Le 8 avril dernier, le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a présenté à l’Assemblée nationale le projet de loi n° 92, Loi modifiant diverses dispositions principalement dans le secteur financier (projet de loi 92), qui fait suite au dernier omnibus financier sanctionné le 9 mai dernier et s’inscrit dans la lignée des projets de loi omnibus à caractère financier qu’il a présentés en vue de moderniser le cadre réglementaire applicable au secteur financier québécois.
Le projet de loi 92 propose des modifications importantes qui touchent plusieurs domaines du secteur financier, notamment ceux de l’assurance, des valeurs mobilières, des institutions financières ainsi que du courtage immobilier. Le présent bulletin a pour objectif de résumer certaines des principales modifications.
Soulignons que le projet de loi 92 est toujours au premier stade de la présentation et qu’il pourra faire l’objet de modifications avant son adoption. En outre, la date de son entrée en vigueur n’est pas encore déterminée.
Secteur de l’assurance
Création de la Chambre de l’assurance
Parmi les modifications importantes proposées par le projet de loi 92, notons les dispositions visant à fusionner la Chambre de la sécurité financière et la Chambre de l’assurance de dommages pour former une nouvelle entité, la Chambre de l’assurance. Cette dernière remplacerait les chambres fusionnées dans l’ensemble des procédures judiciaires ou administratives en cours auxquelles elles sont parties.
Il est toutefois prévu que les représentants en épargne collective et les représentants en plans de bourses d’études soient exclus de la juridiction de la nouvelle Chambre de l’assurance. Dans ce contexte, il sera intéressant de voir si les pouvoirs encadrant les représentants en épargne collective seront transférés à l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI).
Élargissement de l’accessibilité aux fonctions d’expert en sinistre
Le projet de loi 92 prévoit également que l’Autorité des marchés financiers (AMF) pourrait, dans certaines circonstances, autoriser des personnes à exercer des fonctions d’expert en sinistre sans être titulaires d’un certificat à cet effet. Cette autorisation pourrait s’étendre aux agents et courtiers en assurance de dommages, aux personnes ayant déjà été titulaires d’un tel certificat ainsi qu’aux experts en sinistre inscrits à l’extérieur du Québec.
Cette mesure semble s’inspirer de l’assouplissement temporaire mis en place par l’AMF en août 2024, à la suite des pluies diluviennes ayant entraîné un volume exceptionnel de réclamations. À titre de rappel, l’AMF avait alors permis aux cabinets et sociétés autonomes inscrits dans la discipline de l’expertise en règlement de sinistres de recourir à des personnes non certifiées pour exercer certaines activités normalement réservées aux experts en sinistre, afin de répondre rapidement à la demande.
Il s’agit donc d’une mesure supplémentaire proposée par le législateur pour remédier à la pénurie de ressources dans une industrie soumise à une pression croissante, notamment en contexte de sinistres majeurs.
Autres mesures applicables au domaine de l’assurance
Parmi les autres modifications législatives notables dans le domaine de l’assurance, notons que le projet de loi 92 propose d’introduire une exception à l’obligation actuelle imposée aux assureurs du Québec de maintenir une majorité d’administrateurs résidant au Québec. Cette exception s’appliquerait aux sociétés d’assurance faisant partie d’un groupe financier et percevant plus de 40 % des primes à l’extérieur du Québec. Dans un tel cas, le seuil minimal d’administrateurs résidant au Québec pourrait être abaissé au tiers, à condition que la majorité des administrateurs de la société résident toujours au Canada. Cette mesure offre, selon nous, une souplesse accrue aux sociétés d’assurance du Québec tout en favorisant une représentativité géographique élargie au sein de la gouvernance des sociétés.
Le projet de loi 92 modifie également la Loi sur la distribution de produits et services financiers afin d’élargir les pouvoirs réglementaires de l’AMF visant les cabinets, les sociétés autonomes et les représentants autonomes. Plus précisément, les modifications proposées prévoient que l’AMF pourra désormais adopter des règlements encadrant les règles de gestion que doivent observer ces derniers, notamment en matière de gouvernance. Il sera intéressant de voir si ce pouvoir additionnel entraînera un renforcement du cadre réglementaire applicable aux courtiers et aux agents généraux (en anglais, les MGA), particulièrement dans le contexte de consolidation de l’industrie au cours des dernières années.
Enfin, il est proposé dans le projet de loi 92 de réduire le nombre minimal de sociétés mutuelles requis pour constituer ou maintenir une fédération de sociétés mutuelles, qui passerait de neuf à cinq. De plus, sous certaines conditions, une personne morale constituée à l’extérieur du Québec et habilitée à exercer des activités d’assureur pourrait être admise comme membre d’une fédération de sociétés mutuelles, à titre de société auxiliaire. Ces modifications semblent s’inscrire dans une tendance générale de consolidation de l’industrie de l’assurance de dommages au Québec et au-delà de ses frontières, visant entre autres à répondre à l’augmentation de la fréquence des événements climatiques majeurs et à l’explosion des coûts liés à la technologie.
Secteur des valeurs mobilières et de la planification financière
Remaniement du Fonds d’indemnisation des services financiers
Parmi les modifications majeures proposées par le projet de loi 92 dans le secteur des valeurs mobilières, soulignons certaines dispositions visant à élargir le champ d’application du Fonds d’indemnisation des services financiers (Fonds d’indemnisation), lequel a pour objectif d’indemniser les victimes de fraude, de manœuvres dolosives ou de détournement de fonds en lien avec l’offre de produits et services financiers.
Actuellement, parmi les représentants et sociétés inscrits en valeurs mobilières, seuls les courtiers en plans de bourses d’études et les courtiers en épargne collective bénéficient de la couverture du Fonds d’indemnisation. Le projet de loi 92 propose d’étendre cette couverture à un plus grand nombre d’inscrits, soit à l’ensemble des représentants, courtiers et conseillers inscrits en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) ou de la Loi sur les instruments dérivés (LID). De plus, l’AMF pourra déterminer, par règlement, le montant des cotisations devant être versées par les personnes assujetties au Fonds.
Le gouvernement pourrait aussi, par règlement, exclure certaines victimes du droit à une couverture par le Fonds d’indemnisation; et l’AMF pourrait adopter des règlements précisant les critères d’admissibilité des réclamations ainsi que les modalités de calcul des indemnités, sous réserve de l’approbation du gouvernement.
Modification au droit d’exercice de certains inscrits
Dans le cas de manquements aux dispositions de la LVM ou de la LID, ou si un inscrit n’exerce pas ses activités en conformité avec ce qu’il avait déclaré, l’AMF pourrait suspendre ou retirer des droits conférés par son inscription ou assortir de conditions son inscription. Il s’agirait d’un outil supplémentaire dont disposerait l’AMF pour restreindre les droits d’exercice d’inscrits qui ne respecteraient pas leurs obligations réglementaires, alors qu’à l’heure actuelle, de telles mesures ne peuvent être imposées que par le Tribunal administratif des marchés financiers.
L’AMF ne peut actuellement imposer des conditions d’inscription qu’au moment de l’octroi du droit d’exercice, alors que d’autres autorités en valeurs mobilières canadiennes, comme la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, ont déjà le pouvoir d’assortir de conditions le droit d’exercice de leurs inscrits en cours d’inscription. La modification proposée viendrait donc harmoniser ce pouvoir.
Par ailleurs, les plateformes de négociation devraient respecter davantage d’obligations, dont celles d’être reconnues par l’AMF avant d’exercer des activités régies par la LVM et de transmettre tout document ou renseignement requis par l’AMF. Cette mesure semble viser principalement les plateformes de négociation de cryptoactifs et faire écho aux efforts des Autorités canadiennes en valeurs mobilières pour encadrer ce secteur au cours des dernières années.
Assujettissement des géologues et des ingénieurs à l’obligation de communiquer certains renseignements à l’AMF
Les membres de l’Ordre professionnel des géologues du Québec et de l’Ordre professionnel des ingénieurs du Québec ne pourraient refuser de communiquer à l’AMF, dans le cadre d’une enquête, les renseignements ou documents utilisés pour la production d’un rapport portant sur un projet minier, au motif que ceux-ci sont couverts par le secret professionnel. Une exigence similaire s’applique déjà aux comptables en lien avec leurs travaux de vérification et d’examen d’états financiers intermédiaires.
Fin des ententes permettant aux membres de certains ordres professionnels d’utiliser la désignation de planificateur financier
Le projet de loi 92 prévoit retirer le pouvoir de l’AMF de conclure des conventions avec certains ordres professionnels afin que leurs membres puissent profiter d’allégements pour l’utilisation de la désignation de planificateur financier. L’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec et l’Ordre des administrateurs agréés du Québec avaient signé de telles conventions, mais celles-ci sont venues à échéance, et ne seraient donc potentiellement pas renouvelées.
Secteur du courtage immobilier
En matière de courtage immobilier, le projet de loi 92 confère à l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) le pouvoir de refuser la délivrance d’un permis ou de suspendre ou de révoquer un permis si, selon son appréciation, les individus ou les sociétés régis par la Loi sur le courtage immobilier ne démontrent pas la probité requise pour exercer leurs activités. Il permet également au comité de discipline de cet organisme d’imposer, au minimum, une amende en cas de manquement à l’obligation de divulgation d’un conflit d’intérêts prévue par la loi. L’OACIQ bénéficierait donc d’un outil additionnel pour protéger le public.
Dans cette même optique, le projet de loi 92 propose d’élargir la portée des infractions pénales prévues à la Loi sur le courtage immobilier. Celles-ci ne seraient plus exclusivement limitées aux cas de courtage illégal sans permis, mais couvriraient désormais l’ensemble des infractions énoncées dans la Loi sur le courtage immobilier et ses règlements. Cette modification permettrait à l’OACIQ, dans les cas d’infractions graves, de déposer une plainte pénale devant la Cour du Québec plutôt que de recourir uniquement aux mesures disciplinaires dont il dispose. Le seuil des pénalités et des amendes minimales et maximales serait également augmenté.