, détenaient des réclamations garanties de premier rang totalisant environ 100 M$.
Le 23 décembre 2021, BlackRock a obtenu une ordonnance initiale en vertu de la LACC et Restructuration Deloitte inc. a été désignée contrôleur. À l’audition de retour tenue le 7 janvier 2022, la Cour a approuvé un processus de vente et de sollicitation d’investissements (PVSI) et des procédures applicables (Procédures d’appel d’offres) fondés sur une offre sans comptant de type « Stalking Horse » présentée par IQ et Orion (offre IQ/Orion). À la demande de certains actionnaires de BlackRock (actionnaires), la Cour a prolongé les échéances du PVSI de 30 jours.
Aux termes des procédures d’appel d’offres, les soumissionnaires éventuels devaient soumettre une lettre d’intention admissible au plus tard le 9 mars 2022. La seule lettre d’intention reçue au cours de la première phase du PVSI provenait d’une entité nouvellement constituée soutenue par certains des actionnaires (soumissionnaire actionnaire). Afin de passer à la phase suivante du PVSI, le soumissionnaire actionnaire devait présenter une offre admissible contraignante au plus tard le 11 mai 2022. Après s’être vu refuser certaines demandes de report de la date butoir applicable, le soumissionnaire actionnaire a demandé à la Cour une prolongation supplémentaire de 30 jours (demande de prolongation).
Parallèlement, BlackRock a demandé une ordonnance approuvant l’opération prévue aux termes de l’offre IQ/Orion (opération proposée). L’opération proposée devait être mise en œuvre au moyen d’une structure d’ODI et était contestée par le soumissionnaire actionnaire ainsi que par les actionnaires, qui alléguaient que la Cour n’était pas compétente à émettre une ODI et que, dans tous les cas, les critères applicables n’étaient pas satisfaits. Après une audition de deux jours, la Cour a rendu une ordonnance rejetant la demande de prolongation et approuvant l’opération proposée selon les modalités demandées par BlackRock, le tout avec motifs à suivre.
La décision
Dans son évaluation de la demande de prolongation, la Cour a souligné l’importance de maintenir l’intégrité des procédures d’appel d’offres et a tenu compte particulièrement du fait qu’aucune autre offre n’avait été reçue et que le soumissionnaire actionnaire n’avait pas été en mesure d’obtenir le financement nécessaire pour présenter une offre admissible et avait refusé de financer les coûts de la prolongation proposée. La Cour a également établi qu’il était avantageux pour les parties prenantes dans l’ensemble que BlackRock mène à bien sa restructuration dès que possible de manière à favoriser l’atteinte des objectifs réparateurs de la LACC si la prolongation était refusée1.
En ce qui a trait à l’approbation de l’opération proposée, la Cour a examiné les dispositions législatives et la jurisprudence canadienne récente concernant les ODI2 et a conclu qu’elle avait le pouvoir de rendre une telle ordonnance, soulignant toutefois que « [traduction] les structures d’ODI devraient demeurer exceptionnelles et ne pas se généraliser »3. En se fondant sur les critères et principes directeurs applicables, la Cour a approuvé l’opération proposée pour les motifs suivants :
- le marché avait été exploré adéquatement au moyen d’un PVSI exhaustif, équitable et transparent, qui faisait également suite à une recherche mondiale de financement avant les procédures en vertu de la LACC;
- le contrôleur avait approuvé le PVSI, assumait la responsabilité principale du processus et considérait l’opération comme étant avantageuse pour les parties prenantes comparativement à une faillite;
- IQ et Orion, créanciers garantis de BlackRock, avaient été consultés et appuyaient l’opération, ainsi que certains groupes des Premières Nations, alors que rien n’indiquait que d’autres créanciers s’y opposaient;
- l’offre IQ/Orion était la meilleure option disponible pour BlackRock et devrait lui permettre de s’affranchir en tant qu’entreprise réhabilitée et d’aller de l’avant avec le projet Volt, au profit des parties prenantes;
- la contrepartie offerte aux termes de l’offre IQ/Orion, qui était supérieure à 100 M$, était raisonnable étant donné les résultats du PVSI et les efforts déployés précédemment pour recueillir du financement à l’égard du projet Volt;
- la structure d’ODI était appropriée puisqu’elle minimiserait les risques, les coûts et les délais associés au transfert des ententes, des actifs incorporels et des approbations réglementaires de BlackRock, permettrait que certaines obligations préalables au dépôt soient prises en charge par les acquéreurs et ne placerait pas d’autres parties prenantes touchées dans une situation pire que celle qui résulterait d’une structure d’ordonnance de dévolution traditionnelle4.
La Cour a également rejeté la prétention des actionnaires selon laquelle BlackRock valait plus que le montant de sa dette garantie, indiquant que le PVSI avait démontré qu’il n’y avait aucune valeur réalisable pour les créanciers non garantis, encore moins pour les actionnaires. De l’avis de la Cour, les actionnaires n’avaient « [traduction] guère leur mot à dire » dans le cadre des procédures en vertu de la LACC, compte tenu du fait que leurs actions n’avaient aucune valeur et qu’il n’existait aucun fondement juridique pour leur permettre de contester l’opération proposée5.
En ce qui a trait aux quittances en faveur de tiers faisant partie de l’opération proposée, qui avantageaient IQ et Orion, entre autres, la Cour a confirmé qu’il était dorénavant chose courante que de telles quittances soient approuvées dans le cadre d’une opération, bien qu’elles ne doivent pas être accordées « [traduction] aveuglément ou systématiquement ». En tenant compte des critères applicables, soit ceux qui avaient été élaborés aux termes d’un plan d’arrangement en vertu de la LACC, les quittances étaient justifiées étant donné, particulièrement, la participation importante d’IQ et d’Orion à la restructuration ainsi que l’absence de tout bien-fondé apparent des réclamations alléguées des actionnaires6.
À retenir
La décision offre des indications utiles aux tribunaux québécois qui seront chargés d’examiner des opérations réalisées aux termes d’une ODI dans l’avenir et confirme que cette structure demeure disponible comme moyen de réduire les coûts, les risques et les incertitudes au moment du transfert d’une entreprise insolvable. Elle réitère également qu’il devrait être interdit aux actionnaires de contester des ODI lorsqu’ils n’ont aucun intérêt économique valable dans l’opération et que diverses parties, dont les acquéreurs, pourraient profiter de quittances en faveur de tiers aux termes d’une ODI.
Le 13 juin 2022, les actionnaires ont demandé l’autorisation de porter l’ordonnance en appel devant la Cour d’appel du Québec.
Norton Rose Fulbright Canada a représenté IQ dans le cadre de cette affaire.