Malgré les obstacles découlant des nombreuses interruptions du Parlement au cours des dernières années, le Canada continue de relancer son projet de loi sur les entreprises et les droits de la personne pour respecter son engagement à lutter contre l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement1.

Le plus récent projet de loi a été présenté au Sénat le 24 novembre 2021. Le nouveau projet de loi S 211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes (projet de loi), a fait l’objet d’une deuxième lecture et a été présenté au Comité sénatorial permanent des droits de la personne2. Comme ses prédécesseurs, le projet de loi a pour premier objectif de servir d’outil de transparence en imposant aux institutions fédérales et aux entreprises canadiennes qui remplissent certains critères des obligations de faire rapport sur la chaîne d’approvisionnement.


Principaux changements apportés au projet de loi

Bien que le projet de loi soit grandement semblable au projet de loi S-216 qui l’a devancé, notons les changements suivants :

  • une définition étendue de « travail des enfants »;
  • de nouvelles définitions de « corps dirigeant » et d’« institution fédérale » et des obligations de faire rapport distinctes mais semblables pour les institutions fédérales et les entités du secteur privé;
  • une application élargie des obligations de faire rapport qui s’appliquent maintenant aux institutions fédérales ainsi qu’aux entités du secteur privé;
  • les renseignements supplémentaires qui doivent être soumis avec chaque rapport annuel sont plus étendus et doivent inclure des renseignements concernant les processus de diligence en lien avec le travail forcé et le travail des enfants;
  • les rapports annuels doivent être approuvés par le corps dirigeant de l’entité;
  • les entités privées peuvent maintenant soumettre des rapports distincts ou conjoints à l’égard d’entités liées; 
  • les sociétés sous réglementation fédérale doivent fournir le rapport annuel à chaque actionnaire avec leurs états financiers annuels.

Est-ce que le projet de loi s’appliquera à votre entreprise?

Le projet de loi s’appliquera à toute « entité » ayant un lien avec le Canada qui produit, vend ou distribue des marchandises partout dans le monde, qui importe des marchandises au Canada ou qui contrôle une entité engagée dans l’une de ces activités. Cette version du projet de loi s’applique aussi notamment aux grossistes. Une « entité » au sens du projet de loi est une entreprise inscrite à une bourse de valeurs canadienne ou qui a un lien avec le Canada3 et qui remplit au moins deux des trois conditions suivantes durant au moins un de ses deux derniers exercices :

  • elle possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 M$;
  • elle a généré des revenus d’au moins 40 M$; ou
  • elle emploie en moyenne au moins 250 employés.

La signification du terme « entité » pourrait aussi être prévue par règlement. La définition large du terme « contrôle » demeure la même : une entité en contrôle une autre si elle contrôle directement ou indirectement cette autre entité de quelque manière que ce soit. Une entité qui en contrôle une autre est automatiquement réputée contrôler la totalité des filiales reliées.

Les obligations de faire rapport du projet de loi s’appliquent maintenant aussi aux « institutions fédérales » canadiennes qui produisent, achètent ou distribuent des marchandises partout dans le monde. La signification du terme « institution fédérale » est tirée de la Loi sur l’accès à l’information4. L’ajout des institutions fédérales a grandement été motivé par la COVID-19, puisque le gouvernement fédéral court aussi le risque que son approvisionnement en équipement médical et autres produits, comme les masques et les gants, découle du travail forcé5.

Sur quoi vos rapports devront-ils porter?

Les obligations de faire rapport du projet de loi sont essentiellement les mêmes pour les institutions fédérales et les entités. À l’instar des projets de loi précédents, le projet de loi exige des institutions fédérales et des entités du secteur privé qu’elles fournissent au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (ministre) un rapport annuel décrivant les mesures prises pendant l’exercice précédent pour prévenir et réduire le risque du recours au travail forcé et au travail des enfants à quelque étape que ce soit dans leurs chaînes d’approvisionnement respectives. Tous les rapports doivent être mis à la disposition du public dans un endroit bien en vue du site Web de l’entité pertinente.

Le rapport doit aussi maintenant comprendre des renseignements sur la structure, les activités commerciales et les chaînes d’approvisionnement de l’institution fédérale ou de l’entité privée, ainsi que sur ses processus de diligence raisonnable relatifs au travail forcé et au travail des enfants, et tout renseignement concernant la façon dont l’institution fédérale ou l’entité du secteur privé évalue l’efficacité de ses efforts pour empêcher le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans ses chaînes commerciales et ses chaînes d’approvisionnement.

En ce qui concerne une entité du secteur privé, le rapport doit être approuvé par son corps dirigeant et cette approbation doit être constatée par une déclaration d’attestation et la signature d’un ou de plusieurs membres du corps dirigeant.

Comment le projet de loi sera-t-il mis en application?

Le mécanisme de mise en application du projet de loi et les infractions établies par celui-ci n’ont pas changé depuis la version précédente. Le projet de loi prévoit toujours que les personnes désignées par le ministre auront des pouvoirs d’enquête considérables. Le ministre peut ordonner à une entité de prendre toute mesure nécessaire en cas de non-conformité à la loi.

Une entité qui est trouvée coupable d’une infraction en vertu du projet de loi est passible d’une amende de 250 000 $ par infraction. Le projet de loi prévoit toujours la responsabilité de l’administrateur, du dirigeant et du mandataire lorsque ces personnes ont ordonné ou autorisé la perpétration d’une infraction, ou y ont consenti ou participé.

Comment le Canada se compare-t-il à l’échelle internationale?

Le cadre du projet de loi est semblable à celui des lois sur l’esclavage moderne déjà en vigueur en Californie6, en Australie7 et au Royaume-Uni8, qui établissent toutes des obligations de faire rapport pour certains types d’entités. Cependant, le régime de communication de l’information du projet de loi est distinct de celui de la législation de pays comme la France9, l’Allemagne10 et les Pays-Bas11, où une approche obligatoire en matière de diligence raisonnable a été adoptée, de sorte que les entités ont l’obligation d’empêcher les violations des droits de la personne dans leurs chaînes d’approvisionnement. Bien que le projet de loi ne fixe pas de norme en matière de diligence raisonnable, les obligations élargies de faire rapport, qui comprennent maintenant les renseignements sur les processus de diligence d’une entité, auront probablement l’effet d’imposer un certain niveau de diligence.

Le projet de loi a une portée plus limitée, car il vise exclusivement le travail forcé et le travail des enfants et n’englobe pas le trafic et l’exploitation d’êtres humains au sens de l’esclavage moderne, comme le font d’autres territoires, comme le Royaume-Uni.

Contrairement aux lois d’autres territoires, le projet de loi impose des pénalités considérablement plus sévères en cas de non-conformité. Une législation plus étendue sur les entreprises et les droits de la personne pourrait voir le jour au Canada à la lumière de la récente lettre de mandat du ministre du Travail signée par le premier ministre qui a souligné l’engagement du gouvernement non seulement à éradiquer le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes, mais aussi à faire en sorte que les entreprises canadiennes ne contribuent pas aux violations des droits de la personne à l’étranger12

Le Tarif des douanes interdit actuellement l’importation de marchandises qui sont « extraites, fabriquées ou produites, en tout ou en partie, par du travail forcé ». À l’instar du projet de loi S 216, le projet de loi propose d’ajouter le « travail des enfants »13 à l’interdiction actuelle liée au « travail forcé » et il intègre également les définitions du projet de loi des termes « travail forcé » et « travail des enfants ».

L’étude de l’OCRE sur le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes du secteur du vêtement

Outre la présentation du projet de loi en décembre 2021, l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) a annoncé le lancement de sa première étude qui passera en revue le recours possible au travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement des entreprises canadiennes du secteur du vêtement à l’étranger14. L’étude débutera en 2022 et sera axée sur le progrès de ces entreprises à établir des processus de diligence raisonnable en matière d’entreprises et de droits de la personne.

L’OCRE est un organe impartial qui exerce ses activités en toute indépendance du gouvernement fédéral et dont le mandat est de passer en revue les plaintes en matière de droits de la personne découlant de la conduite de sociétés canadiennes à l’étranger dans les secteurs de l’exploitation minière, du pétrole et du gaz et du vêtement. Notre article précédent concernant la création de l’OCRE et son mandat peut être consulté en cliquant ici. Le lancement de l’étude de l’OCRE sur le travail des enfants, en parallèle à la présentation du projet de loi, indique qu’une attention plus grande sera consacrée à l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes en 2022.

Points à retenir

Tandis que le Canada se rapproche de l’adoption de sa propre législation sur l’esclavage moderne, les entreprises canadiennes seraient bien avisées d’évaluer, de façon proactive, les risques dans leur propre chaîne d’approvisionnement mondiale et de s’assurer également qu’elles comprennent tous les aspects des processus de production de leurs filiales. En outre, les administrateurs, les dirigeants et autres personnes qui occupent des postes de haute direction devraient être particulièrement attentifs aux obligations de faire rapport en lien avec le travail forcé et le travail des enfants, compte tenu des risques de responsabilité personnelle considérable pour toute non-conformité au projet de loi.

Le projet de loi continue de recevoir l’appui de tous les partis politiques et des citoyens canadiens, ce qui signifie que le projet de loi deviendra loi bientôt15.

Les autrices désirent remercier Anne Elizabeth Kazakov, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.


Notes

1   Les premières versions des projets de loi du Sénat sont mortes au feuilleton par suite de la COVID‑19 en mars 2020 (notre article précédent sur le projet de loi S-211 peut être consulté ici) et encore une fois en août 2021 en raison du déclenchement de l’élection fédérale anticipée (notre article précédent sur le projet de loi S-216 peut être consulté ici).

3  

Cela signifie que l’entité a un établissement au Canada, qu’elle y exerce des activités ou qu’elle y possède des actifs.

4  

LRC, 1985, c A-1, article 3.

5  

Discours de la marraine (l’honorable sénatrice Miville-Dechêne), deuxième lecture.

6  

Loi intitulée California Transparency in Supply Chains Act, https://oag.ca.gov/SB657.

7   Lois intitulées Modern Slavery Act, 2018 No 153 (Australie) (https://www.legislation.gov.au/Details/C2018A00153); Modern Slavery Act, 2018 No 30 (Nouvelle-Galles du Sud) (https://www.legislation.nsw.gov.au/view/html/inforce/current/act-2018-030).

8   Loi intitulée Modern Slavery Act 2015 (Royaume-Uni) (https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2015/30/contents).

9   Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034290626/). 

11   Loi intitulée Child Labour Due Diligence Act (https://zoek.officielebekendmakingen.nl/stb-2019-401.html). 

13  

LC 1997, c 36, article 132(1)m)(i.1).

15  

Discours de la marraine (l’honorable sénatrice Miville-Dechêne), deuxième lecture.



Personne-ressource

Associée, cocheffe canadienne, Entreprises responsables et durabilité

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