Les litiges en matière de construction sont de ceux où l’information à recueillir, à organiser, à s’approprier et à communiquer peut rapidement prendre des proportions saisissantes. Plans et devis, soumissions, contrats, avenants, dénonciations, échéanciers, procès-verbaux, rapports, demandes et avis de changements, photos et correspondances : autant de documents émanant d’un chantier qui en relateront les tenants et aboutissants pour les parties, leurs avocats et d’éventuels décideurs.

Mais que faut-il savoir sur les obligations des entrepreneurs en construction quant à la gestion de cette documentation, et surtout comment s’y prendre?

Les parties à un litige, né ou seulement même appréhendé, ont l’obligation légale de préserver la preuve pertinente, quelle que soit sa forme1. Elles ont également l’obligation, le cas échéant et sous réserve de justifier de certains motifs2 ou privilèges pour s’y soustraire, de la communiquer. Cette communication doit être ordonnée en ce que la relation entre l’information véhiculée et les demandes soit conséquente. La transmission de type « en vrac », entremêlée de documents sans pertinence aucune aux demandes formulées, est une pratique qui rebute les tribunaux, qui, de plus en plus fréquemment, ordonnent qu’il soit procédé à un assainissement de l’information ou vont même parfois jusqu’à imposer des dépens.

Il repose ainsi sur les épaules des entrepreneurs, tant en demande qu’en défense, une obligation positive de préserver, colliger et de communiquer les masses d’informations émanant de leurs chantiers. Faute d’une gestion préalable adéquate, cette charge peut rapidement s’avérer accablante et coûteuse. Ressources humaines accaparées, multiplicité de requêtes interlocutoires et retards procéduraux sont en pratique abondants du fait d’une gestion inadéquate de l’information.

Cette gestion doit d’ailleurs être envisagée avec davantage d’importance pour l’entrepreneur en demande, sur qui repose généralement le fardeau de la preuve. C’est à lui d’établir l’ampleur de ses dommages ainsi que leur attribution à chacune des causes et à chacun des intervenants. S’il veut satisfaire ce fardeau et optimiser ses chances de succès, l’entrepreneur aura soin de maintenir des documents détaillés concernant l'utilisation de la main d'œuvre, de l'équipement et des matériaux sur le chantier ainsi que des relevés établissant le détail des travaux effectués chaque jour et le taux de production. La preuve de déboursés additionnels à un fournisseur devrait ainsi, par exemple, être appuyée de chacune des commandes d’achat, factures et preuves de paiement. La meilleure preuve réside en cette donnée brute et non sur la base d’estimations postérieures, pouvant parfois même être inadmissibles en preuve.

Des processus de gestion de l’information devraient ainsi s’inscrire systématiquement dans les meilleures pratiques des entrepreneurs en construction. Voici certaines suggestions et astuces :

  • Centraliser l’information : Rapatrier et centraliser la masse d’information constitue la plus élémentaire et efficace mesure de gestion. Sans cela, le fardeau d’inventorier les documents s’accroît grandement en ce qu’il doit être répété le processus de recherche sur plusieurs médiums : enregistrements locaux de plusieurs ordinateurs, serveurs, mémoires externes, copies papiers. L’information doit être extirpée de ces silos pour être introduite dans un référentiel de données nanti d’une structure normalisée et pragmatique de catégorisation de l’information. L’information mal classifiée est autrement bien souvent de l’information perdue.
  • Conserver des copies : Centraliser l’information n’évacue pas la nécessité de se prémunir des avaries. Où les serveurs sont généralement conçus pour assurer le maintien de la donnée même en cas de bris, les sauvegardes locales ou les mémoires externes pourraient, elles, être anéanties. Il est ainsi nécessaire, selon le type de stockage utilisé, de prévoir une procédure de copie récurrente. La perte de la preuve ne peut parfois justifier l’administration d’une preuve secondaire, ce qui résulte en l’échec possible d’un recours.
  • Prévoir des intitulés cohérents : Intituler les documents et correspondances de matière intelligible et intuitive, selon une convention normalisée, permet une recherche efficace et évite que des documents pourtant pertinents soient soustraient à une recherche par mots clefs. Nous recommandons par exemple de débuter les intitulés par une date au format AAAA-MM-JJ, permettant de procéder, en un clic, à un classement chronologique. Souvent négligé, cet aspect de la classification de l’information est l’un au plus haut taux coûts-bénéfices lorsqu’il est question de gestion ultérieure, à l’aide ou non de logiciels de traitement de données.
  • Prévoir des codes de coûts : Associer un code comptable unique de coûts pour toutes les dépenses additionnelles associées à un chantier. Cette identification permet ensuite aisément de procéder à la gestion et la mise en preuve du quantum, matière souvent épineuse en contexte litigieux.
  • Informatiser vos processus : La donnée générée sous format numérique porte en elle beaucoup plus d’informations sous-jacentes sur son contexte : le qui, quoi, où, quand et comment. La gestion ultérieure en est grandement simplifiée en ce qu’il pourra aisément être notamment identifié l’auteur du document, le moment de sa confection, ses versions et modifications. L’informatisation permet en outre de réduire les pertes.
  • Publier une politique et mandater une personne-ressource : Une chaîne n’est jamais plus solide que son plus faible maillon. Il est donc important que l’ensemble des acteurs par qui transitera l’information soient informés des processus mis en place pour la gestion de l’information. Une personne-ressource pourra par ailleurs assurer une gestion assidue de l’information où une multitude d’intervenants pourraient, au contraire, atteindre à son intégrité par manque d’uniformisation ou de rigueur.

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Ce travail pouvant paraître fastidieux en amont ne représente en réalité qu’une fraction du temps généralement requis en aval pour gérer l’information advenant judiciarisation. Il ne doit pas être contemplé la mise en place de processus de gestion de l’information efficaces comme un coût financier et humain dans la conduite des chantiers, mais bien d’un gage d’éventuelles économies de masse et, au demeurant, de meilleures chances de succès dans l’issue d’un litige.

Il faut finalement éviter de croire que ces mesures ne trouvent valable application qu’en situation de grands chantiers de construction; au contraire. C’est plus souvent dans les litiges de tailles limités que l’accumulation de pertes de temps à retracer l’information prendra des proportions démesurées eu égard aux enjeux monétaires.


Notes

1   Article 20, Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01

2   Les objections fondées sur le principe de la proportionnalité et l’interdiction de procéder à une « partie de pêche » peuvent justifier le refus de donner suite à certaines demandes.



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