Introduction
Des institutions financières, des investisseurs et d’autres parties prenantes de tous les secteurs d’activité songent à adopter des cibles en rapport avec la carboneutralité, si ce n’est déjà fait. La carboneutralité désigne la situation où les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère sont compensées par le captage de ces gaz au cours d’une période donnée. Pour atteindre la carboneutralité, aucuns GES ne doivent être émis dans le cadre de nos activités économiques ou, ce qui est plus réaliste dans la plupart des cas, ceux-ci doivent être compensés. Les clients qui envisagent de telles cibles de finance durable doivent tenir compte de plusieurs éléments du point de vue des risques, notamment ceux liés à la gouvernance interne et à l’imputabilité, à la communication de l’information, aux lois en matière de protection des consommateurs et aux risques en matière de lobbying.
Atteindre la carboneutralité d’ici 2050 est l’un des quatre objectifs établis dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de 2021 (COP 26). Des annonces par pays ont également été faites, le Canada étant d’ailleurs devenu le premier parmi les principaux pays producteurs de pétrole à s’engager à plafonner et à réduire la pollution provenant du secteur pétrolier et gazier en vue d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Cette initiative suit la tendance adoptée par plus de 70 pays, dont la Chine, les États-Unis et l’Union européenne, qui ont fixé leurs propres cibles de carboneutralité. De même, l’initiative en finances du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP FI), la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) et la Net-Zero Insurance Alliance (NZIA) sont toutes des exemples d’initiatives visant à mobiliser les institutions financières des secteurs public et privé afin qu’elles atteignent la carboneutralité. Ces initiatives exigent habituellement que les signataires mettent en œuvre des lignes directrices et s’engagent à fixer et à divulguer des cibles à long terme et immédiates respectant les objectifs de température de l’Accord de Paris et l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050, au plus tard.
Risques et atténuation
S’engager à atteindre la carboneutralité, par l’entremise d’une organisation ou en divulguant aux parties prenantes un engagement à l’atteindre de façon indépendante, entraîne beaucoup de questions en matière de gouvernance interne, d’obligations d’information, d’incidences possibles des lois en matière de protection des consommateurs et, dans certains cas, de risques de lobbying. Les risques peuvent varier en fonction du type d’organisation, de ses secteurs d’intérêts ainsi que de la réglementation et des règles applicables à sa conduite. Les organisations qui songent à prendre ces engagements devraient évaluer les risques connexes et élaborer des stratégies réfléchies d’atténuation de ces risques à long terme. En revanche, ne pas fixer de cibles de carboneutralité pourrait poser un risque à la réputation d’une organisation (surtout compte tenu du contexte actuel et de la montée de l’activisme des actionnaires à ce sujet).
Gouvernance et communication de l’information
Globalement, l’engagement envers la carboneutralité exige du conseil d’administration d’une entité signataire un engagement important et une surveillance considérable. Ainsi, les entités qui envisagent de devenir signataires devraient s’assurer que leur conseil d’administration est pleinement mobilisé sur cette question, qu’il est imputable et qu’il dispose des ressources et des comités nécessaires pour surveiller et mettre en œuvre les aspects opérationnels de l’engagement envers la carboneutralité.
Au Canada, les lignes directrices émises par le Bureau du surintendant des institutions financières exigent actuellement que les institutions financières de compétence fédérale établissent leurs risques importants et soient dotées d’un cadre relatif à l’appétit pour le risque. Toutes les entités qui réfléchissent à la possibilité de signer des engagements envers la carboneutralité devraient prendre en considération les conséquences de ces engagements sur ce cadre, ainsi que les effets éventuels d’un échec si elles ne réussissent pas à les respecter (comme les risques qu’elles fassent l’objet de recours en exécution pour non-conformité ou de certaines restrictions en matière d’investissement).
Les engagements envers la carboneutralité pourraient également comporter d’importantes obligations d’information pour les signataires. Par conséquent, les entités devraient passer en revue leurs initiatives en matière de développement durable, leurs cibles, leurs paramètres et l’information communiquée relativement aux risques environnementaux qui existent actuellement et s’assurer que la gouvernance et les bons mécanismes sont en place pour assurer le respect des engagements pris. Les entités devraient également prendre en compte l’impact de la mise en œuvre des engagements sur l’information divulguée existante et passée, en particulier pour ce qui concerne l’information sur le climat communiquée aux organismes de réglementation en valeurs mobilières, et d’autres initiatives en cours.
Responsabilité
Les obligations d’information et de divulgation accrues concernant les engagements envers la carboneutralité pourraient également se répercuter sur le risque en matière de responsabilité des administrateurs et des dirigeants et devraient être examinées en fonction des assurances connexes. De même, de l’information et des rapports imprécis ou incomplets pourraient exposer les entités à une responsabilité en cas d’allégations de présentation de documents faux ou trompeurs ou de non-respect des échéances prévues aux termes des engagements. Les obligations d’information pourraient également donner lieu à des sanctions pénales et civiles en vertu des lois sur la protection des consommateurs provinciales et/ou fédérales, ainsi qu’à des actions collectives en matière de protection des consommateurs intentées par des parties privées et alléguant des déclarations fausses, trompeuses ou mensongères. Les entités qui envisagent de s’engager envers la carboneutralité doivent demeurer vigilantes pour ce qui concerne la présentation de leurs projections et s’assurer que l’information divulguée est précise, opportune et claire et qu’elle n’est pas susceptible d’être considérée comme mensongère, fausse ou trompeuse.
Autres éléments à prendre en considération
Les engagements envers la carboneutralité peuvent également soulever des questions de protection des renseignements personnels pour les organisations. Les signataires devraient s’assurer que toute divulgation d’information est conforme à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) et que les renseignements sur les clients, comme les données confidentielles sur les émissions, sont adéquatement protégés.
Par ailleurs, ne pas adopter de cibles visant l’atteinte de la carboneutralité ou ne pas les respecter une fois qu’elles sont adoptées pose un risque de réputation pour une organisation. Il peut s’agir notamment de critiques du public ou d’activisme des actionnaires motivé par la perception qu’aucune mesure n’est prise pour lutter contre les changements climatiques.
La prochaine étape à suivre pour les organisations qui souhaitent s’engager sciemment envers la carboneutralité consiste soumettre leur objectif dans le cadre de la Science Based Targets Initiative (SBTi). La SBTi dit définir et faire la promotion de pratiques exemplaires pour l’établissement de cibles fondées sur la science. Sa crédibilité est largement acceptée en matière d’engagement envers la carboneutralité puisque l’organisme se concentre sur des critères de réduction des émissions fondées sur la science et valide les objectifs qui lui sont soumis.
Points importants à retenir
Alors que la pression s’accentue pour que les entreprises adoptent des mesures significatives pour lutter contre les changements climatiques, celles qui songent à adopter des cibles en matière de carboneutralité devraient évaluer les risques relatifs à ces cibles et examiner les stratégies qui peuvent être déployées pour atténuer ceux-ci.
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Les auteurs souhaitent remercier Humna Shaikh, étudiant en droit, pour son aide dans le cadre de la rédaction de cet article.