Vendredi dernier, le Bureau de la concurrence canadien (Bureau) a publié une déclaration à propos de l’application de la Loi sur la concurrence (Loi) relativement aux accords entre acheteurs comme les accords de non-débauchage et les accords de fixation des salaires. Le Bureau a indiqué qu’il examinera les accords entre acheteurs seulement en vertu des dispositions civiles de la Loi et non en vertu des dispositions criminelles concernant les complots. La déclaration a confirmé ce que plusieurs avocats en droit de la concurrence au Canada savaient déjà en se fondant sur le libellé explicite de la Loi, mais elle est marquante du fait que le Bureau n’avait encore jamais adopté de position explicite sur cette question, une position qui diffère grandement de celle des États-Unis.
Qu’est-ce qu’un accord entre acheteurs?
Un accord entre acheteurs comporte l’achat ou l’acquisition de biens ou de services, comme l’acquisition de services auprès d’employés. Les accords entre acheteurs comprennent les accords aux termes desquels les entreprises qui se font concurrence en ce qui concerne le recrutement et la fidélisation d’employés conviennent de modalités d’emploi, acceptent de fixer les salaires (« fixation des salaires ») ou acceptent de ne pas recruter les employés de l’autre (accords de « non-débauchage »).
En revanche, les accords relatifs à la fourniture sont axés sur la vente ou la fourniture de produits. Un accord relatif à la fourniture pourrait inclure un accord entre les vendeurs visant à attribuer les clients ou les régions de vente, éliminer ou réduire la production ou la fourniture d’un produit, ou fixer les prix.
Approche du Bureau à l’égard des accords entre acheteurs
Dans sa déclaration, le Bureau a précisé qu’étant donné que l’article 45 de la Loi – la disposition criminelle sur les complots – ne s’applique qu’aux accords relatifs à la fourniture, il « n’examinera pas les accords entre acheteurs visant l’achat de produits et de services, y compris les accords de non-débauchage et de fixation des salaires, en vertu de l’article 45 ». Cela signifie que ces accords ne sont pas illégaux.
Cependant, le Bureau a indiqué qu’il pourrait évaluer les accords entre acheteurs en vertu de l’article 90.1 de la Loi – une disposition qui a beaucoup moins de mordant que l’article 45. L’article 90.1 est une disposition civile qui régit les accords lorsqu’ils risquent vraisemblablement d’entraîner une diminution ou un empêchement sensible de la concurrence. Deux conditions doivent être réunies pour qu’un accord entre concurrents enfreigne l’article 90.1 :
- L’accord doit être « conclu ou proposé » (par exemple, un accord ayant été conclu ou proposé dans le passé ne serait pas assujetti à l’article 90.1);
- L’accord doit empêcher ou diminuer sensiblement la concurrence, mais le Bureau indique qu’il ne s’agit pas d’un seuil faible à atteindre.
Si le Tribunal de la concurrence conclut qu’un accord ou une entente remplit les conditions prévues à l’article 90.1, il peut rendre une ordonnance interdisant à toute personne (qu’elle soit ou non partie à l’accord) d’agir en fonction de l’accord en cause; ou demandant à toute personne de prendre toute autre mesure, mais seulement avec le consentement de cette personne et du Commissaire de la concurrence.
Ainsi, même si les conditions de l’article 90.1 sont réunies, tout accord entre acheteurs intervenu entre des concurrents ferait l’objet de recours bien plus limités qu’en vertu de l’article 45 (qui comprend la prison et/ou des amendes élevées).
Points à retenir
La déclaration du Bureau ne révolutionne pas le traitement juridique des accords entre acheteurs au Canada. L’approche adoptée prône plutôt le respect du libellé de la Loi et, plus précisément, la suppression explicite du mot « achat » de l’article 45 de la Loi dans le cadre des modifications de 2009. Auparavant, en vertu de l’article 45, le fait de conclure un accord ou une entente avec une autre personne pour empêcher ou diminuer indûment la concurrence dans le cadre de l’achat d’un produit constituait une infraction, mais ce n’est plus le cas.
Cependant, la déclaration indique clairement que l’approche canadienne est complètement différente de l’approche américaine, où le département de la Justice américain a indiqué qu’à l’avenir, il avait l’intention de mener des enquêtes criminelles sur les accords purs et simples de non-débauchage et de fixation des salaires qui sont sans rapport ou non nécessaires à une collaboration légitime plus large entre les employeurs.
La récente déclaration – pour laquelle le Bureau a demandé conseil auprès du ministère de la Justice et du Service des poursuites pénales du Canada – a été faite peu après l’examen, par la Chambre des communes, des questions liées aux discussions entre acheteurs en juillet dernier, ce qui a probablement poussé le Bureau à publier ses précisions.
Le Bureau a également indiqué qu’il décrira son approche pour l’application de la Loi relativement aux accords entre acheteurs de manière plus approfondie dans sa prochaine révision des Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents; restez à l’affût de nouvelles à ce sujet.
Bien que le Bureau ne cherchera pas à faire appliquer les sanctions pénales visant les accords entre acheteurs au Canada, les entreprises devraient continuer d’obtenir des conseils juridiques avant d’entamer des communications avec des concurrents. De telles communications, même si elles se limitent à des discussions entre acheteurs, peuvent néanmoins aller à l’encontre des dispositions civiles de la Loi, et les États-Unis ont indiqué qu’ils feront appliquer les sanctions pénales visant les accords entre acheteurs.