En vertu de la nouvelle législation canadienne sur l’esclavage moderne, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement, les entités concernées sont tenues de déposer, au plus tard le 31 mai de chaque année, un rapport décrivant les risques liés au travail forcé et au travail des enfants dans leur entreprise et leurs chaines d’approvisionnement, ainsi que les mesures prises pour gérer ces risques.
Le gouvernement fédéral avait reçu 5 650 rapports sur l’esclavage moderne au 31 mai 2024, date limite de la présentation des premiers rapports. Nous avons examiné un échantillon de ces rapports dans le but d’évaluer les tendances qui s’en dégagent quant aux mesures de gouvernance, à la vérification diligente des chaines d’approvisionnement, aux pratiques en matière d’approvisionnement et aux autres mesures prises par les sociétés au cours de la première année de déclaration en vue de réduire les risques liés à l’esclavage moderne. Nous avons examiné au total 1 275 rapports, soit 23 % des rapports déposés par les sociétés et par les autres entités à la date limite de dépôt. Le présent article présente un résumé des principales conclusions découlant de notre examen.
Mesures de gouvernance
La Loi oblige les entités déclarantes à divulguer leurs politiques et leurs processus de diligence raisonnable en lien avec le travail forcé et le travail des enfants. Selon le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises, une première étape importante pour les sociétés consiste à prendre en compte les principes de la conduite responsable des entreprises dans le cadre de leurs politiques et de leurs systèmes de gestion.
Bien que le conseil d’administration d’une société soit ultimement responsable de la gouvernance et de la surveillance des risques, il n’est pas rare, en particulier chez les sociétés ouvertes, que le conseil délègue certaines responsabilités à un ou plusieurs comités d’administrateurs. Même si les entités déclarantes n’ont pas souvent indiqué dans leur rapport dans quelle mesure la surveillance des risques liés à l’esclavage moderne et de la gouvernance était déléguée à un comité du conseil ou à un autre organe de direction, les comités les plus souvent cités, le cas échéant, étaient le comité du développement durable (26 %), le comité de gouvernance (24 %) et le comité d’audit (19 %).
La grande majorité des rapports que nous avons examinés renfermaient des renseignements sur les politiques internes en matière de droits de la personne, 74 % d’entre eux faisant référence à un code de conduite ou d’éthique interne. Parmi les autres politiques d’entreprise courantes, mentionnons les politiques sur les droits de la personne (29 %) et les politiques de dénonciation (36 %).
Politiques relatives aux fournisseurs, diligence raisonnable et pratiques d’approvisionnement
Étant donné que la Loi exige que soient indiquées les mesures prises par l’entité pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants à toute étape de la production de marchandises – au Canada ou ailleurs – ou de leur importation au Canada par cette entité, bon nombre des rapports que nous avons examinés portaient principalement sur les politiques relatives aux fournisseurs, les mesures de diligence raisonnable et les pratiques d’approvisionnement.
Nous avons constaté que près de la moitié des entreprises dont nous avons examiné le rapport avaient mis en place un code de conduite à l’intention des fournisseurs, et que 7 % d’entre elles exigeaient que leurs fournisseurs attestent annuellement qu’ils s’y conformaient. Un plus petit nombre d’entreprises ont déclaré avoir mis en place une politique d’approvisionnement (15 %) ou une politique d’approvisionnement responsable (13 %). Environ 17 % des entreprises ont indiqué avoir inclus des modalités anti-esclavage moderne dans leurs contrats d’approvisionnement. Ces types de modalités contractuelles obligent généralement les fournisseurs à respecter certaines obligations, notamment l’imposition de conditions et d’exigences à leurs propres fournisseurs, ce qui aide les entreprises à exercer un contrôle plus loin dans leurs chaines d’approvisionnement.
Au cours de cette première année de présentation de rapports en vertu de la Loi, les entreprises en sont à divers stades en ce qui concerne les progrès réalisés pour cartographier et comprendre les risques présents dans leurs chaines d’approvisionnement. Alors que 61 % ont déclaré avoir entrepris une certaine forme de diligence raisonnable et d’évaluation des risques à l’interne, seulement 13 % ont indiqué avoir retenu les services d’un tiers pour les aider dans leurs efforts de diligence raisonnable. Parmi les approches adoptées pour évaluer les risques, 15 % des entreprises ont indiqué qu’elles envoyaient des questionnaires à leurs fournisseurs, tandis que 7 % sélectionnent leurs fournisseurs en fonction de listes de surveillance publiques (y compris les listes de sanctions) et 3 % passent au crible les cas de couverture médiatique défavorable.
Formation
La Loi exige que les entités déclarantes fournissent des renseignements sur la formation offerte à leur personnel en matière de travail forcé et de travail des enfants, le cas échéant. Les lignes directrices publiées par le gouvernement fédéral pour aider les entités à comprendre leurs obligations de déclaration indiquent que la formation peut prendre diverses formes, allant de séances de formation formelles à des activités de sensibilisation.
Au cours de cette première période de déclaration, un peu plus de la moitié des entreprises dont nous avons étudié le rapport ont déclaré avoir offert une formation à leur personnel sous forme d’examens annuels du code de conduite et des politiques. Un plus petit nombre (20 %) d’entre elles ont déclaré avoir fourni une formation plus spécifique sur les questions du travail forcé et du travail des enfants.
Remédiation
Une autre exigence de la Loi est de fournir des renseignements sur les mesures prises, le cas échéant, pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants. La grande majorité des rapports que nous avons examinés étaient muets sur ce point ou indiquaient qu’aucun cas de travail forcé ou de travail des enfants n’avait été relevé et qu’aucune mesure de remédiation n’avait donc été nécessaire. Un petit nombre d’entités (5 %) ont indiqué avoir pris des mesures de remédiation au cours de l’exercice précédent.
Mesure de l’efficacité
La Loi demande aux entités d’expliquer la manière dont elles évaluent l’efficacité de leurs efforts pour éviter le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans leur entreprise et leurs chaines d’approvisionnement. Les lignes directrices du gouvernement fédéral indiquent que les entités peuvent mentionner qu’elles n’ont pas encore pris de mesures à cet égard.
Environ 41 % des entités dont nous avons examiné le rapport ont indiqué avoir pris des mesures générales pour commencer à évaluer l’efficacité de leurs actions. Toutefois, seulement 6 % d’entre elles ont indiqué avoir mis en place des indicateurs de rendement précis. Étant donné qu’il ne s’agissait que de la première année de déclaration et que de nombreuses entreprises commencent à peine à mettre en place des politiques, des procédures de diligence raisonnable et d’autres mesures, il n’est pas surprenant que seulement un petit nombre d’entités aient instauré des indicateurs de rendement.
Questions de conformité
Les sociétés qui ont déposé des rapports ne semblent pas toutes avoir respecté les exigences énoncées dans la Loi. Voici quelques-uns des écarts relevés :
Structure du rapport
- Utilisation du questionnaire en tant que rapport. Plusieurs sociétés (15 dans notre échantillon) ont déposé une copie du questionnaire en ligne qui devait être rempli au moment du dépôt du rapport, plutôt qu’un rapport distinct. Les lignes directrices du gouvernement fédéral indiquaient initialement que le questionnaire pouvait servir de modèle pour préparer le rapport et précisaient même que les entités pouvaient utiliser les renseignements et la structure du questionnaire dans leur rapport. Toutefois, lorsque les lignes directrices ont été modifiées en mars 2024, le gouvernement a précisé qu’il était possible de s’inspirer du questionnaire afin de préparer le rapport, mais toute suggestion selon laquelle il serait acceptable de s’en servir comme modèle ou moyen de structurer le rapport a été éliminée.
- Utilisation de lettres de fournisseurs en tant que rapport. Au lieu de préparer un rapport contenant les renseignements exigés par la Loi, une entreprise a déposé une compilation de 73 pages de lettres types de ses fournisseurs confirmant leur conformité à la Loi.
- Utilisation de rapports globaux. Un certain nombre de sociétés ont déposé des rapports qui avaient été préparés pour des pays ayant une législation similaire, comme l’Australie et le Royaume-Uni, mais qui ne faisaient pas référence à la Loi canadienne ou ne semblaient pas répondre aux exigences législatives particulières de la Loi, comme l’attestation et la signature du conseil requises. Les lignes directrices du gouvernement fédéral précisent que les entreprises peuvent utiliser les informations présentées dans un rapport produit dans d’autres territoires, mais uniquement si le rapport répond à tous les critères et à toutes les exigences de la Loi canadienne.
Publication du rapport sur le site Web de l’entreprise
La Loi exige que les entités déclarantes publient leur rapport « dans un endroit bien en vue » de leur site Web. Les lignes directrices du gouvernement fédéral stipulent qu’il doit être visible et facilement accessible au public. Malgré cette exigence, le rapport n’a pas pu être facilement consulté sur le site Web de plus de la moitié des entreprises dont nous avons étudié le rapport.
La difficulté à trouver les rapports découle peut-être du fait que la Loi ne prescrit pas où ni comment le rapport devrait être déposé sur un site Web d’entreprise. Les lignes directrices du gouvernement fédéral prévoient que les entreprises peuvent utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer l’endroit approprié. Les entreprises ont donc adopté diverses approches, les endroits les plus courants étant les suivants : 1) au bas du site Web, à côté des conditions d’utilisation, de la politique de confidentialité et des autres avis juridiques (52 %), 2) à la rubrique « À propos de nous » du site Web (18 %), 3) à la rubrique « Développement durable », « Responsabilité d’entreprise » ou « ESG » (13 %) et 4) à la section du site Web consacrée aux relations avec les investisseurs (7 %). Comme on pouvait s’y attendre, l’emplacement du rapport dépendait de la taille de l’entreprise et de la structure existante de son site Web, les sociétés ouvertes étant plus susceptibles d’afficher leur rapport dans la section des relations avec les investisseurs de leur site Web.
La difficulté à repérer les rapports sur les sites Web d’entreprise s’explique aussi par la grande variété de noms donnés aux rapports. Parmi les noms les plus courants, mentionnons « divulgation sur l’esclavage moderne », « rapport sur le travail forcé et le travail des enfants », « déclaration en matière des droits de la personne » et « divulgation de la transparence de la chaine d’approvisionnement ». D’autres noms moins évocateurs comprenaient « engagement de l’entreprise », « conformité sociale » et même « autre ».
Ce qui explique également pourquoi nous avons trouvé le rapport de moins de la moitié des entreprises en ayant déposé un, c’est qu’un certain nombre d’entre elles n’étaient peut-être pas au courant de l’exigence et n’ont donc pas publié le rapport sur leur site Web. Toute personne souhaitant trouver le rapport d’une entreprise particulière peut consulter le catalogue de la bibliothèque sur le site Web de Sécurité publique Canada, qui contient les rapports déposés auprès du gouvernement fédéral.
Format du rapport
Bien que la Loi elle-même n’établisse aucune exigence ou restriction quant au format du rapport, les lignes directrices du gouvernement fédéral recommandent que le rapport ne dépasse pas dix pages. Dans notre échantillon, nous avons constaté que les rapports avaient une longueur allant d’une demi-page à 57 pages, la longueur la plus courante étant de 4 pages (soit 20 % des rapports).
En général, les rapports plus longs avaient tendance à être de nature mondiale. Autrement dit, ils avaient été préparés par des multinationales ayant des obligations de déclaration à l’extérieur du Canada en plus de celles prévues par la Loi canadienne. Les rapports mondiaux tendaient également plus à inclure des photos, des graphiques et d’autres éléments visuels. Environ 20 % des rapports que nous avons examinés comportaient un format visuel plus soigné, analogue à celui de nombreux rapports sur le développement durable.
Rapport annuel au Parlement
Outre l’examen que nous avons effectué des rapports déposés cette année, le gouvernement fédéral a publié les résultats de son propre examen. La Loi exige que le ministre de la Sécurité publique fournisse au Parlement, au plus tard le 30 septembre de chaque année, un rapport résumant les principales constatations de la période de déclaration précédente, y compris les activités qui, selon les entités, comportaient un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants, ainsi que les mesures prises par ces dernières pour évaluer et gérer ce risque et remédier aux problèmes constatés.
Sécurité publique Canada doit également inclure des renseignements sur tout arrêté visant à faire respecter la Loi et sur toute accusation portée en vertu de la Loi. Le rapport confirme qu’aucun arrêté n’a été pris et qu’aucune accusation n’a été portée contre quiconque. Sécurité publique Canada avait effectivement mentionné au début de 2024 que le gouvernement adopterait une position surtout didactique au cours de la première année de déclaration.
Le rapport est disponible à la Bibliothèque du Parlement et nous croyons comprendre qu’il sera versé sur le site Web de Sécurité publique Canada au cours des prochaines semaines. Notre résumé du rapport du gouvernement est disponible ici.
Conclusion et prochaines étapes
L’examen que nous avons effectué de près du quart des rapports déposés par les entités au cours de la dernière année révèle une grande diversité en ce qui concerne le degré de détail des rapports, les mesures prises pour cerner les risques de recours au travail forcé et au travail des enfants et les mesures prises pour atténuer ces risques. Comme il s’agissait de la première année de déclaration, nous prévoyons qu’il s’agira d’une base de référence à partir de laquelle les mesures adoptées et les efforts déployés par les entités augmenteront au fil du temps. Cela serait conforme à ce que nous avons constaté dans d’autres territoires qui ont déjà adopté des lois en matière de déclaration depuis un certain nombre d’années, comme le Royaume-Uni et l’Australie.
Les prochains rapports annuels devront être produits d’ici le 31 mai 2025.
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