Partout dans le monde, les sociétés sont frappées par l’éclosion du coronavirus en raison de ses incidences sur le marché du travail et les chaînes d’approvisionnement. Les restrictions sur les déplacements imposées aux travailleurs chinois empêchent la reprise normale du travail après le Nouvel An chinois, ce qui nuit aux activités des usines de fabrication en Chine et freine également le marché du travail chinois à l’extérieur du pays.
La fermeture d’usines de fabrication en Chine aura vraisemblablement des répercussions sur la chaîne d’approvisionnement mondiale et, par conséquent, sur des projets de construction et d’autres secteurs d’activité en aval. Cette perturbation pourrait affecter indirectement d’autres marchés, notamment les principaux marchés des produits de base (le cuivre, le minerai de fer, le zinc, le nickel, le lithium, le pétrole et le GNL). En effet, de nombreuses mines situées sur des marchés émergents comptent sur la libre circulation des personnes, en provenance et à destination des pays visés, qui effectuent périodiquement des rotations de quarts de travail. Comme un grand nombre de mines ont des employés chinois, le risque de propagation du virus est élevé. Nous constatons déjà que les restrictions sur les déplacements affectent les activités de construction et d’exploitation de sites miniers en Afrique, par exemple.
Le secteur du transport maritime devrait être touché de plusieurs façons : non seulement en raison de la perturbation des déplacements à destination et en provenance de la Chine, mais également à cause de retards, dans d’autres pays, attribuables à des mises en quarantaine et à des vérifications portuaires parce que des cas de coronavirus ont été décelés ou sont soupçonnés parmi les membres d’équipage et les passagers des navires. La livraison des marchandises pourrait être retardée ou celles-ci pourraient être déchargées dans d’autres ports ou dans des ports provisoires, ce qui aurait des conséquences coûteuses et entraînerait d’importants problèmes de logistique et d’assurance. La construction de nouveaux navires ainsi que la réparation et la mise à niveau prévues d’autres navires sont reportées à cause de l’éclosion du virus au sein des effectifs chinois, ce qui pourrait retarder les échéanciers. Des médias ont déjà rapporté que des sociétés énergétiques chinoises songeraient à refuser des cargaisons de GNL prévues en invoquant la force majeure en raison de la baisse de la demande nationale.
En plus de l’analyse des conséquences contractuelles, il y aurait lieu que des processus et des stratégies efficaces en matière de santé et sécurité au travail soient mises en œuvre pour les travailleurs, les sites et la collectivité en général afin de protéger les intérêts commerciaux et d’assurer la sécurité des travailleurs, ainsi que des plans de poursuite des activités pour permettre la reprise des activités, au besoin. Lorsque ces plans seront élaborés, ils devront englober les activités mondiales, en particulier dans le secteur maritime, où les stratégies entourant la sécurité des membres d’équipage et des passagers à bord des navires et les effets potentiels que l’éclosion du virus pendant les voyages pourraient avoir sur les ports de destination devront être pris en compte.
Il ne faut pas non plus négliger les droits des employés et des utilisateurs de services. Bien que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ait déclaré que l’éclosion du coronavirus était une urgence sanitaire mondiale, il importe que les mesures prises en conséquence soient raisonnables et proportionnelles afin de ne pas brimer les droits de la personne, lesquels sont enchâssés dans la Déclaration universelle des droits de la personne. Le droit à la santé prévoit le droit à des soins de santé, le droit à l’information, l’interdiction de discrimination dans la prestation de services médicaux et la liberté de ne pas être soumis à un traitement médical non consenti. La détention ou la discrimination arbitraire pourrait entraîner des plaintes. Les mises en quarantaine ou les restrictions à l’égard du droit de liberté de mouvement imposées (par opposition à celles auxquelles on a consenti volontairement) doivent être proportionnelles, sûres et respectueuses. Elles doivent être libres de discrimination et faites aux fins d’objectifs légitimes et ne doivent pas viser les personnes d’une race ou d’une origine précise.
Nous examinerons ci-dessous quelques-unes des dispositions contractuelles et des stratégies de gestion du risque qui pourraient être invoquées dans le sillage de la crise. L’analyse qui suit se fonde sur le droit anglais, mais des considérations semblables s’appliquent dans d’autres territoires. Nos équipes mondiales ont déjà donné des conseils à ce sujet dans plusieurs régions.
Un cas de force majeure?
Les parties touchées devraient étudier leurs contrats pour voir s’ils contiennent des clauses en matière de force majeure et si l’éclosion du virus est couverte par une clause de protection pertinente. Les cas de force majeure sont, en général, des circonstances inattendues raisonnablement indépendantes de la volonté d’une partie contractante qui, lorsqu’elles surviennent, empêchent celle-ci d’exécuter ses obligations contractuelles.
Une dispense d’exécution par suite d’un cas de force majeure n’est pas reconnue comme un principe autonome dans la common law anglaise. C’est donc un élément que les parties doivent négocier de façon explicite dans leurs contrats et la protection octroyée par la clause dépendra de la précision du libellé. En cas de litige concernant la portée de la clause, les tribunaux anglais appliqueront les principes usuels d’interprétation contractuelle.
En ce qui concerne le domaine de la construction, les conditions prévues dans les contrats FIDIC définissent la force majeure comme un événement ou une circonstance exceptionnel indépendant de la volonté de la partie touchée, que celle-ci n’aurait pas pu prévoir ou contre lequel elle n’aurait pas pu se prémunir avant de conclure le contrat de construction et qu’elle n’aurait pas pu éviter une fois survenu. La force majeure ne doit pas en outre être causée par l’autre partie.
Les conditions FIDIC contiennent une liste représentative des types d’événements et de circonstances exceptionnels qui pourraient constituer des cas de force majeure. Sous réserve de fournir l’avis requis, la partie contractante peut avoir droit à une prorogation de délai et/ou au recouvrement des frais engagés en conséquence. Si l’événement exceptionnel se prolonge, il peut être possible de se prévaloir d’une option de résiliation. Toutefois, de nombreux contrats FIDIC font l’objet de beaucoup de négociations et de modifications. Les clauses contractuelles nécessiteront donc une analyse, et la survenance d’un cas de force majeure dépendra des circonstances du cas en l’espèce. Par exemple, en l’absence d’un couvre-feu imposé par une autorité pertinente ou d’une grève, il est peu probable que la décision d’un travailleur de ne pas se présenter au travail suffise à justifier la suspension de l’exécution.
Si l’éclosion constitue un cas de force majeure aux termes d’un contrat de construction, les employeurs pourraient se retrouver devant des parties contractantes (et des parties contractantes ayant des sous-traitants et des fournisseurs) alléguant qu’elles ont le droit d’invoquer des dispositions de leurs contrats et d’en interrompre l’exécution. Si le contrat contient des mesures de protection contre les coûts liés à des cas de force majeure, il se pourrait également que les employeurs aient à traiter des demandes découlant des conséquences de l’éclosion. Selon les modalités du contrat, la partie touchée pourrait se voir obligée d’atténuer les effets de l’événement, en s’approvisionnant par exemple en matériel et en main-d’œuvre auprès d’autres sources. Des questions concernant des demandes concurrentes pourraient également se poser, ce qui compliquerait l’analyse.
Dans le secteur maritime, on a déjà signalé que des chantiers navals chinois avaient déclaré des cas de force majeure aux termes de certains contrats de construction de navires en raison des retards causés par l’éclosion du virus. La clause de force majeure et les circonstances entourant les événements devront être évaluées au cas par cas, comme l’effet de toute perturbation connexe liée à l’effectif du navire.
Les contrats ne contiennent pas tous des dispositions en matière de force majeure : par exemple, certaines chartes-parties ne sont pas dotées de ces clauses, mais elles contiendront d’autres dispositions traitant précisément de situations où les déplacements sont touchés par une maladie infectieuse (comme la clause du BIMCO sur les maladies infectieuses ou contagieuses) qui peuvent être utilisées et/ou qui deviennent pertinentes par suite de l’éclosion.
Impossibilité d’exécution
En vertu du droit anglais, s’il devient impossible d’exécuter un contrat par suite de l’éclosion d’un virus, l’une des parties peut alléguer impossibilité d’exécution. Les conséquences financières d’un contrat inexécutoire sont complexes, mais les parties sont dispensées de l’exécution future de leurs obligations. Toutefois, il est difficile d’établir l’impossibilité d’exécution. Plus précisément, celle-ci ne peut être invoquée a) lorsque les parties ont convenu par contrat des conséquences de la survenance de l’événement (par exemple en ayant recours à une clause de force majeure), b) lorsqu’un autre mode d’exécution est possible, c) lorsque l’exécution est devenue plus coûteuse ou d) lorsqu’un des fournisseurs d’une partie ne remplit pas ses obligations.
Les conséquences sur les dispositions de financement
Les entreprises touchées par l’éclosion du virus examineront également leurs conventions de crédit pour évaluer avec leurs bailleurs de fonds les conséquences de cette éclosion aux termes des modalités des conventions.
Il est probable que les bailleurs de fonds demanderont d’être informés aux termes de leurs engagements à ce sujet (souvent importants). Si le prêt n’est pas complètement tiré, les parties se demanderont si les circonstances donneront lieu à un arrêt de tirage, en particulier si un cas de force majeure a été invoqué aux termes de contrats clés pour l’entreprise ou le projet. Une analyse continue sera nécessaire pour déterminer s’il y a eu un cas de défaut. Les conventions de crédit, en particulier celles qui touchent le financement en construction, comprendront des clauses visant les cas de défaut pour abandon ou interruption des travaux de construction ou encore pour défaut d’atteindre des étapes clés de la construction ou de faire avancer les travaux et elles peuvent également comprendre une clause de changement défavorable important.
En fait, le fait d’établir que l’effet de l’éclosion constitue un changement défavorable important ou non aux fins d’une déclaration ou d’une garantie, d’une condition préalable ou d’un cas de défaut est une question d’interprétation contractuelle. Les clauses de changement défavorable important ne sont pas normalisées. Par exemple, certaines sont liées uniquement à un changement défavorable important touchant la capacité d’une contrepartie de respecter ses obligations aux termes du contrat pertinent, d’autres vont beaucoup plus loin et s’appliquent en cas de changement défavorable important touchant la situation financière globale de la contrepartie ou ses activités ou perspectives.
Il est peu probable que le fait qu’une contrepartie se situe dans une région touchée par l’éclosion du virus constituerait en soi un changement défavorable important touchant sa situation financière (bien que, selon les faits connexes, l’éclosion du virus puisse avoir un effet défavorable important sur ses perspectives). Toutefois, si une contrepartie éprouve par la suite des difficultés financières en conséquence de l’éclosion du virus, alors la détérioration de la situation financière pourrait constituer un changement défavorable important touchant sa situation financière. Il a été jugé que, pour qu’un événement soit important, a) il ne doit pas être temporaire et b) il doit toucher de manière importante la capacité de la partie d’exécuter ses obligations aux termes du contrat. Nous ne savons pas encore quelle sera la durée de l’éclosion, mais il est important de souligner qu’un événement temporaire peut avoir des conséquences permanentes. Établir qu’il y a eu un changement défavorable important sera inévitablement un processus très subjectif, qui nécessitera un examen minutieux des libellés et des circonstances connexes.
Néanmoins, si une contrepartie éprouve des problèmes financiers en raison de l’éclosion du virus, il est probable que d’autres dispositions contractuelles s’appliquent, comme un défaut aux termes d’un engagement financier, un défaut de paiement ou le défaut d’exécuter une obligation. Il serait beaucoup plus facile d’invoquer ces dispositions contractuelles plus précises et d’exiger qu’elles s’appliquent que de soutenir qu’un changement défavorable important a eu lieu.
Mesures concrètes
Il ne faut pas sous-estimer les perturbations commerciales pouvant découler de l’éclosion du virus compte tenu de l’importance des exportations, de la main-d’œuvre et de la demande de biens de la Chine dans l’économie mondiale.
Parmi les mesures de gestion des risques que les sociétés devraient prendre en considération, mentionnons celles-ci :
- Ajouter des libellés explicites sur les maladies infectieuses/épidémies dans les nouveaux contrats (et modifier les contrats existants, si possible).
- Vérifier les modalités des contrats existants en matière de protection, notamment les clauses de force majeure.
- Vérifier les dispositions en matière d’assurance, spécialement lorsque des marchandises sont livrées dans un port provisoire ou dans un autre port.
- Effectuer des évaluations des risques, en prenant en compte les facteurs propres aux fournisseurs et les conditions de travail.
- Se tenir à jour sur l’information concernant les régions affectées en consultant le bulletin Flambées épidémiques de l’OMS.
- S’assurer d’offrir à l’effectif une formation et de l’information adéquates sur le virus, y compris sur le mode de propagation du virus, sur la façon d’éviter sa propagation par les travailleurs et sur la façon de déboulonner les mythes, les craintes et les idées fausses.
- Auditer les fournisseurs et examiner leurs mécanismes et politiques respectifs de santé et sécurité au travail, particulièrement en ce qui a trait au contrôle des virus et des maladies, s’assurer qu’ils sont à jour et adéquats ou exiger qu’ils soient conformes à des politiques d’entreprise applicables à ce sujet.
- Interagir avec les responsables de la sécurité et assurer une communication continue et permanente avec les travailleurs, fournir des mises à jour sur l’éclosion du virus ainsi que des formations d’appoint et des exercices, au besoin.
Les équipes mondiales de Norton Rose Fulbright conseillent activement leurs clients au sujet de l’éclosion du coronavirus. N’hésitez pas à communiquer avec votre personne-ressource au sein de Norton Rose Fulbright si votre entreprise est touchée.