La Commissaire fédérale à l’équité salariale a récemment statué qu’un agent négociateur pouvait unilatéralement déterminer le nombre de représentants qu’il nomme à un comité d’équité salariale en milieu de travail. L’employeur ne peut exercer de contrôle sur l’effectif global de ce comité.
La décision rendue dans l’affaire Alliance de la Fonction publique du Canada c. Banque du Canada1 est préoccupante, car elle laisse entrevoir la possibilité que les comités d’équité salariale deviennent plus imposants, voire ingérables, et que la représentation au sein de tels comités soit déséquilibrée. Ces comités sont responsables d’entreprendre les travaux nécessaires à l’établissement d’un plan d’équité salariale en milieu de travail.
La composition des comités d’équité salariale
La Loi sur l’équité salariale (Loi) vise l’atteinte de l’équité salariale dans les milieux de travail de compétence fédérale, c’est-à dire l’élimination de la discrimination systémique fondée sur le sexe qui entache la rémunération des employés. Tout employeur est tenu d’établir un « plan d’équité salariale » (plan) décrivant les étapes qu’il suivra pour atteindre l’équité salariale.
Les employeurs dont les employés sont syndiqués et les employeurs comptant au moins cent employés sont également tenus de « faire tous les efforts raisonnables » pour constituer un comité d’équité salariale (comité) composé de représentants des employés et de l’employeur et chargé d’établir le plan. Le comité établit un plan d’équité salariale visant à mettre au jour les écarts de rémunération systémiques fondés sur le sexe afin que l’employeur puisse les corriger.
Des règles strictes sur la composition d’un comité sont énoncées à l’article 19 de la Loi. Le point central du litige dans l’affaire Banque du Canada portait sur la nomination à un comité de représentants syndicaux aux termes de l’alinéa 19(1)d) :
19 (1) Le comité d’équité salariale est composé d’au moins trois membres. Les règles ci-après s’appliquent à sa composition :
au moins les deux tiers des membres représentent les employés visés par le plan;
au moins cinquante pour cent des membres sont des femmes;
au moins un membre, choisi par l’employeur, représente celui ci;
s’agissant des employés syndiqués visés par le plan, il y a autant de membres représentant les employés syndiqués qu’il y a d’agents négociateurs, et chaque agent négociateur choisit au moins un membre pour représenter les employés syndiqués faisant partie de toute unité de négociation représentée par l’agent négociateur;
s’agissant des employés non syndiqués visés par le plan, au moins un des membres, choisi par eux, les représente.
(soulignement ajouté)
Nombre illimité de nominations à un comité d’équité salariale par le syndicat
Dans la cause Banque du Canada, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et la Banque du Canada (Banque) interprétaient la disposition de l’alinéa 19(1)d) différemment :
- La Banque jugeait qu’elle disposait du pouvoir de fixer le nombre de représentants devant siéger au comité et que le rôle de l’AFPC consistait à nommer le nombre alloué de représentants. Comme les membres de l’AFPC ne représentent que 3 % des effectifs de la Banque, celle ci souhaitait attribuer un représentant à l’AFPC (et un suppléant) sur un total de cinq représentants des employés au sein du comité (soit 20 % des sièges réservés aux représentants des employés).
- L’AFPC affirmait que la Loi permettait à chaque partie du milieu de travail de choisir le nombre de représentants qu’elle juge approprié pour siéger au comité. Elle faisait valoir que le comité ne relevait pas du contrôle légal exclusif de l’employeur ou de toute autre partie. L’AFPC voulait nommer quatre représentants au sein du comité, ce qui signifiait qu’elle occuperait 50 % des sièges réservés aux représentants des employés à moins que la Banque ne rehausse le nombre total de membres siégeant au comité.
La Commissaire à l’équité salariale a donné raison à l’AFPC. Elle a considéré le texte de la Loi dans son ensemble, indiquant que le Parlement avait jugé approprié d’imposer diverses limites ailleurs dans la Loi (p. ex. dates butoirs, montant maximal d’une pénalité) tout en choisissant de ne pas le faire pour le nombre de membres d’un comité. Ainsi, la Loi ne stipule pas de nombre maximal de représentants qu’un agent négociateur peut nommer au sein d’un comité. Bien qu’il incombe à l’employeur de constituer un comité, celui ci ne peut fixer le nombre maximal de ses membres.
La Commissaire à l’équité salariale a reconnu qu’une telle interprétation de la Loi pouvait faire en sorte qu’un comité devienne dysfonctionnel si le nombre de membres est trop grand ou si le comité est dominé par un seul agent négociateur représentant une minorité de travailleurs assujettis au plan.
Néanmoins, la Commissaire à l’équité salariale a souligné que des mécanismes de règlement des différends étaient en place en vertu de la Loi au cas où un comité deviendrait dysfonctionnel. Par exemple, en vertu de la Loi, tous les membres du comité qui représentent les employés (qu’ils aient été nommés par les agents négociateurs ou choisis comme représentants des employés non syndiqués) disposent, en tant que groupe, d’une voix alors que les représentants de l’employeur disposent, en tant que groupe, d’une voix et que la position du ou des représentants de l’employeur l’emporte si les représentants des employés ne parviennent pas à se mettre d’accord à l’unanimité sur une question. Des mécanismes de règlement des différends sont également en place si un comité se trouve dans une impasse dans l’exercice de son mandat et l’employeur a même l’option de demander l’autorisation d’établir un plan d’équité salariale sans comité.
Une décision préoccupante pour les employeurs
À notre avis, la décision Banque du Canada ne tient pas suffisamment compte du rôle de l’employeur par rapport au comité d’équité salariale. L’article 16 de la Loi précise que l’obligation de « constituer » le comité d’équité salariale revient à l’employeur. De plus, selon le paragraphe 19(3), « s’il ne réussit pas à constituer un comité d’équité salariale dont la composition est conforme aux règles prévues », l’employeur peut demander au Commissaire à l’équité salariale d’autoriser, à l’égard du plan, la constitution d’un comité qui ne respecte pas ces règles de composition.
Puisque la responsabilité de constituer le comité revient bel et bien à l’employeur, bon nombre d’employeurs ont soutenu qu’ils pouvaient fixer le nombre global de membres du comité en veillant à ce que celui ci respecte les règles élémentaires relatives à la composition prévue à l’article 19 de la Loi. Il est permis de douter que l’intention du législateur ait été de mener à ce qui pourrait être qualifié de résultat absurde, c’est à dire qu’une partie du milieu de travail puisse décider du nombre de représentants qu’elle souhaite avoir au sein d’un comité sans limite ou possibilité de la part de l’employeur, à qui il revient véritablement de constituer le comité, d’exercer un contrôle sur la taille de celui ci. Nous croyons que la décision de la Commissaire à l’équité salariale pose problème pour ces raisons.
À retenir
L’établissement d’un plan d’équité salariale par un comité peut exiger beaucoup de temps. À cette fin, les employeurs souhaitent sans aucun doute pouvoir assurer le bon fonctionnement du comité chargé de l’établissement du plan, notamment en collaborant proactivement avec les agents négociateurs et les employés non syndiqués en vue de dégager un consensus quant au nombre maximal de membres siégeant au comité, qui peut ensuite être inscrit dans le mandat du comité. Ce mandat pourrait en outre préciser certaines questions relatives à la structure et au fonctionnement du comité et contribuer ainsi à prévenir les conflits. Des mécanismes sont prévus dans la Loi sur lesquels les employeurs peuvent se fier si le comité est incapable de s’acquitter de sa tâche, et nous les invitons à obtenir des conseils juridiques dans une telle situation.