La Cour d’appel réitère : l’obligation de loyauté n’empêche pas l’employé démissionnaire de concurrencer son ancien employeur… même lorsque cet employé a violé son obligation de loyauté

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Mondial Publication Février 2016

Introduction

Dans sa décision phare en matière d’obligation de loyauté, à savoir l’affaire Concentrés scientifiques Bélisle inc. c Lyrco Nutrition inc.1, rendue en 2007, la Cour d’appel résumait les normes applicables quant à l’étendue de l’obligation de loyauté post-emploi, rappelant au passage qu’en principe, l’obligation de loyauté n’empêche pas l’employé qui n’est pas lié par une clause de non-concurrence de travailler chez un concurrent ou encore de créer sa propre entreprise concurrente au lendemain de sa démission.

Malgré ce qui précède, il était possible de croire qu’en certaines circonstances exceptionnelles, notamment en cas de violation du devoir de loyauté alors que l’employé était toujours à l’emploi de son ancien employeur, il serait permis aux tribunaux d’interdire à l’employé visé de concurrencer son ancien employeur pour une période de temps donnée, et ce, même en l’absence de clause de non-concurrence. C’est d’ailleurs ce que la Cour supérieure avait fait jusque-là à quelques reprises2.

Or, dans une décision rendue le 11 décembre 20153, la Cour d’appel conclut que la juge de première instance a eu tort d’interdire à un employé démissionnaire de concurrencer son ancien employeur, et ce, même si la preuve démontrait qu’il avait violé son obligation de loyauté juste avant de remettre sa démission.

Ce faisant, la Cour réitère, à notre avis, que ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’il sera possible pour nos tribunaux de restreindre le droit de travailler d’une personne en l’absence de clause de non concurrence.

Les faits et les décisions de la Cour supérieure

Le 17 août 2015, sans préavis et après quasi 10 ans de service, M. Loffredi annonce à son employeur, Milgram et Compagnie ltée (Milgram), sa démission immédiate de son poste de directeur, développement des affaires.

Selon la preuve, le 27 juillet 2015, soit environ trois semaines avant d’aviser Milgram de sa démission immédiate, il avait accepté un emploi dans un poste similaire auprès de l’une des entreprises concurrentes de Milgram.

Le 24 août 2015, il amorçait ce nouvel emploi.

Le 31 août 2015, les représentants de Milgram découvrent une série de courriels entre M. Loffredi et une de leurs clientes de longue date dans lesquels M. Loffredi offre, alors qu’il est toujours à l’emploi de Milgram, les services de son futur employeur. Ultimement, ce client de Milgram conclut un contrat avec le nouvel employeur de M. Loffredi afin d’obtenir les services offerts dans les courriels visés.

Fait important, bien qu’il fût lié par des clauses de non-sollicitation de clientèle et de confidentialité envers Milgram, M. Loffredi n’était lié par aucune clause de non-concurrence.

Dans une ordonnance provisoire datée du 16 septembre 2015, la Cour supérieure a notamment ordonné à M. Loffredi de respecter ses engagements de non-sollicitation et de confidentialité et de remettre à Milgram tout document ou information lui appartenant.

Dans une ordonnance de sauvegarde rendue le 13 octobre 2015, la Cour supérieure a ordonné à M. Loffredi, outre de se conformer à son obligation de loyauté et à ses obligations contractuelles de non-sollicitation et de confidentialité, de cesser de travailler pour l’entreprise concurrente, et ce, jusqu’au 16 décembre 2015, exigeant par ailleurs que cette dernière le suspende pour cette même période, avec solde.

La décision de la Cour d’appel

Dans une décision unanime rendue séance tenante, la Cour d’appel a cassé ce dernier jugement.

Selon la Cour, bien que M. Loffredi ait effectivement violé son obligation de loyauté, il s’agissait-là d’une situation unique et isolée, s’étant produite deux mois avant que la Cour supérieure n’émette l’interdiction de travailler pour l’entreprise concurrente et alors que M. Loffredi, par l’entremise de sa procureure, avait confirmé qu’il respectait l’ordonnance provisoire émise initialement. La preuve démontrait au surplus que le client sollicité par M. Loffredi alors qu’il était à l’emploi de Milgram était également un client du nouvel employeur depuis 2012.

Selon la Cour, l’interdiction de travailler émise par la Cour supérieure n’était, dans ces circonstances, pas nécessaire afin de protéger les intérêts légitimes de Milgram, lesquels devaient être soupesés en tenant compte de la liberté de travailler de M. Loffredi. Ainsi, la Cour conclut :

La juge ne pouvait pas indûment brimer le droit au travail de l’appelant alors que cela n’était pas nécessaire, d’une part, et que ce dernier n’avait pas signé un engagement de non-concurrence, d’autre part. Comme l’écrivait Marie-France Bich, le second aliéna de l’article 2088 C.c.Q. ne doit pas être interprété comme l’équivalent d’une clause de non-concurrence4.

Conclusion

À notre avis, le contexte factuel propre à cette affaire justifie la décision rendue par la Cour d’appel.

Selon nous, en présence de circonstances particulières, notamment de violations répétées de l’obligation de loyauté, il sera permis à la Cour supérieure de restreindre la liberté de travailler d’une personne, même en l’absence de clause de non-concurrence. Autrement dit, il faudra alors démontrer que la balance des inconvénients favorise la protection des intérêts de l’ancien employeur.

Dans tous les cas, cette décision rappelle l’importance pour les employeurs d’exiger que leurs employés clés signent une clause de non-concurrence, l’obligation de loyauté n’accordant pas, en principe, les protections accordées par une telle clause.

Notes

  1. 2007 QCCA 676, para 42.
  2. Voyages Robillard inc. c Consultour/Club voyages inc., [1993] DTE 94T-95 (CA) (Interdiction de faire affaire en l’absence de clause de non-concurrence); Lessard c Givesco inc., division Les Produits de ciment Windsor, [2005] DTE 2005T-243 (CA).
  3. Traffic Tech International inc. c Milgram et Compagnie ltée, 2015 QCCA 2164. Voir la décision de première instance : Milgram & Company Ltd c Loffredi, 2015 QCCS 4757.
  4. 2015 QCCA 2164, para 10.


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