Le gouvernement fédéral a mis à jour les lignes directrices qu’il a publiées le 20 décembre relativement à la nouvelle loi canadienne sur l’esclavage moderne. Certaines des modifications reflètent ce qui a été dit lors du webinaire organisé par Sécurité publique Canada en janvier dernier ou apportent des précisions. Le but et les incidences d’autres changements sont plus difficiles à interpréter.
La nouvelle loi canadienne sur l’esclavage moderne, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement (Loi), est entrée en vigueur le 1er janvier 2024. Le gouvernement fédéral a d’abord publié des lignes directrices sur les exigences de la Loi le 20 décembre 2023. N’hésitez pas à consulter notre site Web pour en savoir plus sur les exigences législatives connexes et les lignes directrices précédentes.
Le 7 mars 2024, le gouvernement fédéral a publié des lignes directrices modifiées ainsi qu’une FAQ. Les modifications portent principalement sur des questions de formatage et de dépôt et apportent des précisions sur les entités visées par l’obligation de faire rapport.
Modifications aux fins de confirmation / de précision
- Nombre de pages maximum : Tandis que la version initiale des lignes directrices énonçait que les rapports ne devaient pas excéder 10 pages, la version modifiée des lignes directrices recommande simplement de ne pas dépasser cette limite. Le gouvernement avait déjà précisé sa position pendant le webinaire de janvier, qui est désormais confirmée par écrit.
- Format / structure des rapports : La version initiale des lignes directrices suggérait d’utiliser le questionnaire comme modèle pour préparer des rapports; il indiquait même que les entités pouvaient utiliser les mêmes renseignements et la même structure. Cet énoncé a été modifié afin de préciser qu’il est possible de s’inspirer du questionnaire afin de préparer son rapport, mais toute suggestion selon laquelle il serait acceptable de s’en servir comme modèle ou moyen de structurer son rapport a été éliminée.
- Traduction : La version mise à jour des lignes directrices précise que, bien que le gouvernement recommande le dépôt d’une version anglaise et d’une version française, les entités ne sont pas tenues de faire traduire leurs rapports. S’ils le sont, les deux versions peuvent être soumises au gouvernement sous la forme de deux fichiers PDF distincts.
- Accessibilité au public : Le gouvernement fédéral est tenu, en vertu de la Loi, de rendre publics les rapports sur le site Web de Sécurité publique Canada. Il est désormais énoncé que seuls les rapports seront publiés sur le site (et non les questionnaires), mais que « certaines informations d’identification » soumises par le biais du questionnaire seront aussi publiées sur le site Web (sans préciser de quelles informations il s’agit).
- Publication du rapport sur le site Web de l’entreprise : La Loi prévoit que chaque entité est tenue de publier son rapport « dans un endroit bien en vue » de son site Web, et ce, au moment de sa soumission au gouvernement. La nouvelle version des lignes directrices précise que les entités doivent publier leur rapport sur leur site Web « dès qu’elles le peuvent » après sa soumission au gouvernement et, si elles l’ont soumis avant la date limite, qu’elles ne doivent pas attendre le 31 mai pour le faire.
Applicabilité de la Loi sur l’esclavage moderne
Plusieurs des modifications apportées aux lignes directrices du gouvernement fédéral portent sur la question fondamentale suivante : quelles organisations sont visées par l’obligation de faire rapport en vertu de la Loi? Pour être visée par cette obligation, une personne morale, une société de personnes, une fiducie ou toute autre organisation non constituée en personne morale doit : 1) remplir le critère du lien avec le Canada et du seuil financier contenu dans la définition d’« entité » à l’article 2 de la Loi et 2) produire, vendre ou distribuer des marchandises au Canada ou à l’étranger, importer des marchandises au Canada ou contrôler une entité qui se livre à l’une de ces activités, le tout conformément à l’article 9 de la Loi.
Critère à deux volets visant à déterminer le statut d’« entité déclarante »
Volet I : Lien avec le Canada et seuils financiers
- Lien avec le Canada : Pour satisfaire à la définition d’« entité », une organisation doit soit avoir des actions ou des titres de participation inscrits à une bourse de valeurs canadienne, soit avoir un établissement au Canada, y exercer des activités ou y posséder des actifs. Pour nombre d’organisations, il sera aisé de déterminer si elles remplissent ce critère. Dans le cas contraire, la nouvelle version des lignes directrices indique que les dossiers fiscaux et liés à l’emploi peuvent être utilisés.
Les lignes directrices énoncent également que, pour déterminer si elles « exercent des activités au Canada », les organisations peuvent s’appuyer sur les facteurs utilisés par l’Agence du revenu du Canada pour établir si une personne non résidente « exploite une entreprise au Canada » aux fins de la TPS/TVH.
- Seuils financiers : Si l’organisation n’a pas d’actions ou de titres de participation inscrits à une bourse de valeurs canadienne, elle doit atteindre deux des trois seuils financiers suivants pour être considérée comme une « entité » : elle doit posséder des actifs d’une valeur d’au moins 20 M$, générer des revenus d’au moins 40 M$ ou employer au moins 250 personnes. La Loi prévoit que les critères doivent être fondés sur les états financiers consolidés de l’entité. La nouvelle version des lignes directrices précise que les filiales doivent utiliser leurs propres états financiers et non les états financiers consolidés de leur société mère pour déterminer si elles atteignent les seuils. Toutefois, comme il a précédemment été mentionné dans les lignes directrices, les actifs, revenus et employés d’une entité comprennent également ceux et celles de chaque entité qu’elle contrôle (c.àd. ses filiales).
Volet II : Production, vente, distribution ou importation
Les modifications apportées aux lignes directrices qui sont plus difficiles à interpréter portent sur le second volet du critère d’« entité déclarante ». Comme il a été mentionné précédemment, l’article 9 de la Loi énonce que toutes les entités qui produisent, vendent ou distribuent des marchandises au Canada ou ailleurs ou qui importent des marchandises au Canada de même que toutes les entités contrôlant des entités qui se livrent à l’une de ces activités sont visées par l’obligation de faire rapport en vertu de la Loi. La production de marchandises comprend la fabrication, la culture, l’extraction et le traitement de marchandises.
Toutefois, alors que la version initiale des lignes directrices reprenait la formulation du critère de l’article 9 et indiquait que la Loi s’appliquait aux entités qui produisent, vendent, distribuent ou importent des marchandises, la nouvelle version énonce que l’obligation de faire rapport s’applique aux entités qui produisent ou importent des marchandises; les mentions de vente et de distribution de marchandises ont disparu. Cette omission laisse penser que la Loi ne s’applique pas aux entités qui vendent et distribuent des marchandises, à moins qu’elles n’en produisent ou n’en importent également.
Malgré le texte des lignes directrices modifiées, la formulation de l’article 9 de la Loi reste inchangée, tout comme le questionnaire du gouvernement, qui comprend une question sur la production, la vente, la distribution et l’importation de marchandises par l’entité visée.
De plus, le gouvernement n’a pas indiqué qu’il entendait modifier l’article 9 de la Loi ou que l’intention sous-jacente à la révision de ses lignes directrices était de remanier le critère d’entité déclarante tel qu’il est clairement présenté dans l’article 9. L’intention et l’effet de la modification des lignes directrices restent par conséquent ambigus. Il est possible que le gouvernement ait simplement voulu clarifier la signification de « produire » et d’« importer » et qu’il ait ainsi omis de parler de vente et de distribution, étant donné qu’il n’offrait pas de lignes directrices sur ces deux notions.
Sans déclaration claire de la part du gouvernement quant à l’intention sous-tendant cette révision de ses lignes directrices, nous pensons qu’il est risqué de prendre position en affirmant que la Loi s’applique seulement aux entités qui produisent et importent des marchandises.
Modifications aux fins de confirmation / de précision concernant l’applicabilité
- Sociétés mères étrangères : Le gouvernement a confirmé que dans les cas où une société canadienne était contrôlée par une société étrangère, si cette société étrangère remplissait le critère à deux volets d’« entité déclarante » décrit ci-dessus, elle était alors visée par l’obligation de faire rapport.
- Sociétés d’État provinciales : Les institutions gouvernementales provinciales et municipales ne sont pas assujetties à l’obligation de faire rapport selon la définition d’« institution fédérale » fournie dans la Loi. Toutefois, le gouvernement a confirmé que certaines sociétés d’État provinciales mandataires pouvaient être visées si elles remplissaient le critère à deux volets d’« entité déclarante » décrit ci-dessus.