Au Québec, une procédure d’outrage au tribunal en vertu du Code de procédure civile (CPC) est entendue devant la Cour supérieure du Québec. 


Selon la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Jordan1, c’est le plafond de 30 mois qui trouve application lorsqu’il est notamment question d’une affaire entendue devant une cour supérieure. 

Dans cette logique, le plafond de 30 mois est celui qui devrait trouver application lorsqu’il est question d’un outrage au sens du CPC. 

Or, ce n’est pas l’avis de la Cour supérieure du Québec. Dans une décision récente, la Cour supérieure s’est penchée sur cette question dans l’affaire Ville de Montréal c. Gestion Tasa inc.2 et a déterminé que le plafond de 18 mois pouvait s’appliquer aux dossiers d’outrage au tribunal. 

Il s’agit d’une première au Canada, et il sera intéressant de suivre le cours des événements dans ce domaine, en particulier considérant qu’il peut s’avérer difficile au Québec d’obtenir une date de procès à l’intérieur d’un délai de 18 mois devant la Cour supérieure du Québec dans un dossier de cette nature. 

Résumé des faits

En août 2018, la Ville de Montréal avait obtenu gain de cause contre Gestion Tasa inc. et La Maison Sami T.A. Fruits inc. (Sami Fruits) ainsi que des ordonnances enjoignant à Sami Fruits de se conformer au règlement de zonage et de cesser l’usage accessoire de vente au détail de fruits et légumes sur une superficie de plus de 15 % de la superficie totale brute du plancher.

En novembre 2021, malgré ces ordonnances, la Ville de Montréal a signifié à Sami Fruits une citation à comparaître pour outrage au tribunal, alléguant que cette dernière faisait défaut de respecter les ordonnances émises par le tribunal. En septembre 2022, la Ville de Montréal a signifié une seconde citation à comparaître pour outrage au tribunal, visant une période différente, mais comportant des allégations similaires à la première. 

En juillet 2024, à la suite de plusieurs demandes préliminaires présentées de part et d’autre dans le cadre du cheminement procédural du dossier, Sami Fruits a déposé une demande en arrêt des procédures pour délai déraisonnable, alléguant avoir subi une violation des droits protégés à l’article 11 b) de la Charte canadienne des droits et libertés3

Un délai de 1 172 jours s’était écoulé et, de fait, Sami Fruits alléguait que les plafonds de 18 mois et de 30 mois fixés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Jordan avaient été dépassés. La Ville de Montréal était plutôt d’avis que les délais étaient en majorité attribuables à Sami Fruits et qu’ils devaient être retranchés du calcul.

Difficultés d’application des principes de l’arrêt Jordan en matière civile

À la lumière des principes de l’arrêt Jordan, rendu en matière criminelle, au-delà du plafond fixé à 18 ou 30 mois, le délai attribuable aux procédures est présumé déraisonnable4

Dans le cas des affaires instruites devant une cour provinciale5 (sans enquête préliminaire), le plafond est fixé à 18 mois6. Le plafond est prolongé à 30 mois dans le cas des affaires instruites devant une cour supérieure.

Qu’en est-il alors d’une affaire de nature civile comportant une demande de condamnation à une infraction pénale qui est instruite devant la Cour supérieure, mais qui ne comporte pas d’enquête préliminaire? 

Dans l’affaire St-Amour c. Major7, la Cour supérieure s’était penchée sur cette question, confirmant alors que les principes de l’arrêt Jordan s’appliquent à l’outrage civil. Le plafond applicable dans lequel l’analyse devrait s’inscrire n’avait toutefois pas été déterminé. 

En octobre 2024, la Cour d’appel a soulevé, dans l’affaire R. c. Costanzo-Peterson8, la présence d’omissions et d’imprécisions quant à l’application en droit québécois des enseignements de l’arrêt Jordan vu la coexistence de deux plafonds selon la présence ou non d’une enquête préliminaire. 

L’enquête préliminaire n’existe pas en droit civil et ne comporte pas d’équivalent. Dans l’affaire Ville de Montréal c. Gestion Tasa inc., le juge Finn de la Cour supérieure a conclu que bien que les demandes préliminaires en droit civil permettent une divulgation de la preuve qui peut aider la partie en défense, elles ne jouent pas pour autant le rôle d’une enquête préliminaire en droit criminel, soit celui de déterminer si le ministère public dispose d’une preuve suffisante et admissible pour justifier le renvoi de l’accusé au procès.

La Cour supérieure applique le plafond de 18 mois à la procédure d’outrage au tribunal

Au Québec, la procédure pour outrage au tribunal est prévue aux articles 57 à 62 du CPC. Il est reconnu qu’il s’agit d’une procédure quasi pénale qui exige la présomption d’innocence et qui impose le fardeau de preuve applicable en droit criminel, soit celui de prouver l’accusation hors de tout doute raisonnable. 

Comme cette procédure ne comporte toutefois pas d’enquête préliminaire, le juge de la Cour supérieure a considéré qu’une approche contextuelle de l’ensemble des circonstances devait le guider afin de déterminer le plafond applicable. 

Au terme d’une analyse approfondie de la Cour en obiter, le tribunal a conclu que le plafond applicable était celui fixé à 18 mois. 

La Cour n’a pas retenu les arguments de la Ville de Montréal indiquant que le délai n’était pas déraisonnable vu sa propre participation aux délais dans le cheminement procédural du dossier. La Cour a donc accueilli la demande en arrêt des procédures présentée par Sami Fruits. 

Notons que cette décision n’a pas encore été portée en appel. Cette affaire pourrait éventuellement être une occasion pour la Cour suprême du Canada d’apporter des précisions à son cadre d’analyse des délais, autant en matière criminelle qu’en matière civile.

COMMENTAIRES DES AUTEURS 

La personne accusée d’outrage au tribunal dans le cadre d’un dossier de juridiction civile est considérée comme une personne « inculpée » et bénéficie des protections constitutionnelles de la Charte9. Ainsi, même la partie privée qui engage une procédure d’outrage devra s’assurer, comme doit le faire le ministère public, du respect des droits fondamentaux de la personne inculpée d’être jugée dans un délai raisonnable et de son droit au silence. 

Dans ce contexte, notons que la grille d’analyse de l’affaire Jordan ne tient pas compte de la réalité de la procédure civile, en particulier lorsque l’outrage allégué découle lui-même d’un dossier de juridiction civile dont le cheminement peut perdurer sur plusieurs années. Ainsi, il sera primordial pour la partie qui désire engager ce type de procédure de s’assurer de disposer de l’ensemble des éléments de preuve requis avant de la signifier au défendeur et d’en fixer l’audition de manière expéditive.

La question du plafond applicable n’ayant pas encore été tranchée clairement dans les autres provinces canadiennes, il sera également intéressant de suivre l’incidence de ce jugement devant les tribunaux de common law.


Notes

1  

2016 CSC 27.

2  

2025 QCCS 201.

3   Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

4  

Note 2, par. 49.

5   Au sens de l’article 2 du Code Criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46).

6  

Entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès.

7  

2017 QCCS 2352.

8   2024 QCCA 1282. Ce jugement fait actuellement l’objet d’une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada.

9  

Melissa N. MACKOVISKI, Administering Justice: The Law of Civil Contempt, Todd L. ARCHIBALD et Randall Scott ECHLIN, Annual Review of Civil Litigation, Toronto, Carswell, 2009, p. 48-49 et Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., 1992 CanLII 29 (CSC), [1992] 2 R.C.S.



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