Il y a 10 ans aujourd’hui, la Cour suprême du Canada (CSC) a fait la une juridique en rendant sa décision dans l’affaire Bhasin c Hrynew, qui a eu l’effet de créer une nouvelle obligation en common law d’exécution honnête du contrat. La CSC a décrit cette nouvelle obligation comme « deux mesures progressives » constituant la nouvelle voie à suivre en droit canadien – l’une qui sous-tend la notion d’exécution honnête et l’autre, la notion de bonne foi.
Voici des exemples de ce que disaient les commentateurs du milieu juridique à l’époque –
Cette décision pourrait ouvrir la porte à de futurs litiges sur l’obligation d’agir de bonne foi dans l’exécution des contrats.
Les entreprises doivent être conscientes qu’en plus de leur conduite, leurs intentions seront également scrutées à la loupe lorsque les relations contractuelles s’envenimeront.
Les parties devront être beaucoup plus prudentes dans leurs communications avec les autres parties à un contrat.
Depuis l’arrêt Bhasin, la CSC a eu l’occasion, à deux reprises, de parler de cette nouvelle obligation en common law, et de la préciser dans CM Callow Inc c Zollinger en 2020 et Wastech Services Ltd c Greater Vancouver Sewerage and Drainage District en 2021.
Les commentateurs avaient-ils raison? Cette décision a-t-elle eu des répercussions sur les opérations commerciales et les relations contractuelles dans la dernière décennie?
Voyons voir.
Première mesure (exécution honnête) – Il ne faut pas mentir
L’affaire CM Callow portait sur un groupe d’associations condominiales appelé Baycrest qui avait retenu les services de CM Callow pour des services d’entretien estival et hivernal. Baycrest a décidé de résilier le contrat de CM Callow au début de 2013, mais a choisi de ne pas l’en informer avant septembre 2013, et a plutôt amené CM Callow à croire que le contrat serait renouvelé tout en sachant que CM Callow effectuait, à titre gratuit, des travaux dépassant ce qui était prévu dans le contrat pour accroître ses chances de voir son contrat renouvelé. CM Callow a intenté une poursuite alléguant que Baycrest n’avait pas agi honnêtement dans l’exécution du contrat.
Baycrest est allée trop loin et la CSC a statué que la malhonnêteté de Baycrest équivalait à un manquement à son obligation. Il importait peu que Baycrest ait une « clause de résiliation accordant un droit unilatéral et apparemment absolu » – les parties ne peuvent se mentir ou se tromper intentionnellement au sujet de l’exécution d’un contrat. Même si Baycrest n’avait pas l’obligation d’informer CM Callow de sa décision au début de 2013, elle avait toutefois l’obligation, une fois cette décision prise, de ne pas laisser entendre le contraire.
Les principaux points à retenir? Ne mentez pas à propos de vos décisions contractuelles et, oui, faire croire à quelqu’un quelque chose qui n’est pas vrai équivaut probablement à lui mentir.
Deuxième mesure (bonne foi) – À grand pouvoir, grandes responsabilités
Dans l’affaire Wastech, le Greater Vancouver Sewerage and Drainage District a retenu les services de Wastech pour enlever et transporter des déchets, mais le district avait le pouvoir discrétionnaire absolu de décider où les déchets devaient être envoyés. Pendant la durée du contrat, le district a changé les lieux d’élimination de façon à augmenter les coûts de Wastech et à réduire ses profits. Wastech a intenté une poursuite alléguant que la décision du district de modifier les lieux d’élimination n’avait pas adéquatement pris en compte les intérêts de Wastech, ce qui constituait de la mauvaise foi.
La CSC a confirmé que tout pouvoir discrétionnaire contractuel doit être exercé de bonne foi, mais elle n’a pas conclu que le district avait manqué à cette obligation. Le pouvoir discrétionnaire absolu prévu dans ce contrat visait à permettre au district de maximiser l’efficience et de minimiser les coûts. C’est précisément ce que le district a fait lorsqu’il a modifié les lieux d'élimination. Le fait que Wastech ait perdu de l’argent par suite de la décision du district n’a aucune importance, faute de preuve attestant que la décision ne relevait pas de l’objet pour lequel le pouvoir discrétionnaire a été accordé.
Quoi retenir de cette affaire? Même le pouvoir discrétionnaire absolu n’est pas « absolu » – il doit être exercé conformément à la raison pour laquelle il a été accordé au départ.
Comment ces mesures sont-elles appliquées aujourd’hui?
Bhasin a été citée plus de 1 300 fois sur CanLII, tandis que CM Callow prend la deuxième place avec plus de 200 citations et que Wastech arrive non loin derrière.
L’obligation d’exécution honnête des contrats est là pour de bon, alors voyons où nous en sommes en 2024.
La Cour d'appel de l’Alberta a examiné l’obligation dans l’affaire Pacific Atlantic Pipeline Construction Ltd v Coastal Gaslink Pipeline Ltd. Dans cette affaire, une des parties a quitté une réunion et a agi comme si une entente avait été conclue, même si aucune autre personne ne pensait que c’était le cas. Le juge en chambre a conclu qu’il s’agissait au mieux d’un « [traduction] « malentendu découlant de vœux pieux » qui n’équivalait pas à mentir ou à induire en erreur comme il est exigé aux termes de l’affaire CM Callow.
Cette affaire confirme qu’il faut un certain degré de mauvaise intention ou de tromperie pour manquer à l’obligation – une mauvaise communication ne suffit pas.
En Colombie-Britannique, la Cour d'appel s’est penchée sur un enjeu lié à l’emploi dans l’affaire British Columbia v Taylor. Employée du secteur public, Mme Taylor a contribué à une enquête sur une utilisation potentiellement abusive de données confidentielles au ministère de la Santé en 2012. Le ministère a fini par congédier plusieurs employés d’une manière qui a beaucoup retenu l’attention du public et Mme Taylor en a subi les conséquences. L’ombudsman de la Colombie-Britannique a publié un rapport en avril 2017 critiquant les congédiements de 2012 et mettant en cause Mme Taylor. Elle a elle-même été congédiée deux mois plus tard et a répliqué au moyen d’une poursuite alléguant (notamment) un « manquement à l’obligation de bonne foi ».
La cour a confirmé que la décision de congédier un employé relève souvent du pouvoir discrétionnaire de l’employeur et qu’il devrait par conséquent être exercé de bonne foi, comme il est décrit dans l’affaire Wastech et dans les affaires qui ont suivi. Autre élément tout aussi important, la décision nous rappelle de donner un sens large à la notion de « malhonnêteté » – mentir délibérément est un exemple évident, mais l’action d’omettre et agir de façon trompeuse en en font aussi partie.
Les commentateurs avaient raison!
D’une certaine façon, c’est évident. Toute décision judiciaire qui est citée plus de 1 300 fois peut être considérée comme ayant changé la donne.
Même si ces décisions n’ont peut-être pas donné lieu à un nombre incroyable de litiges, il est maintenant courant de voir l’obligation d'exécution honnête du contrat invoquée dans des litiges entre deux parties qui ne se font pas confiance. Elle s’est frayé un chemin dans les relations de travail, les contrats d’entreprises, l’immobilier, les services publics et ailleurs. Le contexte est tel que toute partie à un contrat devrait réfléchir sérieusement avant de se fier à un pouvoir contractuel pour accomplir un acte malhonnête. Dire « J’avais un pouvoir discrétionnaire absolu » n’est peut-être plus un moyen de défense.
Y aura-t-il un retour en faveur du pouvoir discrétionnaire, ou les tribunaux continueront-ils d’étendre l’applicabilité de l’obligation d’exécution honnête à d’autres types de scénarios? La prochaine décennie nous le dira.
L’auteur tient à remercier Jonah Secreti, stagiaire, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.